David Soner

15 mar. 2023
David Soner

Article en Français
Auteur: Loïc Millot

Pionnier du graff’ et de la culture hip-hop originaire de Metz, David Soner évolue au Luxembourg depuis plus de dix ans où il a lancé sa propre entreprise de graff’ promotionnel, Pschhh. Il revient ici, avec une grande sincérité, sur sa trajectoire, son style, ses influences, et ses nouveaux projets alliant mapping et fresque murale.

 

Quand et comment as-tu intégré le milieu du graf’ ?

Je suis tombé amoureux du graffiti au tout début des années 90 via la culture hip hop. Je suis de cette génération qui a reçu le package complet en provenance des États-Unis (break-dance, rap music, djing et graffiti writing qui est l’art de dessiner son nom) et j’ai pratiquement essayé toutes ces disciplines.

Je suis l’un des premiers à Metz à avoir tagué dans les rues, puis à directement avoir travaillé sur des fresques couleurs de grand format. Avant de passer sur mur, je me suis entraîné dur pendant 2 ans à dessiner des lettres sur papier (1990-1992). Tout était à faire.

A partir de quand es-tu passé d’une pratique amateure à une pratique professionnelle ?

Dès le début, je me suis orienté sans le savoir à professionnaliser les choses. J’ai tout de suite reçu des commandes alors que je n’étais que lycéen. J’ai même eu droit à mes premiers articles de presse et interview TV, je n’étais qu’en première. Par contre, cela a pris plusieurs années avant de quitter le salariat pour embrasser une carrière d’artiste. Avant c’était impensable, car trop avant-gardiste, le public et les potentiels clients n’étaient pas prêts ou n’existaient quasiment pas. Nous étions à cette époque une petite poignée et étions vus comme des extra-terrestres. Il fallait vraiment être passionné et y croire. A Paris, c’était déjà un autre monde, bien plus en avance qu’en province. Même le matériel que l’on connait aujourd’hui était rare ou n’existait pas. La première marque de bombes de peinture destinées à la fresque graffiti a été commercialisée en 1994 et n’ont pas été tout de suite bien distribuées. Les choses se sont développées dans tous les sens dans les années 2000 et il était temps à un moment donné de franchir le pas, à défaut de passer à côté et de prendre le risque de devenir aigri en voyant la jeunesse récolter tout ce que nous, anciens, avions alors semé.

Quand et pour quelle raison as-tu fait le choix de résider et de travailler au Luxembourg ? Peux-tu citer quelques lieux notoires que tu as peints et dont tu es particulièrement fier en y indiquant la démarche que tu as suivie ?

Je suis devenu frontalier en 2000, à ce moment-là j’étais graphic-designer de métier. J’ai intégré différentes entreprises jusqu’à occuper durant 7 années l’équipe graphique d’une des plus grosses agences de communication. J’avais à côté de mon job une vie artistique, des expos, des fresques, etc… En 2011, après un divorce, je me suis installé à Luxembourg. Et en 2014, après avoir encaissé une dépression, j’étais arrivé au bout d’un cycle. Je devais aussi divorcer professionnellement parlant. Je me suis lancé dans l’entrepreneuriat et suis donc devenu indépendant. Les choses se sont enchaînées, toujours avec beaucoup de travail personnel en arrière-plan. En parlant de lieux notoires, je pense aussitôt au sol d’un playground que j’ai peint à Esch-sur-Alzette dans le cadre du festival Kufa urban Art Esch. La même année, je peignais mon plus long mur à Metz (70 mètres), juste à côté du Centre Pompidou-Metz. C’était pour le festival Constellations. J’étais cette année-là le premier artiste transfrontalier présent en même temps sur les deux événements. Pour Esch, j’ai pensé à quelque chose de coloré et ludique car c’était le terrain de basket d’une cour d’école. Pour Metz, par contre, je me suis inspiré de l’environnement pour proposer quelque chose qui s’y intégrerait de la bonne manière. Me vient aussi en tête une façade que j’ai peint pour l’association Fairtrade Luxembourg au passage à niveau en plein centre de Differdange ou la façade de la Fondation Abbé Pierre, une très belle expérience artistique et humaine…

David Soner

Y a-t-il des institutions au Luxembourg qui ont été créées en vue de soutenir cette activité ? Selon toi, faudrait-il une impulsion institutionnelle en ce sens pour développer l’essor du graff’ ?

