Le fabuleux destin de John Rech

30 juin. 2023
Le fabuleux destin de John Rech

John Rech, © Lugdivine Unger
Article en Français
Auteur : Pablo Chimienti

Alors que son double album live, Under A Blood Red Ground vient de paraître, il fera, les 10 et 11 juillet avec son groupe Dream Catcher, la première partie des deux dates grand-ducales de la tournée mondiale de Robbie Williams. Un rêve inaccessible pour beaucoup, une nouvelle étape dans son fabuleux destin pour John Rech.

L’homme a de multiples casquettes : Directeur du centre culturel de Dudelange, Opderschmelz, John Rech est également auteur-compositeur-interprète et auteur de BD, après avoir été, par le passé sportif de haut niveau, organisateur de concerts, tour manager, assistant parlementaire, employé dans une société de communication ou encore créateur de la première Fête de la musique grand-ducale, chez lui, à Dudelange, dès 1994.

« Born (en 1970) and raised » à Dudelange, comme il aime le dire, John Rech est profondément attaché à la Forge du Sud. « C’est là d’où je viens, là où je vis, là d’où je pompe une grande partie de son énergie » avoue celui qui a commencé à travailler au service culturel de la ville en 2006, avant d’en devenir le directeur en 2019. « C’est une ville que j’adore, avec son côté "on dirait le sud", son côté italien, portugais, méditerranéen… C’est la ville où se trouvent mes racines ».

© Serge Waldbillig
© Kim Wack

Des racines, justement italiennes, – mais aussi françaises et espagnoles avec quelques traditions et habitudes également en provenance d’Algérie et du Maroc ; « Un magnifique mélange 100 % dudelangeois » résume le petit-fils de Louis Rech, premier bourgmestre d’origines italiennes de Dudelange (de 1985 à 1993). Un grand-père auparavant syndicaliste qui a francisé son prénom de naissance, Luigi, pour « mieux s’intégrer ». Et si le petit-fils n’a pas eu à jouer avec son prénom – John est son vrai prénom, donné par sa mère en hommage à John Kennedy –, il a continué, lui aussi la mission politique familiale, en s’engageant très jeune dans le LSAP, en travaillant, à 20 ans à peine, en tant qu’assistant parlementaire pour le parti de gauche, mais surtout, ensuite, à travers son travail dans le milieu culturel, pour l’échange, la rencontre, l’ouverture à l’autre… Lors des dernières législatives, en 2018, il se présentera même au soufrage des électeurs ; et s’il ne sera finalement pas élu pour siéger dans la rue du Marché aux Herbes, il obtiendra tout de même un score très honorable avec 14.728 voix.

Mais il n’y a pas qu’en faisant de la politique qu’on peut servir ses concitoyens, se rendre utile pour son pays. John Rech a clairement consacré sa vie à la culture, sur et derrière la scène, non sans un détour aussi passionné que frustrant par le sport.

À un saut des JO, à un pas de MJ

« J’aime le football et surtout le basket, lance-t-il avec entrain, mais un jour j’ai découvert que je courais un peu plus vite et que je sautais un peu plus loin que les autres, j’ai donc fait une carrière dans l’athlétisme ». Spécialiste du 400 m et du saut en longueur, s’entraînant également au 100 m pour améliorer ses performances dans les deux autres disciplines, il passera des années à faire le tour de la piste et à sauter dans le bac à sable. Fin des années 80, il rêve donc de participer aux Jeux Olympiques de Barcelone de 1992, ceux de la Dream Team, de Vitaly Scherbo, de Carl Lewis et, aussi du récemment disparu, Freddie Mercury qui en avait écrit la chanson officielle. Une blessure en décidera autrement. « Les médecins m’ont dit que mon corps n’arriverait plus à aller là où ma tête voulait aller ; du coup, par esprit de révolte, j’ai fondé un groupe de rock ! » se souvient-il. Ce sera T42.

T42, à prononcer « Tea for Two », un clin d’œil à Louis de Funès et Bourvil dans La Grande Vadrouille, va s’imposer pendant quinze ans comme un des groupes phares de l’alors encore balbutiante scène pop-rock grand-ducale. Un projet dans lequel le frontman a mis toute sa grinta de sportif. « Quand j’ai commencé à répéter avec le groupe, les autres voulaient qu’on se voit une fois par mois pour répéter, alors que moi je voulais qu’on se voit tous les jours. On a finalement trouvé un accord sur 4 fois par semaine ». Une envie de réussir, une application qui a fait que, « même si au début on n’était pas forcément très bon, on arrivait tout de même à faire notre truc ».

