Jean Portante et Antoine Pohu réunis à la Foire du Livre de Bruxelles

03 avr. 2024
Jean Portante et Antoine Pohu réunis à la Foire du Livre de Bruxelles

Article en Français
Auteur: Sarah Braun

Le 5 avril prochain, la Foire du Livre de Bruxelles accueillera Jean Portante et Antoine Pohu pour une lecture d’extraits de leurs dernières œuvres respectives : Une Dernière Fois, la Méditerranée (aux éditions Phi) et Nous sommes celleux qui marchent dans la ville (aux éditions Capybarabooks). L’occasion était trop belle pour ne pas rencontrer ces deux figures de la littérature francophone luxembourgeoise. Entretien.

Qu’est-ce qui vous a poussé vers la littérature ?

Antoine Pohu : Les délires de jeunesse, je dirais ! J’ai toujours beaucoup lu, mais je situerais le déclic vers l’âge de 15 ans. J’étudiais un texte des Misérables de Victor Hugo en classe, qui m’a beaucoup plu, ce qui m’a amené à lire l’œuvre dans son intégralité. Dans la foulée, j’ai commencé à écrire – un peu –, puis de plus en plus, comme on le fait souvent à l’adolescence. Cela m’a tout de même amené à participer à des concours, tels que le Prix Laurence, et à entrer progressivement dans les milieux littéraires. Certaines personnes m’ont pris sous leur aile, et m’ont montré que l’on pouvait écrire de manière plus sérieuse que des petits poèmes de temps à autre… Depuis, je me suis essayé au roman, et, depuis peu, je commence à être dramaturge, également…

Jean Portante : J’ai commencé par la poésie… je crois que c’est rituellement la drogue par laquelle on entre en littérature le plus souvent. Je suis venu assez vite au roman, puis à l’essai, puis au théâtre. Voilà, ma palette est assez complète, je crois…

Vous embrassez tous les deux tous les genres littéraires, n’y en a-t-il pas un qui a votre préférence ?

JP : Non, je pense que tout est de la littérature… ou plutôt de l’écriture. Je suis d’origine italienne, mais j’ai grandi au Luxembourg, et j’écris en français. Ne pas rédiger dans ma langue maternelle a eu – disons – des incidences sur mon écriture, ce qui m’a amené à créer la langue baleine : comme la baleine a l’apparence d’un poisson, la langue que j’écris a l’apparence du français, mais j’y cache de l’italien… C’est mon champ d’expérimentation poétique ; tandis que le roman, lui, est de l’ordre de l’explicitation. Ensuite, je sors des personnages du roman, pour en faire des personnages de théâtre… toute ma pratique de l’écriture est intiment liée, imbriquée, et je passe de l’un à l’autre sans grande difficulté. J’écris d’ailleurs toujours de la poésie, des romans ou du théâtre en même temps.

 

C’est la première fois que vous collaborez ensemble sur un tel projet. Pouvez-vous nous en parler ?

AP : C’est une excellente initiative de Kultur | lx – Arts Council Luxembourg qui, à chaque Salon du Livre de Bruxelles, sélectionne des publications récentes francophones, en gardant toujours à l’idée de faire dialoguer les œuvres. Jean et moi avons des thèmes communs, que nous abordons de façon très différente l’un et l’autre : c’est ce qui a noué ce projet de lecture, je pense.

Est-ce une fierté, pour vous, d’incarner la littérature luxembourgeoise à l’étranger ?

JP : Est-ce que j’incarne le Luxembourg, je ne sais pas, mais c’est en tous cas une belle expérience que de participer à ce salon. En tant qu’auteur, on voyage beaucoup pour diffuser son œuvre. La semaine dernière, j’étais à Berlin, je suis actuellement au Luxembourg pour un nouveau projet, et bientôt ce sera Bruxelles pour cette lecture. J’aime lire devant un public : ça permet de tester ce qu’on écrit, même si je n’écris pas pour des lecteurs, mais pour moi. Ce n’est qu’après avoir été écrit que le livre s’inscrit dans une logique dialectique : on le donne à un éditeur, qui le donne à connaître aux lecteurs, et c’est ainsi qu’un beau jour, on se retrouve devant un public… C’est une facette de ce métier que j’aime, et cela me réjouit, en tout cas, de faire connaître le Grand-Duché sous un autre jour que celui de la finance !

AP : Si nous pouvons franchir les frontières européennes très facilement, ce n’est pas la même chose pour les livres, malheureusement. Il existe pas mal de barrières culturelles, et administratives également, car les maisons d’éditions luxembourgeoises ne travaillent pas avec des distributeurs ou des diffuseurs. Aussi, si un auteur souhaite que ses livres soient diffusés dans des librairies bruxelloises, par exemple, il doit aller les démarcher lui-même, ça passe beaucoup par affinités, aussi…  Je vis ici de mon écriture, elle commence à s’implanter via des cercles de lecture, comme Et Caetera à La Cambre, qui possède également un institut d’écriture. Aussi, avoir la chance d’être présent sur ce salon pour y lire mon œuvre est vraiment gratifiant.

