Le fabuleux destin de Lisa Junius

23 aoû. 2021
Le fabuleux destin de Lisa Junius

Article en Français
Auteur: Godefroy Gordet

« Tout simplement créer »

Lisa Junius a fait de son rêve d’enfant une réalité, celui de devenir artiste. Inconsciemment influencée par feu son grand-père le peintre Jean-Pierre Junius, et l’environnement créatif de son enfance, elle s’embarque d’abord dans des études en Arts Plastiques, pour finalement modeler ses premières céramiques et rencontrer dès ses débuts, un large succès dans une veine d’abord commerciale. Abandonnant ses doutes, elle se lance en tant qu’artiste indépendante, et rapidement son travail dépasse le cadre de la commande pure, pour s’installer en sus, dans l’institutionnel. Artiste pluridisciplinaire s’essayant à tous les médiums, Junius tend vers les beaux-arts autant que le design d’objet, pour toujours associer à ses œuvres des figures féminines, transposées par fantasmagorie, dans des nuances de bleus sur motifs blancs, ou inversement. Pourtant, exit l’idée d’une conceptualisation à la Klein de « son bleu », celui-ci est pour elle « intuitif », utilisé comme outil maitre pour donner à voir le trio de thématiques qui transperce ses œuvres, l’univers céleste, le rêve et l’imagination.

© Lisa Junius

© Lisa Junius

Il y a quelques années, tu parlais de ton univers en bichromie fait de bleu et de blanc, comme « mettant en scène des femmes dans un monde merveilleux et libre, un monde dans lequel on peut rêver, un monde calme mais plein de force ». Comment a évolué ce monde au fil du temps dans ton esprit comme dans tes créations artistiques ?

Je ne pense pas que cela ait beaucoup changé. Il y a de temps en temps quelques tons de violet et de rose qui commencent à s’y inviter, mais je pense que ces couleurs fonctionnent toujours très bien avec l’idée de l’univers et de l’imagination, un peu comme celles des aurores boréales ou des arcs-en-ciel.

Peintures à l’huile, illustrations, sculptures, céramiques, fresques murales, textile, bijoux, design produit… Ton travail artistique se caractérise par sa pluridisciplinarité. Dans tes expérimentations de nouveaux matériaux et techniques, que te reste-t-il à explorer ?

Il y a tellement de beaux matériaux, techniques et savoir-faire dans le monde, je pense qu’il me reste encore beaucoup à explorer. Chaque domaine, celui de la céramique ou du textile par exemple, est énorme. Il y a tellement de choses à apprendre ou à tenter, je trouve ça fascinant. En ce moment, j’envisage de m’acheter un « tour » pour faire de la céramique, tourner et travailler avec des nouveaux émaux, peut-être.

© Lisa Junius

© Lisa Junius

Des matériaux et techniques, tu ne cesses d’expérimenter. Jusqu’où pourrait te mener cette « obsession » de toujours tenter de nouvelles choses ?

Je ne vois pas ça comme une obsession. J’aime tout simplement créer des choses, être dans mon atelier et me laisser aller. C’est le processus que j’adore. Il y a des jours où je tente un nouveau matériau, mais je reviens toujours vers des techniques que je connais déjà. C’est une sorte de vas-et-viens.

Tu cumules des projets de commandes avec des projets plus personnels, et d’autres autour d’actions publiques. Comment vois-tu ces différents cadres de travail et comment les associes-tu à ton quotidien d’artiste ?

Ces différents projets me permettent d’avoir un peu de changement au quotidien. Quand on travaille toute seule dans son atelier pendant des jours et semaines, on peut se sentir un peu isolé, par moment. Un projet dans l’espace publique comme par exemple, une fresque, enrichit forcément mon quotidien. Parfois, c’est rafraîchissant. Mais il peut se passer aussi l’inverse : après plusieurs projets hors de mon atelier, je suis contente de me retrouver seule avec mes pinceaux. C’est un peu comme quand je passe d’un matériau à l’autre : une expérience enrichie une autre.

Tu expliques que ton inspiration vient des livres. Tu lis quoi en ce moment et qu’ont ajoutées à ton univers, tes lectures actuelles ?

