Une Fin de saison « Reuter Bausch »

11 juil. 2023
Une Fin de saison « Reuter Bausch »

©Christof Weber
Article en Français
Auteur: Godefroy Gordet

Il y a près d’un an, on s’était entretenus avec Julie Reuter, de la Galerie Reuter & Bausch. À l’époque, le duo à la scène, à la vie, finalisait sa première année d’expositions. Aujourd’hui, ils sont en passe de clôturer leur seconde saison en tant que galeristes du 14 rue Notre Dame à Luxembourg-ville, et c’est la fatigue dans la voix, mais le sourire aux lèvres que Julie Reuter nous parle des deux expositions qui fermeront finalement la galerie autour du 15 août, pour un repos mérité, et surtout une rentrée sur les chapeaux de roues avec une exposition autour du travail d’Arni Schmitt…

Bonjour Julie, dans un premier temps, pourrais-tu résumer cette saison 2022/2023 : comment vous l’avez-vous vécue, vos objectifs ont-ils été remplis, et quels nouveaux enjeux fondez-vous dorénavant ?

Nous sommes très heureux de ces deux dernières années passées dans la galerie. Nous avons vraiment très bien travaillé, notamment grâce à la Luxembourg Art Week qui nous a permis d’avoir de nouveaux visiteurs, des spectateurs différents. On a également réussi à trouver une très belle visibilité dans les médias, et c’est quelque chose qui nous a beaucoup aidé. Beaucoup du public nous a expliqué nous avoir vu à la télévision, ou nous avoir lu dans la presse. C’est une reconnaissance importante dans le fond, comme dans la forme, pour nous. Nous sommes aussi heureux d’entendre les échos positifs que peuvent susciter nos expositions. Après, on a remarqué que le public luxembourgeois reste fidèle aux artistes luxembourgeois. Nous avons amené en nos murs de nombreux artistes étrangers mais leur l’approche semble plus difficile. On a l’impression que le public luxembourgeois a besoin de temps. Les gens reviennent plusieurs fois, ils attendent une seconde exposition, ils sont plus frileux. Alors, nous avons fonctionné par paire en mettant en avant en parallèle un artiste du territoire et un artiste qui n’est pas du territoire. Ça fonctionne assez bien. Cela offre une dynamique intéressante et importante pour l’artiste luxembourgeois qui lui est porté par son public et qui à travers sa rencontre avec un artiste d’ailleurs trouve une autre visibilité, une ouverture hors des frontières, et vice et versa.

Ça me fait penser à l’exposition en présence. Vernie le 29 juin dernier, se loge en ce moment dans votre galerie, le travail de cinq femmes artistes, Nathalie Noé Adam, Anne-Sophie Loos, Julie Wagener, Viki Mladenovski et Nina Gross. Quatre luxembourgeoises qui portent une étrangère, en somme. Peux-tu me parler de cette exposition sensible et pleine de questionnements sociétaux qui habite en ce moment la Galerie Reuter & Bausch, et ce jusqu’au 22 juillet prochain ?

Cette exposition rassemble effectivement plusieurs artistes luxembourgeoises accompagnées d’une artiste étrangère. Cinq femmes artistes qui présentent leur travail en nos murs donc, Nathalie Adam qui vit entre Marseille et Luxembourg, et explique que voyager lui permet de rester ouverte d’esprit. « Elle initie ainsi des projets interdisciplinaires et passe de l'atelier solitaire aux volcans actifs de Colombie puis aux scènes de théâtre pour créer des scénographies hautes en couleur ».

Nathalie Adam
© Christof Weber

Viki Mladenovski, qui habite Berlin et est la première céramiste qu’on invite. « Artiste et illustratrice multidisciplinaire, Viktoria Mladenovski travaille principalement avec les pastels à l’huile, la céramique, le textile et les médias numériques. L’environnement et les thèmes mondains ont une qualité onirique dans l’art de Viktoria. Ils anthropomorphisent des objets et transforment des animaux ou des humains en leurs propres créatures fantastiques en déformant et en combinant différents éléments ».

Viki Mladenovski
© Christof Weber

« Dans son travail, Julie Wagener s’intéresse à la construction du Selbst-Verständnis de l’individu du 21e siècle : la contextualisation de l’existence, la fabrication d’identité́ et l’appropriation de sens. Dans ce contexte, ce sont la solitude, les sentiments de détresse, d’abandon et d’aliénation de l’individu face à notre société́ qui sont au centre de la peinture de l’artiste ».

Julie Wagener
© Christof Weber

Anne-Sophie Loos, focalisé ici sur un travail pictural du tissu. « Dans son atelier, Anne-Sophie Loos exprime ses expériences et émotions personnelles à travers sa création. La réalisation de ses tableaux détaillés lui procure des moments de concentration et de silence qui apaisent ses pensées ».

Anne-Sophie Loos
© Christof Weber

Et enfin Nina Gross, une artiste allemande qui étudie à la Royal Academy of fine Arts à Anvers et que j’ai découverte grâce à Pit Riewer, qui a également étudié à Anvers, et m’avait montré son travail que j’avais tout de suite trouvé extraordinaire. « La pratique artistique de Nina Gross traite de l'anthropologie et questionne la façon dont nous nous relions aux objets de notre vie quotidienne. Les objets banals et évidents, comme les fourches et les cuillères, sont isolés du contexte de leur usage culturel et traduits en petits tableaux. Comme un film encore,elle arrête le récit et la routine dans laquelle ils sont utilisés. Les coups de pinceau économiques font allusion à Alex Katz et reflètent la force de la peinture pour représenter les textures et les surfaces ».

