Lët’z Arles

17 oct. 2023
Lët’z Arles

Florence Reckinger-Taddeï & Cécilia Zunt Radot © Marion Desssart
Article en Français
Auteur: Godefroy Gordet

Florence Reckinger-Taddeï & Cécilia Zunt Radot forment le duo derrière Lët’z Arles – accompagnées de Léa Killian à la Coordination culturelle –, projet ô combien passionnant qui se veut telle une passerelle entre Les Rencontres de la photographie d'Arles et les scènes de la photographie luxembourgeoise. La première est née à Arles, la même année que le festival de photographie, comme un symbole. De sa force pour créer des ponts entre les personnes, elle assouvi son envie de créer un pont, cette fois entre le Luxembourg et Arles pour la photographie, en réalisant combien ce festival permettait pour les artistes de rayonner à l’international. Soutenue par Sam Stourdzé, ancien directeur des Rencontres d’Arles, Florence Reckinger-Taddeï réussit à convaincre les acteurs culturels au Luxembourg de l’essentialité du projet. Ainsi en 2016 nait Lët’z Arles, pour voir s’ouvrir une première exposition collective dès juillet 2017. Quelques années plus tard, en janvier 2020, Cécilia Zunt Radot rejoint Lët’z Arles comme coordinatrice, pour s’en trouver directrice, depuis déjà plus d’un an. Portée par des professionnels impliqués, engagés et passionnés Lët’z Arles motive ainsi des projets faisant grandir artiste et curateurs côte à côte, tout cela à destination des heures de gloire de la photographie luxembourgeoise.

« Acteur majeur de la photographie luxembourgeoise à l’étranger », si vous deviez compléter cette description de Lët’z Arles aux néophytes que nous sommes, comment décrieriez-vous ce projet ?

Florence : Depuis sa première édition en 1970, le festival des Rencontres d’Arles est un rendez-vous incontournable de la photographie internationale. Pour les artistes liés au Luxembourg, c’est probablement l’un des meilleurs tremplins pour faire connaitre leur travail en dehors du pays, à une multitude de professionnels de l’art, de journalistes et à un large public en même temps. Arles est en effet un vivier exceptionnel de rencontres avec des professionnels du monde entier, dans un environnement très ouvert, qui facilite beaucoup les rencontres et les vraies discussions. Ce sont toutes ces personnalités que nous amenons à s’intéresser aux artistes liés au Luxembourg, à venir les rencontrer ici et à découvrir le patrimoine photographique luxembourgeois.

Cécilia : C’est Lët’z Arles qui a permis ce partenariat important avec les Rencontres d’Arles, festival de photographie qui demeure l’un des plus renommés et l’un des plus fréquentés au monde. Une véritable « Mecque de la photographie » où les artistes montrent leurs travaux, mais aussi inscrivent leur nom dans une histoire de la photographie contemporaine. Au-delà̀ d’Arles, c’est l’ensemble des professionnels de la photographie qui est attentif à notre programmation et avec lesquels nous échangeons régulièrement pour les intégrer à nos jurys, à nos comités scientifiques, à l’édition de nos publications... Ont participé́ à nos jurys des professionnels d’institutions luxembourgeoises (Mudam, Casino, Konschthal Esch, Cercle Cité...) et de l’étranger (Jeu de Paume à Paris, foire Paris Photo, Institut de la Photographie à Lille, Folkwang Museum de Essen, Fotomuseum de Winterthur...). Nous observons combien, chaque année, nos rencontres et celles des artistes et curateurs se développent, combien d’institutions et de galeries s’intéressent aux travaux et aux livres que nous présentons. C’est très encourageant et satisfaisant aussi !

Depuis 2016, Lët'z Arles permet à la photographie d’art luxembourgeoise de trouver monstration aux Rencontres de la photographie d'Arles, l’un des festivals de photographie les plus courus au monde. Ouvert en 2017 par une exposition collective rassemblant une sélection de 26 artistes, l’année suivante vous optez pour des duos, pour en venir finalement, l’année dernière, à un format solo avec la mise en lumière du travail de feu le photographe Romain Urhausen, « inscrit dans l’histoire de la photographie luxembourgeoise », et cette année, une carte blanche à l’artiste, bien plus « émergent », Daniel Wagener. Rétrospectivement, pourriez-vous nous raconter ces sept dernières années et l’impact de vos actions sur la création luxembourgeoise ?

Florence : Durant les premières éditions, nous avons souhaité́ inscrire le choix des artistes par un jury de sélection et nous avons eu la possibilité́ de présenter à Arles chaque année un artiste émergent, aux côtés d’un artiste plus confirmé. Pour la première édition de 2017, les curateurs de Lët’z Arles ont choisi de montrer une exposition collective, Flux feelings, aussi parce que les délais entaient trop courts pour mettre en place un appel à projet et un jury international. Les éditions suivantes jusqu’en 2021 ont été développées sur le modèle de 2 artistes présentés dans un lieu désormais identifié à Arles – une chapelle baroque exceptionnelle –, en faisant appel à des nominateurs, puis à un jury qui sélectionnait les projets préparés par les artistes.

