Hannert de Kulisse vum Theaterpräis

18 sep. 2023
Hannert de Kulisse vum Theaterpräis

Theater- a Danzpräis 2021, © Bohumil Kotohryz
Article en Français
Auteur : Godefroy Gordet
Photo : Theater- a Danzpräis 2021, © Bohumil Kotohryz

Des décennies se sont écoulées avant que les professions du spectacle vivant au Luxembourg aient leur glamoureuse remise de prix. Sur le modèle des Molières, en France, ou ceux des Tony Awards américains, le Theaterpraïs se façonne d’édition en édition comme un rendez-vous de prestige et de célébration de l’excellence des arts de la scène au Luxembourg. Tenu par la Theater Federatioun, agissant tel le vassal du Ministère de la Culture, avec le soutien du Trois-CL pour le Lëtzebuerger Danzpräis, et de l’Assitej Luxembourg pour le Jugendtheaterpräis, le Theaterpraïs marque la célébration d’une scène Grand-Ducale très, très vivace. Édition aux 1 000 surprises, on y voit cette année, l’introduction du Kanner- a Jugendtheaterpräis et deux nouvelles catégories dans le Theaterpräis, celle de la « Meilleure production – Bescht Stéck », sorte de « Grand Prix », mettant à l’honneur la meilleure pièce dans son ensemble, et le prix « Op der Bün – Schauspill » qui récompense le jeu d'un acteur ou d'une actrice dans une pièce. Fin des pronostics le 22 septembre prochain, date à laquelle les trois jurys – théâtre, danse et jeune public – livreront leurs verdicts sur une sélection plus que qualitative, rassemblant deux saisons de production, soit près de 150 spectacles... C’est-à-dire le colossal ouvrage de cette cérémonie et ses gratifications qui font saliver de plus en plus d’artistes. Rencontre et éclairage avec Catherine Elsen, lauréate sur l’édition passée du prix de l’émergence, qui a la lourde tâche cette année de présider le jury du Theaterpräis.

Catherine Elsen, © Jakob Stoltz
Catherine Elsen, © Jakob Stoltz

Bonjour Catherine, Pour la seconde fois au Luxembourg, le 22 septembre prochain, au Théâtre d’Esch, en public, aura lieu la cérémonie de remise du Theaterpräis et du Danzpräis. Auréolée du « Theaterpräis – Nowuesstalent » en 2021, vous êtes cette année présidente du jury du Lëtzebuerger Theaterpräis, celui-ci composé du dramaturge Sascha Dahm, du directeur du Mierscher Kulturhaus Claude Mangen, de la critique de théâtre au Luxemburger Wort Anina Valle Thiele, et de Josée Hansen, responsable du secteur théâtre au ministère de la Culture. Quels sont les enjeux de tels prix et à titre de jury, comment vivez-vous la responsabilité de choisir parmi les nombreux artistes de notre pays ?

La création des Lëtzebuerger Theaterpräisser correspond à une revendication de longue date de la Theater Federatioun et a été réalisée par la ministre de la Culture Sam Tanson en 2021. Il est important que les différentes disciplines artistiques connaissent une reconnaissance publique, qui permet de mettre le focus sur la richesse et la diversité de la création autochtone. Pour les artistes, cette reconnaissance est une preuve qu’ils sont regardés et vus, par le public, les pouvoirs publics, et, en l’occurrence, un jury d’expert.es. En tant que créatrice de spectacles et interprète, comme tous les autres créateurs, je navigue dans les difficultés de conceptualiser des idées, de les mettre en œuvre et de les présenter finalement sur scène. C'est un moment fragile. Enfin, on se rend compte qu'on ne peut pas tout contrôler, que les intérêts du public et la pertinence de l'œuvre pour le contexte actuel décideront aussi du succès ou de l'échec de l'œuvre. Sachant tout ce que cela implique, j'hésitais donc à juger le travail d'autres artistes. Mais le processus menant à la sélection est assez long et passe par de nombreuses discussions et remises en question des points de vue des autres membres du jury, y compris le sien. Nous avons essayé de prendre en compte autant que possible la diversité qui caractérise le paysage théâtral luxembourgeois. D'autant plus que les profils des créateurs sont très divers, avec des parcours académiques différents, venant du monde entier, se trouvant à des étapes très différentes de leur carrière et ayant des approches de travail différentes. Je pense qu'en partageant les mêmes expériences et les mêmes luttes, j'ai pu apporter une autre contribution aux discussions du jury. En tant qu'artiste, j'ai également pu représenter un point de vue plus créatif lors de l'analyse des différentes œuvres.

