5 questions autour de Moi, je suis Rosa !

01 déc. 2021
5 questions autour de Moi, je suis Rosa !

Article en Français
Auteur: Godefroy Gordet

Aude-Laurence Biver x Nathalie Ronvaux

Tout juste un mois après la tenue d’un rôle qui l’aura bouleversé dans Le 20 novembre de Lars Norén, mis en scène par Véronique Fauconnet au Théâtre Ouvert de Luxembourg (T.O.L.), Aude-Laurence Biver prend la direction du texte de Nathalie Ronvaux, Moi, je suis Rosa. À la demande de la dramaturge, Biver s’attaque à ce monologue dans lequel la Lady Rosa of Luxembourg, sculpture signée par l’artiste féministe Sanja Iveković, est personnifiée vingt ans après les vifs critiques qu’a suscitée son exposition pour la laisser prendre la parole et lui permettre de mettre des mots sur ce qu’elle a vécu.

Face à une sculpture qui a fait polémique en son temps, Aude-Laurence Biver se met purement au service de la parole de Nathalie Ronvaux dans un parti pris de mise en scène en accord avec le texte. Elle ne regrette en rien d’être allé dans ce sens, montant cette création théâtrale à « l’instinct », accompagnée d’une équipe idéale…

© Bohumil Kostohryz

© Bohumil Kostohryz

Projet né d’une commande de texte passée par le Théâtre du Centaure à Nathalie Ronvaux dans le cadre de l’initiative « Neistart Lëtzebuerg – Culture », quelle a été la genèse de cette création théâtrale ?

Dans le cadre de l’initiative « Neistart Lëtzebuerg – Culture », le Théâtre du Centaure avait passé commande d’un texte à Nathalie Ronvaux. L’idée étant de donner la parole à un*e auteur*e luxembourgeoise autour d’un sujet de la société luxembourgeoise, un peu dans la même idée que le Tiamat qu’avait écrit Ian De Toffoli en 2018… Nathalie Ronvaux est venue me voir pour me proposer de mettre en scène son texte, qui n'existait pas encore. Elle avait vu ma mise en scène du Poisson Belge au T.O.L. et c’est ce qui l’a motivé. Elle m’avait expliqué vouloir associer ma sensibilité à celle d’Anouk Schiltz, qui avait signé la scénographie de ce Poisson Belge. Elle sentait que ça pouvait marcher, pour mettre en valeur son texte. J’ai tout de suite accepté, sans même connaître le texte. Elle m’avait tout de même dit qu’elle voulait écrire sur la statue Lady Rosa of Luxembourg, une sculpture « polémique » réalisée en 2001 par l'artiste croate Sanja Ivekovic. Quand elle m’en a parlé, il n’y avait qu’une idée, mais rien que cela, ça me plaisait.

A contrario du processus habituel, dans ce projet c’est une auteure qui vient trouver une metteure en scène… Ainsi, comment s’est déroulé votre travail avec la dramaturge en amont à la mise en scène ?

Nathalie a été très présente au début de la création en scène de son texte. Elle voulait vraiment qu’on rentre dans un processus de travail collectif, que la comédienne, la scénographe, la musicienne et moi-même travaillent avec elle autour d’une grande documentation. Il y avait cette volonté d’un vrai travail d’échange. Néanmoins, on a été stoppées par la COVID et Nathalie a finalement écrit seule le texte, tout en nous le communiquant de temps en temps. Nous avons reçu une première version en juin 2021 sur laquelle on a pu débattre pour qu’elle puisse poursuivre son écriture pendant l’été. À la rentrée, on a fait une première semaine de pré-répète, accompagné de Nathalie. Là, elle a pu entendre le texte dans la bouche de Céline Camara et on a pu apporter nos envies de modifications et nos réflexions. Elle a vraiment été à notre écoute et s’est mise ensuite à notre service, au besoin. On a fait notre petit bonhomme de chemin et aujourd’hui – nous sommes le 24 novembre, après le premier filage en décor de la pièce au Kinneksbond, ndlr – elle a redécouvert son texte… Elle avait l’air contente, même si elle a repéré tous les petits accrocs que j’ai également relevé, mais ce sont des choses minimes…

© Bohumil Kostohryz

© Bohumil Kostohryz

En 2001, cette Lady Rosa of Luxembourg est exposée pour la première fois dans l’espace public. Seulement quelques jours après son inauguration, cette version enceinte de la Gëlle Fra encaisse une violente désapprobation critique, tout en divisant les avis chez les spectateurs. À monter ce texte, issu d’une histoire clivante, y avait-il chez vous l’envie de réveiller une lutte, réinscrire ce débat dans notre modernité ou encore interroger cette polémique et les enjeux qu’aurait voulu provoquer la sculptrice ?

