Entretien avec Isaiah Wilson

02 juin. 2023
Entretien avec Isaiah Wilson

Article en Français
Auteur: Loïc Millot

Pouvez-vous évoquer tout d’abord votre formation au Lycée des arts et métiers ?

 Au Lycée des arts et métiers, j'ai suivi la section artistique générale, ce qui m'a permis d'apprendre un grand nombre de techniques différentes, allant de la peinture à la sculpture, du design au travail en 3D, en passant par la photographie et les bases de l'architecture.

Saviez-vous que vous alliez vous orienter vers la pratique de la danse quand vous avez rejoint le Lycée des arts et métiers ?

J'ai su très tôt ce que je voulais faire de ma vie. La danse était une passion que j'investissais pendant mon temps libre. C'est ce qui m'a permis d'aller de l'avant, de rester motivé et d'obtenir de bons résultats à l'école, car l'école est devenue un terrain d'apprentissage et de renforcement de mon art. L'école est venue nourrir un nombre important de réflexions.

Vous avez ensuite intégré l’université Codarts Rotterdam : pouvez nous parler de l’enseignement qui y était dispensé, qui est, je crois, très centré sur l’interdisciplinarité ? Et qu’avez-vous retenu de cet enseignement pour votre propre pratique ou conception de la danse ?

Codarts est une université qui compte trois grands secteurs : Danse, Cirque et Musique. J'ai fréquenté le secteur danse. Ces quatre années d'école m'ont vraiment formé en tant que danseur. J'ai appris à maîtriser de nombreuses techniques de danse, nous changions de professeurs toutes les deux semaines, ce qui était très enrichissant pour nous. En plus des compétences techniques très diverses qui nous étaient transmises, Codarts nous a également donné la possibilité d'apprendre le répertoire avec des chorégraphes mondialement connus, avec plusieurs tournées qui en découlaient, jouant certaines pièces plus de 40 fois. Pendant mon séjour à Codarts, j'ai continué à créer en parallèle en réalisant des vidéos et en composant de la musique pendant mon temps libre. J'ai également assisté aux cours de cirque ouverts le week-end, où j'ai appris l'acrobatie et les bases du cirque. Cette formation m'a vraiment préparée au monde de l'art et m'a donné des outils non seulement en danse, mais aussi en santé, nutrition, histoire de la danse, marketing, gestion, etc. De plus, vivre au Pays-Bas était un apprentissage culturel et artistique de tous les jours. C'est un pays qui regorge de musées d'art contemporain, d'endroits si insolites, créatifs et libres. J'ai rencontré des gens libres dans leur art et dans leur façon de penser le monde : Et ça, c'est une inspiration qui m'accompagne au quotidien depuis.

La danse contemporaine interagit souvent avec d’autres arts, dont elle s’imprègne et se nourrit. Comment intégrez-vous cette dimension interdisciplinaire au sein de votre propre travail chorégraphique ?

Pour moi, les différents supports artistiques sont utilisés pour exprimer des choses différentes. Le cinéma permet de créer des images, la danse permet une communication non verbale et la musique peint le subconscient. J'aime avoir la possibilité de choisir. Je pense d'abord à une idée, puis à la manière dont cette idée sera traduite, ce qui est le plus fort. Ensuite, je choisis le médium nécessaire pour explorer pleinement l'idée. Chaque concept n'a pas besoin d'être un spectacle de danse, il peut s'agir d'un poème, d'une peinture ou simplement d'une pensée. Lorsqu'il s'agit d'un travail interdisciplinaire, c'est une question de dosage pour moi, de pouvoir parfois laisser plus d'espace à la musique ou de choisir de mettre l'accent sur la scénographie ou simplement d'explorer différentes façons de bouger le corps, ce qui me permet d'étoffer des histoires et des concepts complexes qui sont équilibrés et qui appartiennent à un monde unique dans lequel le spectateur peut se plonger.

Hormis la danse, vous êtes aussi directeur artistique et photographe au sein d’une société multimedia. Y a-t-il des passages, des formes de porosité entre votre pratique de la danse et votre pratique professionnelle ?

Lorsque j'ai terminé Codarts, j'ai immédiatement commencé à travailler avec Foqus. C'était une phase de transition dans mon parcours artistique pour devenir indépendant. J'y ai travaillé pendant deux ans à mi-temps en tant que directeur artistique et caméraman, tout en continuant à travailler au théâtre en parallèle. J'ai toujours aimé filmer et j'ai beaucoup appris avec eux. Aujourd'hui, je suis complètement indépendant mais je continue à travailler avec eux, sur mes propres projets ou en les accompagnant sur les leurs. Foqus, cela a d'abord été mes amis, puis cela s'est transformé en partenaires de travail. Aujourd'hui, ils sont les deux.

