07 oct. 2022Galerie Reuter & Bausch « La relève »
Ensemble à la vie, à la scène, Julie Reuter et Lou Bausch ont ouvert leur galerie éponyme en décembre 2021, presque sur un coup de tête, même si en la conservant bien vissée sur les épaules. Près d’un an après leur « Grand Opening », le couple observe les fruits de leurs sacrifices pour faire tourner ce lieu d’art et de « marché », de la rue Notre Dame. Ainsi, la galerie Reuter & Bausch cumule déjà sept expositions dans un joli white cube, quinze artistes dans son écurie, quelques projets hors-les-murs tout à fait stimulants, et puis, l’envie et les moyens d’aller plus loin… « C’est là ce qui s’appelle avoir pignon sur rue ! » Une rue passante, déjà bien garnie d’art et de manière, avec quelques autres galeries qui flirtent avec les courts trottoirs de la rue, et, bien sûr, le Casino Luxembourg - forum d'art contemporain, comme un clin d’œil aux cadres plus institutionnels qu’a pu connaitre Julie Reuter par le passé, avant de se lancer en duo, avec la personne qui complète l’inscription sur la devanture de leur galerie… Allez, suivons la guide, dans les coulisses, de la petite galerie au diminutif chantant « R&B », et aux toutes grandes ambitions…
IL ÉTAIT UNE FOIS, PLEIN DE FOIS
Pour Julie Reuter tout a commencé par une fac d’arts plastiques, « l’idée c’était de devenir prof d’art ». Elle décampe à Paris et remarque que « je n’étais pas du tout artiste ». Elle s’engouffre alors dans l’histoire de l’art, tout en poursuivant en parallèle ses études en arts plastique, au cas où elle voudrait in fine être prof’, « je voulais laisser cette porte ouverte parce qu’on ne sait jamais dans la vie…Travailler dans le secteur culturel à Luxembourg, c’est très difficile ». Elle s’inscrit ensuite dans un Master 1, Luxury Brand Management, à l’INSECC Paris, et poursuit dans l’idée en intégrant dans la même école, un Master 2, marché de l'art et négociation à l'international, « c’est un tout autre monde qui s’est ouvert à moi. On parlait vraiment de business et je trouvais ça très intéressant ».
Elle termine son parcours universitaire, entre-coupé de stages courts au Ministère de la Culture, au Musées de la Ville, au Casino Luxembourg – Forum d’Art Contemporain, et se retrouve stagiaire pendant six mois à la BGL BNP Paribas pour s’occuper de leur collection. Un stage durant lequel elle rencontre Alex Reding – de la Nosbaum Reding Gallery, ndlr –, « Alex cherchait quelqu’un pour un remplacement court… Je me suis bien sûr jetée sur le poste ». Finalement, elle travaillera quatre ans chez Nosbaum Reding, et puis, « à un moment donné, je me suis dit qu’il fallait que je change. Quand tu travailles pour une structure où la direction est en place, tu ne peux pas évoluer. Alors, je me suis dit, “je suis jeune, la vie est belle, profite, regarde à droite et à gauche“ ».
Elle signe six mois au Luxembourg City Film Festival, et se rend très vite compte qu’elle n’est pas à sa place, « je ne suis pas cinéphile ». Alors, elle finit par se loger au groupement des Musées de la Ville de Luxembourg, où elle prend à sa charge – entres autres – l’organisation de la Nuit des Musées. Via ce job, Reuter se retrouve embauchée par les Musées de la Ville de Luxembourg, où elle se pose pendant un an et demi, « j’ai ouvert deux expositions passionnantes mais à nouveau, je ne me sentais pas à ma place… Je suis historienne de l’art et j’étais entourée d’historiens. En tant qu’historienne de l’art, si je cherche dans le passé pour construire, ma direction se tourne vers le futur. Ce n’était tout simplement pas le bon musée pour moi ». Si la Villa Vauban aurait été un monde plus proche de ses aspirations, aux Musées de la Ville elle apprend pourtant beaucoup et s’entiche d’ailleurs du rôle de responsable des réseaux sociaux, « j’adore faire ça… Je trouve ça hyper amusant et en même temps, tu peux vraiment toucher un public qui n’ose pas vraiment se rendre dans une galerie, ou un musée. Des gens qui n’en n’ont pas envie et qui, de leur canapé, peuvent avoir accès à l’art ».