Par le biais de cinq catégories distinctes, vous récompensez une production ou un.e artiste par catégorie, sélectionné.e parmi les 140 productions montées sur les scènes luxembourgeoises durant les saisons 2021-22 et 2022-23. Comment se fait cette sélection préliminaire et comment sont pensées les catégories sous le prisme de l’activité théâtrale Grand-Ducale ?

Le jury part de la base d’une liste des productions et coproductions luxembourgeoises et avec des artistes luxembourgeois.es, que le public autochtone aura eu l’occasion de voir durant les deux saisons écoulées. Les membres des jurys essaient de voir toutes les pièces, au moins en captation vidéo, et discutent ensuite des prestations des un.es et des autres dans chacune des catégories – cette fois, ces travaux se sont déroulés sur les deux saisons entières. Sur base de ces discussions, sont établies les shortlists, publiées avant l’été, afin de permettre aux médias et au grand public de se faire une meilleure idée de la richesse de la scène théâtrale et de ses créateurs et créatrices. On constate que le théâtre luxembourgeois évolue au diapason des scènes européennes.

Vous ouvrez donc cette année une nouvelle catégorie baptisée « Theaterpräis - Bescht Stéck », récompensant une production, la meilleure pièce dans son ensemble. Les nominées dans cette nouvelle catégorie ne sont que des femmes, au même titre, le « prix d’interprétation – Op der Bün – Schauspill » est également mixte, et globalement, dans l’ensemble des nominations, on compte 17 femmes pour 10 hommes. Pourquoi une couleur si féminine dans la sélection cette année ? Est-ce un hasard ou une volonté politique ?

Les sélections reflètent la réalité de la scène théâtrale, qui s’est beaucoup féminisée ces dernières années. Cette sélection ne provient donc pas d'une volonté politique, mais fait le bilan d’un paysage théâtral fortement porté par des femmes. La couleur fortement féminine de la sélection de cette année est un hasard du point de vue qu'elle a été guidée par le critère de la qualité du travail. Mais à l’égard de l’évolution historique de l’égalité des chances et de la participation des femmes dans la production culturelle, il est évident et pas un hasard que les femmes – au Luxembourg – aujourd'hui ont moins d’obstacles à surmonter et plus d’énergie et de temps pour se consacrer à leur travail en tant que créatrice. Ce qui est remarquable, c’est qu’on n’est pas habitué à une telle réalité. Surtout la catégorie « Bescht Steck » qui représente vraiment le mérite d’avoir pu faire la symbiose d’une multitude d’activités et aboutir à des projets importants dans leur globalité, montrent les femmes dans les positions de pouvoir auxquelles on n’est pas habitué.

Theater- an Danzpräis 2023
Theater- an Danzpräis 2023

La catégorie « Op der Bün » récompense le concept, le texte et la mise en scène d’une production. Pourquoi rassembler en une seule et même récompense ces trois strates de la création d’une pièce ?

Il importait aussi bien à la Theater Federatioun qu’au ministère de la Culture de limiter le nombre de catégories et de le pourvoir de dotations financières correctes, afin qu’un tel prix soit véritablement une distinction. Il s’avère qu’outre le jeu d’acteur et d’actrice, une pièce est par ailleurs composée du texte, du concept et de la mise en scène. Il s’avère que les frontières entre ces différentes missions sont souvent floues, et qu’on retrouve certains noms sur chacun de ces postes. Le jury a voulu prendre cette réalité en compte en les listant dans une même catégorie.

Comme sur la première édition, se greffent à cette seconde édition le Kanner- a Jugendtheaterpräis et le Lëtzebuerger Danzpräis. Vu le nombre de productions scéniques au Luxembourg, n’y a-t-il pas un intérêt à voir se dispenser une cérémonie par « genre » spectaculaire ?

On veut éviter l’explosion de remises de prix, d’où cette formule de combiner les remises des différentes catégories d’art de la scène. Mais effectivement, le nombre de productions est grand, ce qui explique que les prix soient attribués par trois jurys d’expert.es différents.

Et enfin, cette année, la cérémonie se jouera au Théâtre d’Esch, et ses 520 places assises, et se trouve ouverte au public. Pourquoi ce changement de « formule » ?

Le théâtre luxembourgeois se joue à beaucoup d’endroits, dans différentes maisons, des théâtres et de centres culturels. Il s’agit d’une volonté politique et stratégique de profiter du coup de projecteur de tels événements pour rendre attentif à ces différents lieux de création. Après le Théâtre des Capucins, voici celui d’Esch, et la prochaine remise sera encore ailleurs...