En tirant le bilan de ces 5 années, nous avons réalisé́ que d’autres générations d’artistes n’avaient pas eu la chance de cette visibilité́ à Arles par le passé. C’est pourquoi en 2022, le jury s’est penché́ sur le travail d’artistes ayant eu une longue carrière dans la photographie et a choisi Romain Urhausen. Nous avons conservé́ notre mission de soutenir aussi la création contemporaine avec des installations in situ pour le lieu.

Cette alternance entre projet contemporain et retour sur un parcours plus historique est finalement un reflet juste de la grande diversité́ de la création photographique luxembourgeoise. En 2023, nous avons aussi pensé́ un nouveau soutien en proposant aux talents émergents un mentorat-résidence, afin de mieux les accompagner dans leur professionnalisation. Ce temps pour la réflexion et avec un accompagnement curatorial long nous a semblé́ adéquat pour permettre une exposition et un ouvrage à moyen terme, pas forcément liés à une échéance proche et parfois difficile à appréhender. C’est ainsi que Rozafa Elshan est la lauréate du premier Luxembourg Photography Award mentorship, qui lui a permis de réaliser un mentorat-résidence début 2023 à l’École nationale supérieure de la photographie d’Arles. Le fruit de son travail de recherche sera montré à partir de fin février 2024 au CNA, par une exposition accompagnée de son tout premier ouvrage.

Romain Urhausen en son temps
Romain Urhausen en son temps © Romain Girtgen

Cécilia : La grande force de Lët’z Arles, c’est cette capacité au fil des années d’explorer de nouveaux formats, sans jamais se répéter, mais toujours en développant les projets selon leurs propres spécificités et toujours en dialogue et à l’écoute des besoins des artistes. En exploitant les acquis d’une édition à l’autre et en restant ouverte aux propositions, l’association est parvenue à professionnaliser l’accompagnement de chaque artiste et à faire découvrir des talents du Luxembourg au sein d’initiatives de qualité́ et de renom. À titre d’exemple, l’association peut être fière d’avoir compté l’exposition « Romain Urhausen en son temps » avec le commissariat de Paul di Felice, comme la plus fréquentée du festival arlésien en 2022. Peu de festivaliers le connaissaient avant Arles ; après Arles, son nom couvrait huit pages dans le Magazine M du Monde ! Les expositions et les livres que Lët’z Arles permet de réaliser ne sont pas révélateurs de l’ensemble des soutiens donnés aux artistes et aux curateurs. Toute l’équipe œuvre à la reconnaissance des artistes auprès d’institutions, par des propositions d’acquisitions au seul profit des artistes, de prêts, auprès de galeries et de collectionneurs. Nous sommes heureux que les expositions à Arles aient permis aux artistes d’être choisis par d’autres festivals, des galeries, des musées et acquis par des collectionneurs. Il n’y a pas que la visibilité́ qui est importante, il faut que les artistes puissent vivre de leur art !

Romain Urhausen en son temps
Romain Urhausen en son temps © Romain Girtgen

Après ces sept années de soutien et de programmation de la création photographique luxembourgeoise à Arles et ailleurs, votre travail se trouve requalifié aujourd’hui par le titre de « Luxembourg Photography Award » (a.k.a LUPA), garni également d’un programme de mentorship, tout cela en collaboration avec le Centre national de l’audiovisuel (CNA), et soutenu par le ministère de la Culture. Pourriez-vous nous parler de ce virage structurel que prend l’association et les tenants et aboutissants de ces deux nouveaux formats de programmes de soutien qui ont pu être bénéfique cette année aux travaux des artistes sélectionnés que sont Rozafa Elshan et Daniel Wagener ?

Florence : Nous avons tout simplement fait le constat qu’il était plus simple et clair pour les artistes d’être lauréats d’un prix, qui induit automatiquement l’idée de sélection, de jury et de soutien. La plupart des expositions du festival arlésien est en effet le choix du seul directeur artistique et non d’un jury. Nous avons ensuite organisé des réunions de réflexion, comme nous aimons le faire dans l’association, et avons retenu le nom de Luxembourg Photography Award, qui est assez transparent et qui fait le lien avec un pays et non avec un mécène, comme la plupart des prix à l’étranger. Nous avons ensuite validé cette idée avec les institutions qui nous soutiennent, à commencer par le Ministère de la Culture et nous avons beaucoup aimé les significations possibles de l’abréviation...

Cécilia : En effet, l’abréviation de cet award en LUPA signifie la loupe en latin et c’est ce que l’on souhaite faire : donner une attention particulière à un artiste et à son travail. De l’attention, nous en avons aussi pour les évolutions du monde de l’art : nos réflexions autour de la mise en place du mentorat – résidence partant du constat que, de nos jours, les artistes ont aussi besoin d’un temps de réflexion, de guidance, d’une parenthèse entre les diverses phases de production de leurs œuvres.

