Entretien avec Alex Reding

26 nov. 2021
Entretien avec Alex Reding

Article en Français
Auteur: Loïc Millot

Vous avez un parcours académique dans le domaine de l'art – vous êtes passé par la Sorbonne et par l'Académie des beaux-arts de Düsseldorf – d’où la question sur l'origine de votre vocation : pourquoi avez-vous choisi d'exercer dans le domaine de l'art, ou pour le dire autrement : qu'est-ce que vous trouviez dans le domaine de l'art que vous ne trouviez pas ailleurs ?

L'engagement dans l'art est d'abord un engagement en faveur d'un certain nombre de valeurs, comme la liberté, ensuite c'est une manière assez précise de proposer des idées et d'en débattre. Chaque proposition artistique est une proposition de concepts, d'idées et de sensibilités qui peut être discutée par le public sur la place publique. Il ne faut pas non plus oublier qu'il faut avoir une sensibilité particulière à l'art. Comme vous l'avez dit, j'ai commencé mon parcours en tant qu'artiste, puis j'ai pu prolonger cela à travers la carrière de galeriste et d'organisateur de la Luxembourg Art Week. Je pense qu'il est important de travailler dans le domaine où l'on a du talent et cela vaut pour tous les métiers. Le mien, c'est l'art et l'organisation d'événements autour de l'art.

En tant que galeriste, est-ce que vous vous appuyez sur des critères d'évaluation particuliers pour sélectionner une œuvre et, si c'est le cas, est-ce que sont des critères subjectifs ou des critères objectifs tels que les récompenses ou la cote d'un artiste ?

Ce n’est ni l'un ni l'autre. Il est évident qu'au niveau de mes propres convictions, de ma propre esthétique, je dois pouvoir être en mesure de défendre à 100 % un travail. Donc je ne vais pas choisir quelque chose qui sort de ce que je considère comme étant de qualité, de beau, d’intéressant. Il y a un nombre important de critères d'évaluation objectifs qui se rajoutent à cela et qui sont plutôt de l'ordre du développement de la galerie. Il faut des équilibres esthétiques et de propos. Que différentes tendances y soient montrées, avec une représentation équitable des sexes, des nations, des continents. Qu'il y ait des jeunes et des vieux, des artistes connus et de jeunes talents qui soient portés par la galerie.

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Luxembourg Art Week 3D

Qu'est-ce qui a vous a donné envie de fonder, en 2015, la Luxembourg Art Week : était-ce le constat d'un manque de visibilité du Luxembourg sur la scène de l'art contemporain, ou au contraire la volonté de faire du Luxembourg une capitale européenne de l'art contemporain au même titre que Cologne par exemple ?

Certes, il y a le constat d'un manque : on n'a pas de manifestation internationale, on n'a pas d'événement qui fédère toute la scène, on n'a pas de visibilité globale de la scène. Il y a donc déjà le constat d'un manque mais je dois dire que votre deuxième point est tout à fait vrai : on a en effet cette volonté de « pousser » le Luxembourg sur la carte internationale et l'on y arrive progressivement. Cette année-ci, on a eu des collectionneurs belges et français, et des galeristes internationaux sont venus de loin pour assister à la manifestation et l'évaluer pour revenir l'année prochaine. Peut-être que l'argument le plus important est que le Luxembourg est entré dans une nouvelle époque depuis 15-20 ans environ.

Vous savez très bien que les Luxembourgeois actifs au Luxembourg ne constituent même plus un tiers de la population – je crois que cela correspond à 27 % de la population nationale. Le Luxembourg a complètement changé depuis 30 ans. En d'autres termes, nos acteurs économiques principaux sont issus de l'étranger et l'un des enjeux consiste à les intégrer au milieu culturel, que ce soit par leurs forces financières comme par leurs intérêts artistiques. Il est vrai que ces nouveaux venus ne connaissent pas forcément nos réseaux habituels, donc ils sont très peu intégrés à la vie sociale en générale, mais aussi à la vie culturelle en particulier. Il s'agissait, pour moi, de créer un événement d'une taille telle qu'ils sont invités à y participer.