Je l’espère, même si je ne voulais pas m’emparer de la polémique sachant que je n’ai pas les armes pour pouvoir parler de cette histoire. Il faut quand même une certaine connaissance pour rentrer en profondeur dans cette controverse. Ce n’est pas si manichéen que cela. Pour en avoir parlé avec plusieurs personnes du Luxembourg, ça a quand même réveillé certains tabous qui date de la guerre. Et outre ce groupe de polémistes, je pense aussi qu’il y avait quelque chose de plus subtil à saisir. Je ne défends personne, évidemment, à l’image du texte de Nathalie, je ne veux pas me positionner. Il y a bien sûr son texte, sa parole et son message, mais Nathalie n’a pas du tout voulu ranimer la polémique. Son texte est fondé sur la parole de la statue, qui est intrinsèquement celle de Nathalie, et qui amène un autre regard sur cette discussion par le point de vue de la statue. C’est-à-dire : comment elle a vécu tout ça ?

La direction n’est pas frontale et personnellement j’ai choisi d’aller dans ce sens. J’étais dans ce qui me parle dans cette pièce, c’est à dire ce qui traite des violences faites aux femmes. Je voulais laisser la parole ouverte par rapport à cela. Une parole qui s’est libérée ces dix dernières années et par laquelle des choses très bien se passent, même si je pense malheureusement que ces violences ne disparaitront pas… En revanche, il y a un débat qui s’est ouvert et matière à discuter.  On parle beaucoup dans la pièce d’une statue qui veut prendre la parole et c’est cette légitimité de la parole féminine qui m’intéresse dans cette pièce.

Quand je lis ou vois dans les médias depuis des années que la plupart des femmes politiques sont moquées à chaque fois qu’elles ouvrent la bouche, je me demande pourquoi systématiquement on fait de la parole féminine, une parole stupide ou non crédible… Je pense à Greta Thunberg, Ségolène Royal ou Christiane Taubira… Je ne suis pas sûre que si Greta avait été un homme, elle serait autant lynchée. Je ne donne pas de réponse, je me questionne et je trouve que la pièce en fait de même et c’est ce qui m’intéresse. C’est mon angle d’attaque et c’est ce qui m’a renvoyé à ma propre expérience, ce qui m’a touché personnellement.

© Bohumil Kostohryz

© Bohumil Kostohryz

Outre Antoine Colla, habitué à prendre à sa charge la création lumière de l’ensemble des pièces du Centaure, Jean-Baptiste Verwaerde pour la vidéo et Gianfranco Celestino au conseil chorégraphique, sur cette nouvelle création tu as décidé de t’entourer de la comédienne Céline Camara, de la scénographe Anouk Schiltz, récemment lauréate du Prix ​​Théâtre – Dans les coulisses au Theaterpräis, de la metteure en scène Claire Wagener pour t’assister, ainsi que de la brillante musicienne Claire Parsons. Pourquoi avoir décidé de travailler avec toutes ces femmes et comment s’est lié votre groupe autour de la création de cette pièce ?

En effet, tout le processus a été majoritairement féminin même si fondamentalement je n’ai pas consciemment réuni une équipe dans cette idée. Je me suis entourée de personnes que j’apprécie et avec qui j’avais envie de travailler. Après, forcément ça amène tout un tas de discussions. Ça m’a fait un peu penser aux répétitions de Margueritesl’une de ses dernières créations au Kinneksbond, ndlr –, une pièce à la thématique également féministe et où l’ambiance de travail était un peu la même. Je ne me suis pas dit que je faisais une pièce féministe et qu’il me faudrait une équipe féminine, c’est un concours de circonstances.

