LAURIANNE BIXHAIN : FAIRE RÉSONNER LES VOIX DU MONDE

27 fév. 2024
LAURIANNE BIXHAIN : FAIRE RÉSONNER LES VOIX DU MONDE

© Carole Melchior
Article en Français
Auteur: Sarah Braun

Trois candidatures étaient en lice pour décrocher une résidence à la prestigieuse Künstlerhaus Bethanien à Berlin. Convaincu par son étonnant projet polyphonique, à la croisée des arts, le jury a choisi l’artiste luxembourgeoise Laurianne Bixhain. L’occasion de la rencontrer afin d’évoquer les coulisses de son nouveau projet.

« J’ai été très heureuse lorsque j’ai appris la nouvelle de ma sélection ! Et ce d’autant plus que je connais bien Berlin, j’y connais de nombreux artistes. Cette résidence à la Künstlerhaus Bethanien va me permettre également de les revoir », s’enthousiasme Laurianne Bixhain. « Et cette nouvelle arrive à point nommé, j’ai toujours beaucoup voyagé – les Beaux-Arts à Bordeaux et Leipzig, ou encore Istanbul –, mais, depuis la crise sanitaire et le confinement, je n’avais pas quitté le Grand-Duché. Il était temps, pour moi, de reprendre la route ! » Sa joie est simple, mais l’artiste luxembourgeoise n’en est pas à son coup d’essai : son travail a été maintes fois récompensé à travers le monde. Pourtant, en l’écoutant, on se dit qu’elle repart de zéro à chaque fois. Humblement.

Si la photographie reste son medium de prédilection, Laurianne Bixhain est ouverte sur le monde, sur les autres arts. Sur tout ce qui, en fait, pourrait nourrir sa propre pratique. Elle le confesse, l’impulsion naît souvent de la lecture, qui a le pouvoir de débloquer bien des situations. À l’instar du projet qu’elle a présenté pour cette résidence. « J’avais beaucoup entendu parler de Monique Wittig. Un jour, j’ai décidé de me lancer et de lire ses romans. J’ai aimé son écriture, très particulière, souvent fragmentaire. J’ai été particulièrement touchée par ses figures héroïques féminines, dont elle questionne le comportement. Rien n’est tranché, noir ou blanc, au contraire : tout est en perpétuel mouvement » explique l’artiste, avant de s’arrêter sur la linguistique de l’œuvre de Wittig. Car Les Guerillères, l’un des essais de l’autrice française, évoque notamment l’emprise du masculin sur la langue, dont Monique Wittig essaye de se défaire en utilisant le pronom « elles ». « C’est justement cette notion de personnage collectif qui m’a particulièrement intéressé et qui a nourri ma réflexion. J’avais vraiment envie de revenir à cette notion de personnage collectif, dans le sens où nous vivons à une époque où les modes de vie individualistes sont de plus en plus plébiscités et où les communs sont délaissés. J’avais envie de restaurer cette notion de communauté, de collaboration. » Une volonté qui s’illustre concrètement dans le projet qu’elle abordera à Berlin, puisqu’elle ne sera pas seule pour le composer.

Sa prochaine série de photographie découle en effet de la performance Shadow Text, créée par Chloe Chignell et Amina Szecsödy en 2023, qu’elle a rencontrées alors qu’elle photographiait les répétitions. De cette performance et de ces images découlera un texte dont la destinée est d’être chanté par un chœur. Une voix pour tous et toutes qui résonne dans l’expérimentation.

« La société a établi une hiérarchie entre le monde de la matière et celui des idées. Entre la nature et la culture. Entre les hommes et les femmes. La photographie m’a aidé à comprendre le fait que je n’avais plus envie de hiérarchiser, mais au contraire d’aller vers davantage d’unité. » Une réflexion qui lui a également permis de questionner son engagement et le rôle de l’artiste, ce qu’elle mettait de son expérience personnelle dans son travail.

Reconstruire le réel à travers l’image

Laurianne Bixhain se souvient d’une de ses toutes premières séries, liée au motif du voyage, puisqu’elle a été prise à Istanbul. Elle y avait créé des livrets, des petites séquences liées à son voyage, une première pour elle, mais qui a considérablement éduqué son regard de photographe. Elle confie d’ailleurs s’inspirer autant du travail de confrère, amis artistes, proches et moins proches, que de grands noms. Une question de sensibilité, d’œil, mais également de travail de la matière.

« Ce que j’aime dans la photographie ? C’est que l’impulsion part du réel, de l’extérieur, et qu’elle permet de composer des choses qui ne sont plus de l’ordre de la réalité. L’image a quelque chose d’assez virtuel dans le sens où elle représente des possibles qu’elle n’est pas. L’image est une vision, qui ouvre le dialogue avec la matière même de l’image, dans la manière dont elle est produite, de quoi elle est faite. Ainsi, je trouve très intéressant ce passage de la vision à quelque chose de physique, de sensuel même. De l’ordre du tactile. » Dans le travail de Laurianne Bixhain, la photographie devient ainsi un levier pour faire un pas de côté, influencer et peut-être même modifier des situations vécues. De l’art de la résonance.

Deux questions pour finir

Quel livre lisez-vous actuellement ? « Gaia and Philosophy by Lynn Margulis : ce livre a été écrit par une biologiste qui évoque les bactéries qui régulent la température de l’atmosphère. In fine, on comprend que le vivant – sous toutes ses formes – est acteur de ce monde et l’influence. C’est fascinant. »

Quelles série ou émission vous ont récemment captivée ? « J’ai dévoré Drag Race Belgique. Je ne suis pas actrice de cette culture, mais j’y suis très sensible. »

Son actualité

Laurianne Bixhain est à l’honneur de la CeCiL’s Box, au Cercle Cité (rue du Curé, Luxembourg-Ville), avec l’un des clichés issu de la prise de vue de Shadow Text de Chloe Chignell et Amina Szecsödy. À voir du 28 mars au 06 juin 2024.

https://cerclecite.lu/fr/event/cecils-box-by-laurianne-bixhain

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