Durant cette période, la ville de Luxembourg lui propose de représenter le Luxembourg en tant que commissaire d’exposition pour le Prix d’art Robert Schumann, organisé par le QuattroPole qui regroupe les villes de Luxembourg, Metz, Sarrebruck et Trèves, « c’est là que j’ai remarqué ce qui me manquait pendant toutes ces années : le fait de travailler avec des artistes, de faire des projets avec eux, d’organiser des expositions, comme j’ai pu le faire chez Alex Reding ». Alors, à la fin de son contrat aux Musées de la Ville, elle concerte Lou Bausch, qui l’encourage à ouvrir sa propre galerie d’art, « je me suis posé beaucoup de questions, et je me suis dit “qu’est-ce qu’on a à perdre“ ». Ensemble, elle, à la direction artistique et la vente, lui, à l’administration et la production – entre deux eaux, pour avoir gardé son emploi dans une entreprise de fonds d’investissement –, les deux passionnés se lancent dans cette folie et ouvre en l’espace d’un clignement d’œil. Aussi, de l’idée, élaborée en octobre 2021, à l’ouverture de la Galerie Reuter & Bausch, il ne se passe que trois mois, « ça a été super rapide. On a eu de la chance que ça se passe comme ça ».
UN AN À DEUX, & MORE
« Quand on a décidé d’ouvrir la galerie j’ai pris mon téléphone et j’ai appelé tous les artistes que je connaissais pour monter les premières exposition ». De son parcours universitaire immergé dans les deux facettes des métiers de l’art, Reuter a conservé un solide carnet d’adresses composé à la fois d’artistes, de galeristes, ou de commissaires d’expositions, « j’ai cultivé ce réseau car j’ai toujours voulu rester dans ce marché. Le marché de l’art est un monde incroyable. C’est complètement fou et fascinant à la fois ». Ainsi, en faisant le tour de ses amis artistes elle formule ses expositions pour la première saison d’activité de la galerie, « c’était vraiment la course. On a fait trois fois Paris, cinq fois Bruxelles, pour aller d’atelier en atelier, faire tous les transports, mettre en place l’exposition d’ouverture ». Une exposition collective s’ouvre alors au public le 2 décembre 2021, avec les artistes Julien Hübsch, Ugo Li, Pit Riewer et Valentin Van Der Meulen. Ceux-ci inaugurant la galerie avec succès, pour déjà montrer les ingrédients de la formule alchimique Reuter/Bausch.
En une année, Julie Reuter et Lou Bausch on réussit à construire une programmation ambitieuse et pointue, un temps record donc, « je suis quelqu’un de très organisé. Mais on a eu aussi beaucoup de chance que les artistes qu’on a choisis aient de la matière. La pandémie nous a aidé, c’est malheureux à dire, mais de nombreux artistes avaient des expositions qui ont été annulée et donc des expositions déjà montées. La création est un long processus pour un artiste. Alors, j’ai demandé à certains artistes comme Julien Hübsch et Pit Riewer, exposés aux prémices de la galerie, de revenir quelques mois après, ce qui leur a permis de créer avec cette échéance dans la tête ».
Julie Reuter et Lou Bausch ne fonctionnent de toutes façons pas aux dossiers reçus dans leur boite mail… Ce sont eux qui cherchent et débusquent sans se limiter par rapport aux médias utilisés ou aux domaines d’application. À notre rencontre avec Reuter, notre entretien s’est déroulé alors que nous étions entourés des travaux de Marie Capesius, Jack Hilton, Julien Hübsch et Pit Riewer. Quatre artistes aux styles, méthodes, processus et médiums assez différents, « dans cette exposition il s’agit de montrer quatre jeunes artistes qui ont fait leurs études dans différents pays, la Belgique, la France, l’Angleterre et l’Allemagne. On voit les différentes influences que chaque pays peut transporter et comment cela peut guider le travail des artistes ». Par-là, Reuter et Bausch veulent montrer quatre univers différents qui fonctionnent les uns face aux autres, « et puis, dans cette exposition il y a aussi cette dimension de rencontres… Par un artiste, nous rencontrons d’autres artistes. Nous avons rencontrés Valentin Van Der Meulen chez Pascal Vilcollet – tous deux exposés en les murs de la Reuter & Bausch, ndlr –. Même à Paris, le monde est très petit ».