Nathalie voulait nous réunir à nouveau avec Anouk et c’était une très bonne idée de sa part. Il me fallait une assistante et comme j’avais travaillé avec Claire Wagener sur Les Frontalièresde Sophie Langevin au Escher Theater en janvier 2021, ndlr – ça a à nouveau été un bonheur. J’avais très envie de travailler avec Céline Camara, qui a été un vrai coup de foudre amical. Céline fait de l’improvisation depuis longtemps, sans être comédienne professionnelle. Elle était dans le droit pour changer de métier il y a trois ou quatre ans et se consacrer à la scène. Depuis, elle a travaillé sur The Hothouse de Anne Simon – au Grand Théâtre de Luxembourg en mars 2021, ndlr –, elle était dans Moulins à Paroles de Mahlia Theismann – au T.O.L en janvier 2021, ndlr –, dans Le Courage de Catherine Schaub – au Escher Theater fin 2019 – …

On la voit de plus en plus, mine de rien, elle commence à faire son nid. Dans la même idée, je ne connaissais pas du tout Claire Parsons… J’ai écouté son travail et on s’est rencontré sur cette pièce et ça a été une superbe expérience. Pour la musique, je voulais quelque chose de discret. C’était une volonté de partir du postulat que Rosa vit dans un stock de musée, comme la statue originelle qui est stockée au Mudam depuis des années sans que personne ne sache quoi en faire. Nathalie Ronvaux l’a donc écrite comme telle, adressant une heure de parole au public. J’ai adopté un parti pris où tout ce qui se fait dans la pièce y est intra-diégétique, c’est-à-dire que rien n’arrive de nulle part, que tout ce que fait Rosa, tout ce qu’elle dit, c’est elle qui l’a fabriqué, c’est elle qui l’a mis en scène. La musique devait refléter cela et est donc faite de sons et de voix dans cette idée d’une statue comme un corps qui renferme des voix. Comme Rosa le dit, « je suis une coque qui renferme toutes les voix de ces femmes ».

© Bohumil Kostohryz

© Bohumil Kostohryz

Moi, je suis Rosa ! est présentée au Kinneksbond dans le cadre du Partage de Plateaux (Connection), organisé par Les Théâtres de la Ville de Luxembourg, le Kinneksbond Mamer, le T.O.L, le Kasemattentheater et le Théâtre du Centaure. Si le théâtre se crée par un texte et pour un espace, quel a été ton rapport à ces deux piliers de la création théâtrale, c’est-à-dire dans le genre du « monologue » et hors de l’intimité du Centaure, implanté scéniquement dans la grande salle du Kinneksbond ?

Le challenge pour moi dans le monologue, c’est le rythme. Il faut trouver les ruptures… C’est un sacré exercice, quelque chose que je n’avais jamais fait et que j’apprends encore. Je suis bluffée de voir Céline dans ce travail, qui est de l’ordre de la performance. Elle a pris son courage à deux mains et elle a mis la barre vraiment très haute. Dans un projet tel que celui-ci, on ne peut pas mentir. Sur ce monologue on a travaillé longtemps sans décor car celui-ci ne pouvait pas rentrer dans les salles de répétitions du Théâtre du Centaure ou du Kinneksbond…

On a donc travaillé dans un espace vide, avec comme seule option de travailler sur le texte, le texte et encore le texte. 24 pages, ça fait peur. Moi, je suis Rosa ! libère une parole pendant une heure, alors pour rendre cela un peu piquant, saisissable, il s’agissait pour nous de découper ce texte en mouvement. On en a tiré un squelette et un cadre pour ensuite sculpter là-dedans et seulement à la fin utiliser le décor. Tout ce processus s’est réalisé en faisant attention à ne pas rentrer dans le piège de « l’explication d’une œuvre ». Il était hors de question de dire que l’artiste n’a pas réussi à se faire comprendre…

Comme on travaille sur une œuvre existante, on a juste décalé un peu notre regard pour donner le point de vue inédit de cette statue, sans se substituer à l’artiste. D’ailleurs, si elle a reçu de nombreuses insultes raciales ou misogynes, quelque part, Sanja Iveković a gagné… Elle a provoqué ce qu’elle cherchait à provoquer et elle a interpellé les gens. Parce que, finalement, si l’art ne permet pas de faire réfléchir, alors à quoi il sert ?

Représentations :

Kinneksbond Mamer : décembre 2021 - 1, 2, 7, 8, 9, 10, 11, à 17h le dimanche, 20h les autres jours.

En tournée : CAPE - les 26 & 27 janvier 2022.

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