L’essor du graff a bien eu lieu, la différence est flagrante entre 1990 et aujourd’hui. C’est rentré dans les mœurs, dans les familles, dans les entreprises, les écoles, … les jeunes (30 ans et moins) sont nés dans un environnement peuplé de fresques et de tags. Tout ceci fait partie du paysage aujourd’hui. Par contre, il y a des choses à faire pour être encore mieux considéré, à l’instar d’un artiste contemporain dit classique. Je rêverai que nous soyons respectés et traités de la même manière. Et cela passe par l’institutionnalisation, plus de commandes publiques. Et surtout gommer le côté « social et jeunesse » au profit de l’« artistique et culturel » ! De nombreux ateliers en quartiers dits « difficiles » ou avec des jeunes dits « en décrochage » ont été menés. Le graffiti est certes un vecteur social mais, et j’insiste sur ce point, c’est un mouvement culturel et artistique qui a ses racines et qui s’est émancipé depuis, il faut le voir et le reconnaître. C’est de la création artistique. La plus grande marque de respect et de reconnaissance que l’on serait en droit de recevoir est d’être rémunéré comme un artiste « contemporain ». 

David Soner

Peux-tu me présenter les diverses activités que tu développes dans le cadre de ta société, Caligrafizm ?

Caligrafizm est tout ce que je propose en terme de design graphique, illustration et calligraphies. C’est une petite partie de mon travail aujourd’hui. J’ai développé une offre autour de l’art urbain (team-building, événementiel & fresques murales) depuis 2015 et c’est ce qui aujourd’hui occupe la plus grande partie de mon temps (cf. www.pschhh.lu). En parallèle, je fais un travail de fond sur ma carrière d’artiste (www.davidsoner.com).

Quelles sont les différentes influences culturelles qui ont influencé ton travail ? Peux-tu citer quelques noms de personnalités du graff’ qui t’ont marqué particulièrement ?

Je dirais que j’ai été énormément influencé au début par la culture hip hop. J’ai reçu l’héritage du graffiti writing new yorkais que j’ai disséqué et singé pendant des années. Je dirai incontestablement que Mode2 m’a donné l’envie, et ensuite des lettreurs comme CES, Dare (rip), l’école parisienne des 90s... A côté de cela, le fait d’avoir travaillé dans le design graphique m’a ouvert sur d’autres choses. Je dirai que cela a affiné ma curiosité. Je suis tombé amoureux de la calligraphie orientale, j’aime les courbes et la finesse et je pense que cet aspect transparait dans mon travail. J’ai toujours eu un faible pour les travaux à base de typos. Des personnes comme Martin Schmetzer, Si Scott, ou des illustrateurs comme Giger ou Escher m’ont marqué. Je suis très éclectique : j’aime regarder le travail des autres artistes, graphistes, typographes, je me prends toujours des claques et ça me motive !

Onassim

Comment définirais-tu ton style graphique ? Quels sont les éléments qui le caractérisent selon toi ?

Je résumerai cela comme un mélange de formes graphiques couplées à des sujets figuratifs formés par des courbes. Parfois on peut y trouver de la lettre. Et quelques fois je peux y mettre de l’énergie héritée de la peinture en rue via cette gestuelle rapide du tag et de l’abstraction brut. Et le contraste entre niveaux de gris et couleurs chez moi est prégnant. Je pense aussi que mon style a évolué avec le temps via la transition vers de nouveaux outils (Ipad, vectoriel) et graphiquement cela se ressent. Après j’ai tellement réalisé de choses éclectiques que j’ai acquis une technique assez large et complète. Je serai capable, je pense, de devenir un vrai faussaire !

As-tu tissé des relations professionnelles avec d’autres graffeurs de la scène luxembourgeoise dont tu apprécies le travail et, si c’est le cas, lesquels ?

Oui bien sûr, j’ai déjà collaboré notamment pour un projet sur Cloche d’or avec Alain Welter et Raphaël Gindt. J’ai été invité aussi à peindre à Leudelange par Raphaël. Mais de manière générale, je suis plutôt de nature solitaire A l’époque des « crews » dans le graffiti, j’étais un électron libre, solitaire, mais tout de même connecté à tout le monde. Cela me va bien ainsi. Cela n’exclut pas que mes relations soient emplies de respect envers les autres.

A quoi travailles-tu en ce moment, sur quel lieu ?

En ce moment c’est plutôt calme alors j’en profite pour faire de l’ordre, communiquer, préparer la haute saison. Soit les joies de l’indépendance avec ses hauts et ses bas. L’incertitude fait partie de ce métier et les horaires de bureau sont un fantasme. J’ai mon bureau-atelier au 1535 Creative Hub à Differdange, un super lieu qui regroupe plein d’entreprises de l’industrie créative luxembourgeoise.

Quels sont les prochains projets que tu comptes prochainement réaliser ?

J’aimerais vraiment travailler sur un gros projet où je mélangerais la technique de projection vidéo (mapping) sur de la fresque murale dans le but de créer une illusion optique, une nouvelle expérience immersive encore inédite au Luxembourg. Les possibilités sont infinies ! J’ai déjà expérimenté ceci en 2019 sur quelques-unes de mes toiles. Tout est prêt. On a les idées, l’équipe technique qui a le savoir- faire. Il faut juste maintenant trouver un lieu et un financement. 

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