AU BOUT D’UN AN, OU PRESQUE
Ainsi, au bout de quasiment une année d’existence, la Galerie Reuter & Bausch se porte bien, « on a très bien travaillé cette année et pour la suite, toutes les expositions jusqu’à la fin de l’année prochaine sont planifiées ». Et depuis notre entretien, la galerie du 14 rue Notre Dame a ouvert un solo show Image / Objet – Objet / Image de Valentin Van Der Meulen – en place jusqu’au 22 octobre –, « j’ai hâte ! Valentin va réaliser une performance avec des baxters d’hôpitaux, des pochettes remplies de peinture qui tombe goûte à goûte sur des dessins au fusain, pour les transformer », expliquait Reuter un mois avant l’ouverture de cette exposition.
Suivra une exposition duale, où le travail aérien et fragile de Clément Davout se mêlera à la rugueuse patte et l’énergie sculptrice de Laurent Turping, « Clément est un peintre fasciné par la nature et la fragilité des plantes et leurs ombres… Il est d’une douceur et d’une minutie folle, son travail est beau et très apaisant. Laurent, lui, est un artiste beaucoup plus brut. Il travaille à la tronçonneuse sur des éléments naturels ». Une mise en parallèle de deux artistes aux tempérament artistiques opposés contraires autour du thème général de la nature, pour une exposition qui galvanise déjà Julie Reuter, « j’ai vraiment hâte de cette exposition. J’ai toujours hâte de chaque exposition qu’on ouvre. Ce qui est fascinant c’est à quel point l’espace peut se transformer à chaque fois ».
Et puis, Reuter & Bausch c’est aussi des projets « hors les murs ». Récemment, ils ont pu collaborer avec la Chambre de Commerce de Luxembourg, qui, associée à l'a.s.b.l. art contemporain.lu, offre aux galeries luxembourgeoises une nouvelle opportunité de promouvoir leurs artistes dans leur galerie « Art Cube ». Arny Schmit, pour son exposition Inside-Out a trouvé lieu et place jusqu’à la fin du mois de septembre. Une toute autre visibilité pour l’artiste qui était déjà passé à la galerie entre la mi-janvier et mi-février 2022, « c’est important pour une jeune galerie de se montrer hors de ses propres murs. On va être présents à la Luxembourg Art Week cette année, en tant que petite galerie évidemment, mais c’est normal. Nous voulons vraiment faire plus de hors-les-murs, je construis actuellement plusieurs idées dans ce sens. Ça permet de changer un peu le système classique d’une galerie, ça fait du bien aussi ».
Et puis, Reuter & Bausch ont vendu certains travaux de leurs artistes à quelques-unes des institutions grand-ducales. Les pièces de Pit Riewer et Baptiste Rabichon sont parties aux Musées de la Ville de Luxembourg, et une toile de Julie Wagener acquise par le Ministère de la Culture… Une fierté pour la galeriste, « c’est une récompense d’avoir nos artistes dans ces collections », pour s’impatienter en même temps de la suite des événements, « pour moi, ça ne va jamais assez vite », malgré la grande liberté d’action et de travail qu’elle confesse avoir, « je n’aurais jamais imaginé un jour tenir une galerie d’art. Dans la vie tu ne sais jamais ce qu’il va se passer. Alors, je ne cache pas qu’il y a des jours moins drôles que d’autres, mais j’estime avoir beaucoup de chance, et j’aime ce travail. J’ai réussi à allier mon travail et ma passion ».
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