Yulia Vershinina-Mukhopadhyay et Chiahu 'Chia-Chia' Lee 

14 mar. 2024
Yulia Vershinina-Mukhopadhyay et Chiahu 'Chia-Chia' Lee 

Article en Français
Auteur: Sarah Braun

Le 15 mars 2024 sortira (ré)inventions à deux pianos, le tout premier album des pianistes luxembourgeoises Yulia Vershinina-Mukhopadhyay et Chiahu 'Chia-Chia' Lee, un album virtuose dans lequel les deux artistes ambitionnent de donner une autre impulsion au répertoire du compositeur allemand Jean-Sébastien Bach. Le résultat ? Un album comme une réinterprétation personnelle de la partition originale de Bach dans le style de la musique classique, qui ici se conjugue à d'autres genres tels que la pop, le minimalisme ou le smooth jazz. Nous avons rencontré les deux artistes à quelques jours de la sortie de (ré)inventions à deux pianos.

 

Comment est né votre duo ?

Yulia Vershinina-Mukhopadhyay : Nous nous sommes rencontrées à Manchester, où nous avons étudié. Nous n’avons pas commencé à jouer tout de suite ensemble. C’est Bach qui, d’une certaine façon, nous a réunies lorsqu’en 2019 nous avons joué l’arrangement des Variations Goldberg sur deux pianos. Nous nous sommes également intéressés à un répertoire plus moderne, composé par des femmes. De là est né un grand projet qui nous a occupées toute l’année passée, sur les compositrices contemporaines. De fil en aiguille, ce projet nous a conduit à cet album. Chia-Chia est elle aussi une compositrice qu’il était important de mettre en lumière.

Votre premier album sort aujourd’hui, vendredi 15 mars 2024. Comment vous sentez-vous ?

‘Chia-Chia' Lee : Nous sommes très heureuses, bien sûr, mais également un peu angoissées par ce nouveau projet, qui, tout de même, sort de ce qu’on a l’habitude de rencontrer. Nous sommes impatientes de voir la réaction du public, face à notre pas de côté par rapport à cette institution parfois un peu figée qu’est la musique classique.

 

Qu’est-ce qui vous séduit dans la musique de Jean-Sébastien Bach ?

Yulia Vershinina-Mukhopadhyay : Je pense que ce qui nous a tout de suite attirées toutes les deux, c’est la facette très moderne de son répertoire. Quand j’entends ses sonates pour violon, par exemple, je ne peux me résoudre à n’y entendre que du baroque. C’est tellement moderne, il y a tellement de profondeur et d’humanité dans sa musique. Et les interprétations de Chia-Chia m’ont toujours fascinée, cette finesse, cette élégance, ce souci du détail, ces harmonies inattendues. Enfin, je trouve que, finalement, la musique de Bach laisse, d’emblée, beaucoup de liberté à ses interprètes, un peu comme de la pâte à modeler ! La musique de Bach est à la fois tellement pure et tellement universelle : chacun est amené à la lire et à l'entendre à sa propre façon. C’est vraiment incroyable !

 

Qu’est-ce qui vous a amené à réinterpréter le répertoire de Bach, plutôt que de le jouer de façon classique ?

‘Chia-Chia' Lee : C’est venu assez naturellement, je pense. J’avais commencé à travailler des morceaux de Bach, quand nous avons eu envie de faire quelque chose de différent, de plus actuel aussi. De donner une nouvelle impulsion à la musique classique, de lui apporter une perspective différente afin d’attirer un public qui, d’ordinaire, ne se tourne pas nécessairement vers le répertoire classique.

Cette idée est aussi venue d’une nécessité, plus matérielle, dirons-nous, car nous avions besoin de petites pièces, pour jouer à la fin des concerts, lors des rappels par exemple. Une chose amenant une autre, cette nécessité s’est métamorphosée en un projet de belle ampleur : ce premier album !