Jean nous a dit qu’il écrivait d’abord pour lui. Est-ce le cas pour vous aussi Antoine ?

AP : Oui, quelque part, parce que j’essaye de puiser dans les choses que je produis, je n’écris pas des pages pour les enfouir, ensuite, dans un tiroir. Et, du coup, très rapidement, il y a tout de suite une sorte de mise en forme qui se fait, qui est aussi une médiation vers un autre regard. Donc, quand je relis mes textes, j'essaye de voir si le lecteur peut ressentir des choses, comprendre là où j’essaye de l’emmener.

Pouvez-vous me parler des textes choisis ?

JP : Je n’ai pas encore choisi les textes que je vais lire, mais ils seront extraits du dernier roman que j’ai publié : Une dernière fois, la Méditerranée (aux éditions Phi), qui aborde une fois de plus un thème récurrent dans mon œuvre, celui de la migration. Il apparaît dès les années 90 dans mon roman Mrs Haroy ou la mémoire de la baleine (Prix Servais 1994), un roman un peu fondamental pour moi, devenu à présent une sorte de classique de la littérature luxembourgeoise. Ensuite il y a eu ma trilogie, dont le premier tome a été L’Architecture des Temps Instables (Pris Servais 2016), suivi de Leonardo. Une Dernière Fois, la Méditerranée en est le dernier volume. Ce sont des œuvres de fiction, même si elles s’inspirent de mon vécu – je ne crois pas qu’il existe d’ailleurs de fiction qui n’ait pas une part d’autobiographie, on met toujours de soi quand on écrit. Pour ce dernier roman, j’avais besoin de revenir au mythe fondateur de la migration : L’Énéide de Virgile. Énée est le premier réfugié de l’histoire, puisqu’il est contraint de fuir la ville de Troie, détruite par Ulysse. Les rescapés s’enfuient à bord d’un navire… Ce n’est pas sans rappeler ce qui se passe aujourd’hui en Méditerranée. À partir de ce mythe fondateur, je peux faire le lien avec ma propre histoire et l’actualité tragique de la migration, le tout emballé dans la fiction.

AP : Notre lien porte sur cet intérêt porté aux textes fondateurs grecs et romains, puisque mon mémoire porte sur la réécriture des textes antiques et Nous sommes celleux qui marchent dans la ville (aux éditions Capyrababooks) puise aussi dans un texte antique, Œdipe Roi de Sophocle, mais de manière totalement libre. Je trouve très intéressant le dialogue entre la fiction elle-même et les textes antiques qu’a créé Jean dans Une Dernière Fois, la Méditerranée. Nous sommes celleux qui marchent dans la ville est l’histoire d’un roi qui se promène dans sa ville – totalement en ruines – et qui se demande ce qu’il s’est passé. Ses quatre enfants, qui s’appellent – au hasard ! – Antigone, Ismène, Étéocle et Polynice se sont dressés contre lui, mais il n’a pas entendu leurs mises en garde. Un jour, toute la jeunesse s’est levée ensemble et cela s’achève dans un désastre, parce qu’il a décidé d’envoyer l’armée en répression… Il se promène et des images l’assaillent… Le lecteur le suit à travers la ville.

Qu’est-ce que cette expérience peut vous apporter l’un à l’autre ?

AP : Déjà, elle nous a permis de faire connaissance, ce qui est formidable en soi. J’avais un livre de Jean dans ma bibliothèque – L’Architecture des tons instables –, mais je ne l’avais pas encore lu. Je pense que cette rencontre signera le début d’une relation en quelque sorte.

JP : Je pense que chaque livre qu’on lit nous apporte quelque chose, même de façon totalement inconsciente ! Tout ce qu'on a lu dans notre vie est une brique pour construire une maison. Après peut-être qu'on n'utilise pas toutes ces briques, parfois on en utilise certaines, puis d’autres… mais on construit quand même une maison.

J'ai feuilleté le livre d'Antoine, mais je vais m’y plonger encore davantage, afin que cela puisse nourrir notre dialogue à Bruxelles. Ce qui est intéressant – je l'avais tout de suite remarqué en voyant les noms des personnages – est que l'un de nos points communs est le fil qui remonte vers les mythes fondateurs, vers la mythologie grecque. Il y a une continuité dans l’ histoire de l’écriture : la littérature a traversé les temps et est arrivée jusqu'à nous. Pour qu’elle puisse continuer d’exister, le fil qui va vers le passé ne doit pas été coupé. Tout comme celui qui nous lie aux auteurs contemporains. C'est en lisant les autres que se nourrit l'écriture, comme une grande toile tissée. Mais il y a aussi la musique, la peinture, le quotidien, la nature, et bien d’autres choses. Tout ça fait partie des briques qui nous servent à bâtir ces maisons que sont nos livres.