Vous savez, depuis le début, ce prix est très complet et très généreux, avec une grande attention aux besoins des artistes par des personnes expérimentées et soucieuses de les soutenir. Les artistes bénéficiaient déjà̀ d’un mentorat au niveau curatorial, de résidence, d’accompagnement au niveau organisationnel. Ils sont choyés, accueillis, tant pour la période de création, que de la mise en place de l’exposition comme du livre, au niveau communication. Cela se poursuit pour l’itinérance de l’exposition qui tient à cœur les créateurs de Lët’z Arles depuis l’origine. Le tirage et la distribution des livres en de nombreux exemplaires permet d’inscrire le travail de l’artiste dans une globalité́ et sur un temps long. Enfin, l’association rémunère les artistes, leur remet toutes les œuvres produites et ne prend aucune commission sur les ventes d’œuvres qu’elle permet.

Jusqu’au 24 septembre se déroule l’exposition de l’édition 2023 de Lët’z Arles, avec pour mise à l’honneur le travail de Daniel Wagener – lauréat en 2017 du 1er stARTup Studio – avec son exposition « opus incertum », logée aux Rencontres d’Arles. Danielle Igniti, explique les travaux de Wagener en présence comme l’interrogation de « la mémoire du temps et du lieu et les transformations sociales et fonctionnelles que la Chapelle de la Charité́, l’édifice religieux et lieu de culte dans lequel il expose, a subies ». La commissaire de l’exposition ajoute in fine que le photographe luxembourgeois « réussit à créer une sublimation, une sublimation de l’utile ». Comment se font vos choix dans l’exposition de tel ou tel artiste et quels sont les enjeux – pour l’artiste, comme les liens vis-à-vis des spectateurs – qui se dégagent d’une sélection à l’autre ?

Florence : Dès les débuts, nous avons mis en place un processus de nominations par des professionnels de l’art luxembourgeois qui proposent chaque année des noms d’artistes. Les artistes présélectionnes reçoivent alors un appel à projet et présentent une proposition spécifique pour le lieu à Arles. Ils reçoivent une indemnité́ pour la remise de cette présentation. Leur projet entre ainsi en résonance avec le site de la Chapelle de la Charité́ dans le contexte du festival des Rencontres. Le lauréat est enfin retenu par un jury composé de curateurs.trices, professionnel.les de la photographie, directeurs.rices d’institutions, etc. La pertinence du projet pour le lieu est essentielle et elle est évaluée par le jury au même titre que la force artistique de la proposition. L’artiste reçoit des honoraires pour la conception de son exposition et il est accompagné́ par un commissaire sur toute la durée du projet, de sa nomination comme lauréat jusqu’au démontage de l’exposition et souvent au-delà̀. Un ouvrage donne au projet un déploiement complémentaire et dans certains cas, les artistes retenus ont vu leur premier ouvrage édité́ grâce à leur sélection par Lët’z Arles.

Cécilia : Nous n’imposons pas de thème directeur aux artistes. Le lieu à Arles présente déjà̀ une architecture suffisamment singulière et les artistes intègrent toujours la composante de la résonance avec le lieu dans leur candidature. De même, pour les ouvrages, les publications sont très libres, tant sur le contenu – ce n’est jamais un catalogue d’exposition – que sur le format qui n’est jamais imposé. Nous aimons beaucoup cette souplesse et cette capacité de s’adapter que l’association a eues dès ses débuts.

opus incertum de Daniel Wagener
opus incertum de Daniel Wagener © Olivier Querette

Et puis, Lët’z Arles c’est aussi une activité programmatrice, volet qui s’étend notamment par la tenue prochaine de l’exposition « Romain Urhausen : Steel Life » à la Galerie Schlassgoart – pavillon du centenaire, visible jusqu’au 21 octobre prochain. Qu’en est-il de ces désirs de productions – notamment sous le prisme du travail du photographe Romain Urhausen, que vous mettez à l’honneur par deux fois ces deux dernières années – ?

Florence : L’importante créativité́ de Romain Urhausen, qu’il a mise en œuvre tout au long de sa vie et dans différentes disciplines artistiques, nous a vraiment inspirés pour développer plusieurs échos à l’exposition arlésienne. Il a été un pionnier de la photographie, mais la photographie n’a pas été que le seul domaine où il a excellé. Le design notamment a constitué́ une part importante de sa renommée à partir des années 1970 et, surtout, de sa vie quotidienne. Sans compter ces merveilleux bijoux qu’il a confectionnés pour sa femme... En redonnant une visibilité́ à son nom en tant que photographe, nous ne pouvions et ne voulions occulter ses autres talents car lui-même ne mettait pas de frontières entre ses différentes pratiques créatives.

Cécilia : Chaque exposition à Arles a fait l’objet d’une itinérance au Luxembourg, avec un format de retour toujours adapté au lieu retenu au Luxembourg pour cette 2e étape. Pour l’exposition « Romain Urhausen : Steel Life », il s’agit vraiment d’ancrer la sélection des œuvres au territoire, à celui du bassin minier et de son histoire, en lien avec la Galerie Schlassgoart où il est présenté́. Les commissaires ont eu grand plaisir à se replonger dans les archives de l’artiste et à révéler de nouveaux trésors, dont une quarantaine de photographies sélectionnées pour ce projet et des bijoux d’artiste inédits. Ce travail a pris forme grâce à la collaboration très harmonieuse avec la famille de l’artiste.