Née avec Waiting for the Light en 1992, l’aventure s’achèvera en 1996 avec un album live justement titré Äddi a Merci, non sans avoir joué devant plus de 42.000 spectateurs à Bettembourg le 22 juin 1997. La tête d’affiche de la soirée ? Un certain Michael Jackson, en plein HIStory World Tour. Un souvenir malheureusement pas si bon que ça pour le Luxembourgeois. « Ça n’a pas vraiment été pour nous l’expérience la plus magnifique de tous les temps. La production était très stressée, on était très limités en tant que première partie, on ne nous a pas du tout aidé, on a dû tout faire nous-mêmes » se rappelle-t-il quand on insiste pour parler un peu de cette soirée. « Je dirais que j’ai vu comment fonctionnait Michael Jackson sur scène. Je dirais que c’était le plus grand concert de ma vie. Et je dirais qu’il pleuvait des cordes. Devant la scène, les gens étaient dans la boue, mais nous, derrière on a dû traverser la boue et une bonne vingtaine de centimètres d’eau pour monter sur scène parce qu’on n’avait pas le droit d’emprunter le même chemin que Michael Jackson et son équipe » dit-il dépité plus d’un quart de siècle plus tard. « Ce n’est pas mon meilleur concert et pas mon meilleur souvenir, mais ce n’est pas grave. Ça reste le plus grand concert que j’ai fait, mais encore une fois ce n’est pas la quantité qui compte. Je garde un bien meilleur souvenir d’un concert à Tokyo devant une quinzaine de personnes à peine dans une petite boite où les gens étaient tellement enthousiastes qu’au lieu de jouer une heure où on a fini par faire 100 minutes de concert. C’était spécial, il y avait une communion… ».

© Kim Wack
© Kim Wack

Dream Catcher, 25 ans de rêves qui se réalisent

De grands concerts, des premières parties de grands noms, comme Bon Jovi ou Sting, il y en aura bien d’autres dans la carrière de John Rech. Que ce soit avec les T42 ou avec son projet lancé en 1997, Dream Catcher.

Un projet solo pour lequel l’auteur-compositeur-interprète s’est toujours entouré des meilleurs musiciens du cru : Christof Brill, Eric Falchero, Wolfgang Wehner, Claude Zeimes, Rainer Dettling… Un projet plus folk que le précédent. « Dream Catcher crée une belle connexion entre le pub folk rock à la Pogues et les ballades pop acoustiques intemporelles qui viennent du cœur » peut-on lire sur le site du band. « Un mélange haut en couleur et varié de leurs racines luxembourgeoises associé à du folk celtique, de la chanson française et de la pop entraînante » lit-on, en revanche sur le dossier de présentation de Under A Blood Red Ground. Mais peu importe la définition exacte, « c’est, en fait, le style dont j’ai toujours rêvé » note le leader.

De Happy In My Treehouse, le premier EP sorti en 1998, au dernier album studio en date, Vagabonds, publié en 2017, Dream Catcher se laisse une totale liberté d’action. Dans les collaborations : Pascal Schumacher, Ezio, Cali ou encore le groupe folk irlandais Beoga, dans les styles donc, mais aussi dans les formes. À côtés des albums, EP, vidéo-clips et autres singles, John Rech a trouvé, depuis 2008, dans la bande dessinée une nouvelle voie d’expression et d’expérimentation.

C’est le dessinateur Andy – ND – Genen, auteur de De leschte Ritter, Sasquatch et plus tard aussi de De roude Puma, qui le contactera en premier. Rech se rappelle : « Andi est venu me voir un jour et m’a dit : "Excusez-moi monsieur j’aime bien ce que vous faites, j’aimerais bien dessiner une couverture d’album pour vous". Je lui ai répondu, "primo, t’arrêtes de me vouvoyer et deuxio, non pas possible, si tu fais la couverture, tu dois faire tout le booklet". On s’est alors rencontrés plus tard pour reparler de ce livret, je lui ai raconté que j’imaginais toujours des films quand j’écrivais des chansons et que je me verrais donc bien écrire de petites histoires autour de mes textes pour faire évoluer l’univers de ces chansons. Il a bien aimé l’idée, m’a demandé de lui envoyer une histoire et en fait je lui ai envoyé tout un scénario bien ficelé ». Les Sonic Comic sont nés. Il y en aura quatre. « C’est une façon de faire évoluer ma musique ».

Une plongée dans le 9e Art

Puis, une fois un pied posé dans le monde du 9e Art, John Rech ira plus loin et se lancera, à côté de son travail de musicien, dans une véritable carrière d’auteur de BD. Il écrira de petits gags comme Dem Junior seng Aventuren, mais aussi des récits plus longs comme ceux de Alex & Tun : Gefaangen an der Diddelenger Geschicht, qui vaudront au duo, devenu depuis inséparable, la reconnaissance du milieu du livre avec l’obtention de deux Lëtzebuerger Buchpräis dans la catégorie Kanner- a Jugendbuch en 2012 pour le premier tome de Alex & Tun et en 2015 pour le troisième tome du comic sonic Dream Catcher.