Nina Gross
© Christof Weber

Pourquoi associer ces cinq femmes artistes dans une même exposition ?

La galerie est divisée en deux. Dans la dernière salle on a rassemblé le travail de Anne-Sophie Loos, Julie Wagener et Nina Gross. Elles s’associent dans leur discours sur la société dans laquelle on vit. Anne-Sophie Loos prend pour symbole le tissu qui est encore et toujours aujourd’hui un phénomène de classes sociales. Les plus beaux tissus, les plus beaux habits définissent votre porte-monnaie. C’est quelque chose qui date du Moyen Âge, depuis les vieilles tentures des grands maîtres, plus la tenture était importante, plus la personne était importante. Ce qu’elle cherche par-là, c’est aussi, au-delà du sujet même de pouvoir travailler les ombres et lumières qui quand on les change, changent la forme et donc la narration même du tissu. Les trois pièces exposées à la galerie sont trois fois le même tissu, posé à trois moments différents de la journée, à 8h26, 12h26 et 16h26. Ce qui est impressionnant c’est de voir à quel point ça change. De fait, on peut faire le lien avec nous-mêmes, à quel point on change de nature quand on met tels ou tels vêtements. Cela nous définit, nous transforme.

L’œuvre de Julie Wagener met en lumière la complexité de la réalité à laquelle l'individu est confronté, ce qui rend sa vie difficile à appréhender. En conséquence, la société est accablée par l'ampleur des crises géopolitiques, économiques et environnementales, ce qui engendre un détachement émotionnel, de l'apathie, un sentiment d'impuissance et de désorientation. L'incapacité ou l'impossibilité de changer ou de s'adapter aux conditions imposées par le système entraîne une aliénation et des conflits d'identité.

Nina Gross est en Erasmus à Vienne, et en bref, elle travaille autour de cette tradition du gâteau et du café qui est très allemande. Elle explique que même en tant que jeune, c’est une tradition importante pour elle, une chose inévitable dans certaines villes par exemple à Vienne. Mais ce dont témoigne son travail, c’est aussi la rencontre entre les gens, ce contact social qu’on pourrait avoir uniquement par nos téléphones, mais qu’on recherche finalement continuellement à créer dans des apéros au bar, ou dans un temps autour d’un café. Ce contact physique et le fait d’avoir besoin de se retrouver est une chose qui l’intéresse énormément, car cela répond un peu à la question de comment on existe au monde, dans notre société.

Dans la première salle on a le travail de Viki qui rentre aussi un peu dans des sujets sociétaux. Elle est très engagée dans les questions LGBTQIA+. Queerness et le féminisme informent la pratique artistique de Viktoria. Viktoria s’interroge sur la façon dont le corps féminin est perçu et visualise la dysmorphie du corps à travers les parties brisées du corps que l’on peut trouver dans son travail. Les lieux dans ses peintures deviennent déformés, recevant une qualité étrange et fantastique. En clair, elle explique qu’il faut laisser les gens vivre comme ils en ont envie. On n’est ni femme, ni homme, juste des personnes. Elle tient cette réflexion et ce consacre à ce mouvement, tout en conservant l’idée que nous sommes des pions dans ce monde et que nous marchons au rythme de la société, et qu’il serait bon parfois de dire « stop ».

Nathalie Adam travaille sur des sujets entre la nature, le minéral, d’une façon très intuitive. C’est quelque chose que tu vois tout de suite dans sa série qui est directement à l’entrée de la galerie, qui dévoile ce besoin viscéral de s’exprimer. Nathalie fait beaucoup de gravure, à l’image de son père qui était quelqu’un de très important sur la scène artistique luxembourgeoise, et qui pratiquait beaucoup la gravure. Aujourd’hui elle travaille dans l’atelier de son père, avec les pierres de son père, qu’elle ponce pour les réutiliser mais sur lesquelles il reste toujours les traces du travail que son père y posait avant elle. C’est quelque chose que je trouve très beau que les travaux du père et de la fille se superpose parfois.

Cette réunion de cinq artistes aux grandes sensibilités a ouvert à un succès unanime. Et à la fin du mois, vous préparez une exposition collective tout aussi ambitieuse, si j’ai bien compris… C’est une sorte de rétrospective des deux saisons précédentes ?

On ouvrira une dernière exposition avant la fin de la saison, le 26 juillet, intitulé « Un été en papier ». Le public retrouvera des œuvres papiers de nombreux de nos artistes qui s’adonnent à ce médium, soit 16 artistes – sur les 27 de l’écurie Reuter & Bausch – déjà exposés en nos murs tels que Clément Davout, Gust Graas, Thierry Harpes, Jack Hilton, Julien Hübsch, Ugo Li, Catherine Lorent, Chantal Maquet, Viki Mladenovski, Jim Peiffer, Pit Riewer, Valentin Van Der Meulen, Pascal Vilcollet, Max Dauphin, et deux nouveaux, la jeune luxembourgeoise Mia Kinsch et l’allemand Kolja Kärtner Sainz. Cela permettra de nous rendre compte de la réception public du travail de ces deux derniers. On fait d’abord un summer break entre le 15 le 26 août et on réouvre la galerie dès le 28 juillet pour finir l’exposition le 9 septembre. C’est une exposition en famille, pour clôturer la saison, et réattaquer ensuite avec en septembre un solo show autour du travail d’Arni Schmitt, qui va proposer une très belle installation et des œuvres sur toiles.