Avec l'ouverture dont nous disposons en communication, en médias, en networking, mais aussi avec les banques privées, nous avons su regrouper énormément de gens habitant au Luxembourg que je n'avais encore jamais vu. Si l'on est en perte de vitesse, c'est parce que l'on n'a pas réussi jusqu'à présent à inclure les forces vives qui sont arrivées au Luxembourg. Et l'on ne peut maintenir notre équilibre et notre croissance que si toutes ces forces participent à notre vie culturelle. L'idée était donc de faire un événement qui possède une force de frappe médiatique, une présentation physique et une qualité exceptionnelle d'envergure internationale. J'ai d'ailleurs une anecdote à ce sujet : l'autre jour, l'un de mes meilleurs copains était chez le coiffeur et celui-ci était en train de discuter avec une cliente. Il lui a dit qu'il était allé deux fois à la Luxembourg Art Week, que c'était formidable et qu'il avait même acheté une œuvre...

La Luxembourg Art Week vient de finir : quel premier bilan dressez-vous de cette édition ?

Un bilan positif, sur tous les plans. Car on a effectivement passé un cap. Le professionnalisme, les infrastructures, la nouvelle tente, comme l'extension de la surface d'exposition, ont permis aux galeristes de se sentir à l'aise comme sur les grandes foires internationales, de faire des accrochages plus généreux, plus beaux... Comme beaucoup de galeristes l'ont remarqué, on est arrivé à un niveau international. Plus de 15 000 visiteurs sont venus malgré l'entrée payante, ce qui est rassurant pour l'année prochaine. Le plus important pour moi, c'est que les galeristes reviennent, qu'ils continuent à nous faire confiance et à promouvoir leurs artistes ici, à Luxembourg. Les galeristes luxembourgeois représentaient environ un quart des exposants pour environ 100-150 artistes luxembourgeois. C'est leur promotion qui est également mise en avant.

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© Tania Bettega

Cette année, il y a eu un focus sur la Belgique, où vous avez ouvert également une galerie. Quel regard portez-vous sur la création contemporaine belge ?

Elle monte en puissance, les institutions et les galeries également. Elle est incroyablement intéressante et très abordable. Bruxelles fait indéniablement partie du top 5 en Europe, et mondialement du top 10, ce qui est remarquable pour une ville d'un million d'habitants.

Et qu'en est-il de la scène luxembourgeoise ?

Elle a beaucoup évolué. Grâce à des institutions comme le Mudam ou le Casino Luxembourg-Forum d'art contemporain, on a une force de frappe plus grande qu'avant. Il est vrai cependant que l'on manque encore un peu d'audace au niveau de la création de nouvelles galeries. Comme je le dis toujours, j'ai souvent l'impression d'être, à 50 ans, le plus jeune galeriste du Luxembourg.  J'aimerais voir des jeunes qui prennent la relève et qui osent exercer ce métier.

Justement, en regard de votre expérience, auriez-vous des conseils à donner à un jeune galeriste qui souhaiterait se lancer dans le métier ?

Il y aurait de nombreux conseils à donner. Je ne vais pas livrer tous les secrets du métier mais il est important qu'il ait une vision, de la persévérance, un sens affûté de l’engagement envers des artistes et la création. Un certain engagement qui se transmet naturellement aux collectionneurs. Je dirai que c'est surtout un combat et un engagement quotidiens qui demandent beaucoup d'énergie. Mais les retours sont tout de même considérables.

Enfin, songez-vous déjà à des perspectives d'évolution concernant la prochaine édition de la Luxembourg Art Week ?

Effectivement, les projets sont multiples. Il faut tout d'abord trouver une nouvelle ville pour le Focus ; on regardera peut-être vers l'Allemagne. Puis il faut que l'on continue à faire de la prospection pour des galeries de bon niveau. Il est important d'offrir un choix large et européen, voire mondial, à notre public, donc on reste très attentif à ce sujet. On est aussi très attentif à la stimulation de la demande, car cela fait partie du succès de la Luxembourg Art Week et de la scène luxembourgeoise. Il y a encore du chemin à faire sur ce point-là. L'autre chantier enfin, c'est la venue d'amateurs étrangers, de collectionneurs étrangers, qui nous semblent vraiment importants afin de développer davantage la foire et l'image du Luxembourg. Avec les amis des musées et les banques privées, on cherche donc à développer la venue d'amateurs d'un côté, et de collectionneurs de l'autre.

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