Quels sont les chorégraphes qui vous servent de modèles ou de source d’inspiration ?

Beaucoup. Emio Grecko, par exemple, pour qui j'ai travaillé lors de mon stage professionnel pendant un an m'a bouleversé. Son implication et sa viscéralité m'ont réellement touché. Aussi, le travail de Marco Goecke, car j'y ai touché à Codarts, j'ai pu avoir accès à sa façon de penser, à la manière dont sa vulnérabilité lui ouvre un champ artistique si unique, c'est un privilège en quelque sorte.

 Je trouve aussi de l'inspiration dans les œuvres que je n'aime pas particulièrement, ou dans les démarches artistiques auxquelles je n’adhère pas. Elles m'incitent à réfléchir à la manière dont j'aborderais le sujet différemment et m'aident à comprendre pourquoi la pièce n'a pas fonctionné. Une grande partie de mon inspiration vient d'ailleurs, en dehors du domaine de la danse. Je garde un petit carnet dans lequel j'écris des concepts aléatoires qui me viennent à l'esprit sans jugement. J'aborde généralement mes pièces avec une certaine distance et je tente de m'éloigner de la notion de “goût personnel”, ce qui me permet de regarder mon travail à travers la lentille d'un scientifique essayant constamment de réfuter ma propre thèse et si, à la fin, la thèse tient toujours la route, je la présente.

Pouvez-vous nous parler de Passenger (2022), ce film que vous avez réalisé presque entièrement ?

Passenger est une pièce vidéo que j'ai créée pendant les périodes de Covid pour l'événement 1+1 au Trois CL. Ce projet vidéo est né lors de mes débuts en tant que créateur. C'était ma première pièce officielle et j'en garde un souvenir émouvant. Il a été filmé en rétroprojection pour donner l'illusion que j'étais au volant d'une voiture en mouvement. J'ai également demandé à mon frère de secouer la voiture et à mon meilleur ami de faire bouger les feux pour simuler la circulation. Cela a créé une image réaliste qui a ensuite été transformée par une danse sinistre et absurde. Ce projet vidéo était une performance en direct et a été diffusé sur Zoom pour 8 personnes individuellement. Nous nous sommes beaucoup amusés.

Screenshot Passenger 2 ©Isaiah Wilson
Screenshot Passenger 2 ©Isaiah Wilson

Vous jouez au côté de Sarah Baltzinger dans Megastructure, présenté au Trois CL. Pouvez-vous nous parler de cette pièce, de ce qui vous a séduit dans celle-ci ?

Il s'agit d'une pièce intime dans laquelle Sarah et moi nous sommes investis à parts égales pour créer quelque chose qui reflète notre vie en tant qu'artistes et en tant que couple dans la vie. Nous voulions créer une pièce qui soit dépouillée de toutes les tendances. Nous avons décidé de ne pas avoir de scénario, de danser en silence et d'utiliser les lumières de service du théâtre. Nous avons tout réduit au strict minimum. C'est une pièce de 40 minutes où la rencontre de nos deux corps créent des déplacements et des structures uniques et insolites et où la connexion entre Sarah et moi émerge dans son état le plus vulnérable.

Megastructure ©Alexandre Iseli
Megastructure ©Alexandre Iseli

Comment s’est déroulée votre collaboration avec Sarah qui a commencé, je crois, il y a un an environ ? Et comment vous êtes-vous réparti le travail sur Megastructure ?

Comme nous vivons ensemble, nous parlons beaucoup et partageons toutes nos idées.C'est une collaboration naturelle puisque nous sommes tous les deux des créateurs. La création de MEGASTRUCTURE est née d'un désir mutuel de créer quelque chose ensemble. Créer une pièce qui nous appartient à tous les deux. Je dirais que Sarah et moi sommes complémentaires dans notre façon de travailler, nous nous amusons beaucoup et le travail est très fluide, nous communiquons bien et nous respectons toujours les besoins de l'autre. Nous comprenons l'approche artistique de l'autre et lui laissons de l'espace, tout en lui apportant un regard extérieur honnête.

Souhaitez-vous aborder des sujets ou des projets sur lesquels vous comptez prochainement travailler ?

Je suis toujours à la recherche d'innovations et de choses qui me passionnent. J'essaie de repousser les limites pour créer des pièces qui m'intriguent et me mettent au défi. Cela peut prendre n'importe quelle forme artistique, mais cela doit venir d'une envie et d'une fascination personnelle. La création d'un projet prend généralement un an et si je ne suis pas totalement fasciné par le sujet, je m'ennuie facilement. Je pense également que c'est un ingrédient nécessaire pour que le spectateur ne s'ennuie pas. Pour l'instant, je me concentre sur les pièces que je crée actuellement et qui seront en diffusion à compter de 2024, telles que Submerge, Megastructure et Score que je débute seulement.

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