Tout en continuant, tout au long de son parcours, à organiser des concerts, d’abord en tant que bénévole, puis indépendant, enfin en tant qu’employé, puis directeur, du service culturel de la Ville de Dudelange et de son centre culturel Opderschmelz, John Rech poursuit, ainsi, sa route d’artiste protéiforme avec toujours autant d’amour, bienveillance et humanité. « Les histoires frappent à ma porte et me demandent de les raconter » explique-t-il. « Parfois c’est logique que ce soit une chanson, d’autres fois c’est logique que ce soit une BD. Ce sont elles qui décident. » Et quand elles sont prêtes, il faut encore les présenter au public, que ce soit lors de concerts ou de festivals BD. Et là non plus, l’homme n’est pas avare de son temps. Et cela a un prix, « en moyenne, en ce moment, je dors 4 heures par nuit », avoue-t-il tout en regrettant ne pas consacrer assez de temps à ses amis – « quand on est invité et qu’on dit presque toujours non, car soit on joue un concert, soit on organise un concert, soit on participe à une sortie de BD… ce n’est pas toujours évident » –, mais « je prends tellement de plaisir en faisant ce que je fais, précise-t-il que la musique – dont mon travail à Opderschmelz –, la BD et ma famille ont 99,5% de mon temps ».

Un présent à la couleur rouge, un futur au beau fixe

Et cela ne risque pas de changer dans un avenir proche. Dream Catcher vient de sortir, le double album live Under A Blood Red Ground – une référence assume à l’album de U2 Under A Blood Red Sky, sorti il y a 40 ans et qui a été un des albums les plus importants de l’adolescence du jeune John. Un double album qui, à travers 27 chansons, propose un regard en arrière sur le quart de siècle de carrière de Dream Catcher, offre quelques réinterprétations actuelles de quelques titres de T42, ainsi que quelques bonus – appelés ici Bonus Pirate Duck Tapes. Un album enregistré lors des concerts que le groupe a joué en 2018 – l’album aurait dû sortir plus tôt mais une pandémie mondiale, puis une année culturelle ont retardé sa sortie ­– à 70 mètres sous le niveau de la terre, à une distance d’un kilomètre de l’air libre dans la galerie de la mine de fer Walert du Musée National des Mines de Fer de Rumelange.

Album "Under a blood red ground", Dreamcatcher
Album "Under A Blood Red Ground", Dream Catcher

Un concert hors du commun dans un lieu hors du commun « pour rendre hommage à nos ancêtres : Rech, Falchero, Cavallini… qui sont venus travailler dans ces régions, sous ces Terres Rouges et dont certains y ont perdu la vie » note le chanteur. Il ajoute : « Passer ces cinq jours de répétition et de concert dans ces mines de Rumelange nous a ouvert les yeux sur les conditions dans lesquelles nos ancêtres travaillaient et sur la difficulté de ce boulot. Moi, deux semaines après le dernier concert, je crachais encore de la terre rouge quand j’éternuais. Je n’ose pas imaginer ce que c’était y travailler 30/40 ans, 6 jours par semaine, avec des journées de 10 heures avec en plus de grosses machines qui faisaient encore plus de poussière ».

L’album tiré à 1.000 exemplaires est disponible en CD ou en version numérique. Disponible, principalement lors des concerts du groupe. Après trois dates dans le cadre de la Fête de la musique et un passage par l’Allemagne en ce mois de juin, Dream Catcher a encore 7 concerts prévus au mois de juillet. Parmi eux, les deux dates de Robbie Williams, en plein air au Kirchberg. « Faire la première partie de Robbie Williams devant 15.000 personnes, deux soirs de suite, ça reste quelque chose de spécial. C’est à la fois une récompense du travail accompli, mais aussi une nouvelle possibilité de se présenter devant un nouveau public ». Le groupe se présentera aussi, de manière plus intimiste, au Klouschtergaart de Peppange, ou encore avec un big band, au Summer Stage de Dudelange.

Après cette tournée, l’écriture, de nouvelles chansons et de nouvelles BD, va se poursuivre. Car si ce Under A Blood Red Ground jette bien un regard en arrière, il n’est aucunement à voir comme un album testament. « J’ai encore plein d’idées » confirme John Rech, une suite de Junior est déjà dans les pipelines, lui et ND travaillent également sur un projet BD « avec deux amis internationaux » et le scénariste ajoute même : « Je viens d’écrire une vingtaine de pages pour un nouveau projet dont je n’ai même pas encore parlé à ND ».

De quoi voir venir. Et si on lui demande ce qu’on peut encore lui souhaiter, l’artiste répond : « pouvoir continuer comme ça » et il précise : « C’est un privilège d’avoir pu rencontrer tellement de gens magnifiques avec qui j’ai pu partager mes idées et mes rêves ». Des rêves devenus réalités et qui ont fini par bâtir un fabuleux destin.