Mes lectures sont de natures diverses et variées, des romans, essais, biographies ou même des livres d’enfant. Les livres qui me sont restés beaucoup en tête ces derniers temps sont des textes de Hundertwasser, les romans de Juliet Marillier, mais aussi des livres sur les plantes médicinales et les champignons. Ces différentes inspirations pointent en même temps vers une nouvelle compréhension de la nature, et j’essaie d’incorporer ces idées dans mon art.

© Lisa Junius

© Lisa Junius

Folklore, histoires, mythologies anciennes et rituels, fondent la plupart des récits de tes œuvres. Mais ce qui traverse largement ton travail c’est cette figure féminine, entourée d’une forme de magie, et surtout de nature. Peux-tu nous expliquer cette idée que tu désignes comme un « éco-féminisme » ?

L’idée d’un « éco-féminisme » décrit la relation entre la nature et la femme, mais c’est encore beaucoup plus vaste que ça. À travers mon art, j’essaie de représenter et de rétablir ce lien spirituel et directe.

En juin 2018, tu réalises Magical Nature, ta première fresque murale pour le Kufa’s Urban Art, sur les murs d’une école. Un projet que tu qualifies de « challenge », et une expérience « qui ne me quittera plus », expliques-tu. Quelle a été la genèse de ce projet et les sentiments qui t’ont parcouru à son aboutissement ?

Fred Entringer de la Kulturfabrik m’a contacté après avoir vu la fresque que j’avais faite à l’intérieur du 1535° et m’a demandé si je serais intéressée de participer au Kufa’s Urban Art. Évidemment, j’ai dit oui ! Comme dit, c’était un challenge, n’ayant jamais utilisé une nacelle auparavant, ni travaillé à cette échelle. Mais c’était une expérience géniale et j’ai beaucoup appris.

Lisa Junius, KUAE 218 © Emile Hengen

Lisa Junius, KUAE 218 © Emile Hengen

Forte de cette première aventure du côté du street-art, tu poursuis d’autres projets dans ce sens, et notamment pour l’édition 2021 du Kufa’s Urban Art avec ton Temple. Tu investis cette année le kiosque du Parc Gaalgebierg pour en faire un temple qui célèbre la relation entre la nature et la femme. Tu nous expliques l’idée derrière cette œuvre « monumentale » ?

Quand on m’a demandé de peindre le kiosque au Parc, j’ai été tout de suite inspirée par son architecture. Contrairement aux murs plats que j’avais fait auparavant, j’avais ici la possibilité de créer un environnement, une pièce dont on peut faire l’expérience non seulement avec les yeux, mais avec tout son corps. Je voulais créer un espace paisible et calme, où le bleu serait omniprésent. Quand on entre dans le « Temple », le sol, le plafond et les murs sont peints dans un bleu profond. On entre dans l’univers, dans l’océan, dans le rêve. J’ai peint deux grandes femmes qui portent des vases sur leur tête. De ces vases sortent la magie, de l’eau, la nature. Pour l’extérieur, je me suis inspirée du Folk Art. Je trouve géniale, l’idée du « overload » floral. Alors, j’ai fait cette bordure de fleurs pour valoriser encore plus l’architecture du kiosque. En bas, on peut voir des carreaux qui ressemblent aux carreaux Patchwork. Je voulais ici valoriser la beauté et l’importance du fait-main et du savoir-faire ancien.

Lisa Junius, KUAE2021 © Gilles Kayser

Lisa Junius, KUAE2021 © Gilles Kayser

Récemment le Cercle Cité t’a proposé d’investir les portes du bâtiment, rue Genistre. Quelle était l’idée derrière ces trois fresques murales ?

Pour les trois portes, je voulais créer une pièce en continue. En marchant, on peut découvrir l’image de la femme qui est assise dans le coin de la porte qui tend la main et de laquelle sortent des plantes.

À notre première rencontre, tu expliquais développer un projet de sculptures urbaines. Comment s’est retranscrite cette idée et as-tu poursuivi tes expérimentations dans ce domaine ?

Pour le « Temple » pour le Kufa’s Urban Art, j’ai en effet créé du mobilier urbain. Il se situe à l’intérieur du bâtiment et il s’agit d’une sorte de banc, d’une chaise-longue et de deux poufs.

Pour finir, après une crise sanitaire – même si persistante –, quelles sont tes plans pour le futur proche, tes rêves d’artiste ?

En ce moment, j’essaie de ne pas trop planifier et laisser mon agenda vide. Je vais déménager dans un atelier plus grand cet hiver, du coup ce sera un « nouveau début » pour moi.

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