 

Comment avez-vous décidé d’aller vers tel ou tel genre, comme le jazz, par exemple ?

‘Chia-Chia' Lee : L’idée, je crois, était d’abord de me faire plaisir ! C’était vraiment ma priorité. J’avais envie d’aller vers des styles musicaux qui m’inspirent. Les influences jazz, pop ou de musiques électroniques se sont un peu imposées d’elles-mêmes, dans une sorte de processus très naturel. J’aime le côté pluriel de la musique. Très rapidement, un melting pot s’est créé pour aboutir à ce premier album.

 

Comment organisez-vous le travail quand vous collaborez toutes les deux ?

Yulia Vershinina-Mukhopadhyay : Sur ce projet, Chia-Chia a commencé à composer les premières pièces, puis nous avons repris cela ensemble pour voir ce que cela donnait concrètement sur deux pianos. Parfois, ça sonnait différemment de ce qu’elle avait songé, cela nous permettait de réajuster. Il y a toujours un écart entre la musique de la partition et celle qui est jouée. C'est tout à fait normal, et d’ailleurs, la musique est faite pour être jouée, et non écrite. La pratique nous a vraiment permis de donner vie à ce projet.

 

Pourquoi avoir choisi de créer pour deux pianos ?

‘Chia-Chia' Lee : C’est vrai que cela est moins fréquent, on trouve plus souvent des partitions pour des pièces à quatre mains. En revanche, il y a moins de morceaux pour deux pianos. C’est un petit défi que nous nous sommes lancé, car nous avions vraiment envie de nous lancer dans ce projet. Nous nous sommes dit : allez, tentons d’apporter notre pierre à l’édifice en élargissant ce répertoire particulier et peu connu du grand public, finalement.

 

Vous vous êtes intéressées au travail de compositrices contemporaines. Pour (ré)inventions à deux pianos, vous vous êtes également entourées de femmes. La sororité et le féminin semblent au cœur de votre approche de la musique.

‘Chia-Chia' Lee : Personnellement, je pense qu’il est fondamental qu’au-delà du plaisir et du partage, la musique soit capable de porter notre voix et de la faire résonner. De plus, pour ce projet, nous avons reçu une bourse de la Fondation Œuvre Nationale de Secours Grande-Duchesse Charlotte : c’était donc très important pour nous de nous dire : ok, cette bourse n’est pas seulement pour nous deux, mais tant que faire se peut pour la communauté féminine luxembourgeoise. Nous avions vraiment à cœur de collaborer avec des artistes luxembourgeoises. Derrière cette volonté, il y a bien sûr l’influence du contexte socio-politique du moment – on ne peut échapper à cette vague de sororité – mais bien plus largement l’envie de se soutenir les unes et les autres. Il y a quelque chose de très puissant dans cette démarche. Cela a été une expérience super précieuse, sur scène, mais bien au-delà.

 

Oui, on sent clairement qu’il y a une forte dimension humaine dans ce projet, en plus de sa dimension créative et artistique.

‘Chia-Chia' Lee : Tout à fait, la rencontre avec les femmes qui ont collaboré à ce projet a beaucoup compté pour nous. La collaboration avec la photographe Lynn Theisen et la graphiste Ruth Lorang a été très riche, elles nous ont vraiment apporté une perspective différente. Les voix de chacune ont apporté quelque chose à cet album.

 

Quels sont vos projets ?

Yulia Vershinina-Mukhopadhyay : Ce premier album a fait naître en nous plein de nouvelles idées de collaboration ! Nous avons envie d’aller encore plus loin dans cette voie. Nous avons eu envie de jouer les Concertos de Bach, mais finalement, comme nous n’avons pas un orchestre à nos côtés tout le temps, le résultat n’était pas satisfaisant. Peut-être, allons-nous une nouvelle fois nous diriger vers la réinterprétation ? Nous sommes encore aux prémices de la réflexion et les idées se bousculent, mais l’envie est là !

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