Les musées face aux digital natives : un autre regard sur la médiation culturelle 1/2

18 mai. 2022
Les musées face aux digital natives : un autre regard sur la médiation culturelle 1/2

Article en Français
Auteur: Guylaine Bouquet-Hanus

Les Millenials, terme qui – pour faciliter votre compréhension –, désigne les personnes nées entre le début des années 80 et la fin des années 1990, sont démographiquement les plus importants dans la société actuelle. La génération Y pourrait ainsi représenter jusqu’à 75 % de la population active mondiale d’ici à 2025. Ces Millennials constituent la première génération de digital natives, qui s’est façonnée au gré des changements technologiques et sociaux profonds de la société. Ce n’est pas tant le poids démographique mais plutôt le rayonnement économique de la génération Y, qui dispose d’un réel pouvoir d’achat et d’influence dans la société, qui a et aura un impact significatif sur le secteur culturel. La majorité des clients des musées et des sites culturels est traditionnellement composée de publics plus âgés, appelés à se renouveler. En tant que groupe de consommateurs, la génération Y est synonyme d’un ensemble différent de perspectives, de désirs et d'attentes, y compris dans leur relation au numérique, et les organisations muséales s'efforcent donc de s'adapter et d'avancer pour mieux se connecter avec ces publics, d’autant que les musées du monde entier ont subi de plein fouet les conséquences de la crise sanitaire.

En passant de 230 millions de visiteurs en 2019, à 54 millions en 2020 les musées ont ainsi connu une chute de fréquentation de 77 %, comme le révèle l'enquête annuelle du magazine The Art Newspaper menée auprès de 280 musées dans le monde. La réinvention de la relation avec les publics dépasse pourtant le simple cadre de la crise du coronavirus et pose la question plus profonde de l’adaptation de la médiation culturelle face aux digital natives. Cet article examine pour vous, à travers une introduction générale (partie 1) puis deux exemples pratiques luxembourgeois (partie 2), comment les musées, en tant qu’institutions culturelles majeures, évoluent pour satisfaire et engager ce public influent. Peut-être vous reconnaitrez-vous d’ailleurs ?

C’est un fait, les institutions culturelles attirent généralement un public plus « âgé » ; elles doivent donc réussir à capter les plus jeunes générations pour renouveler leur public. Elles adaptent à cette fin et depuis plusieurs décennies, tant leurs actions de médiation culturelle, que les contenus exposés ou encore la façon dont le contenu culturel est valorisé. Toutefois, cette adaptation devient vitale pour ne pas se déconnecter de générations (Y et Z) dont les valeurs ne sont pas toujours similaires à celles de leurs aînées, et où la frénésie des informations est accélérée par les technologies. Les générations tournées vers le digital consomment notamment quotidiennement des informations à partir de leurs téléphones et tablettes partout dans le monde, offrant à ces institutions des opportunités d'engagement numérique en principe illimitées dans le temps et l’espace. Pourtant, relever le challenge d’amener ou de ramener ces publics moins initiés vers la culture muséale n’est pas si aisé.

Loin de considérer ce changement de paradigme comme une menace, les organisations muséales utilisent plutôt des stratégies numériques en ligne et sur place pour créer une nouvelle forme de relations avec ces publics et une nouvelle dynamique d’engagement. Ces organisations intègrent ainsi des expériences uniques dans leurs programmes pour intéresser un jeune public adulte, selon le précepte du play to learn, dont vous nous avions largement parlé dans nos articles sur le gaming et les NFT et entendent ainsi faire le trait d’union entre différentes générations, appelées activement à rejoindre la communauté muséale. En particulier, la génération Y, pour laquelle les expériences sont cruciales, constitue un segment pertinent et important pour les musées, à travers le monde, comme évoqué plus haut. Un rapport publié en mars 2018 par l’agence de marketing américaine Impacts Experience, spécialiste de l’engagement culturel, nous apprenait déjà que le secteur culturel devait continuer à améliorer l'engagement du public au vu de la baisse historique des visiteurs, venus seulement au moins une fois en visite dans un musée au cours des deux dernières années (marché US). Parmi les actions ciblées par ce rapport, celle consistant à promouvoir des événements inédits en dehors des horaires habituels des musées ou encore à encourager le partage d’expériences, numériques ou non, entre utilisateurs désireux d’échanger les uns avec les autres.

Les digital natives consomment quotidiennement des informations à partir de leurs téléphones et tablettes. Une pratique que les musées n’ont pas manqué d’intégrer au sein-même des espaces d’exposition © Les 2 Musées de la Ville de Luxembourg/photo Christof Weber

Les digital natives consomment quotidiennement des informations à partir de leurs téléphones et tablettes. Une pratique que les musées n’ont pas manqué d’intégrer au sein-même des espaces d’exposition © Les 2 Musées de la Ville de Luxembourg/photo Christof Weber

A ce sujet, Salvador Salort-Pons, CEO du Detroit Institute of Arts, constatait déjà il y a quelques années que « les musées deviennent plus que de simples bâtiments qui abritent des collections d'art et des informations factuelles. Grâce à des collections permanentes et à une variété de programmes culturels et d'exposition, les musées se muent en des lieux de rassemblement et de partage d'expériences humaines. Ils s'affirment comme des bâtisseurs communautaires qui mettent l'accent sur nos cultures riches et diverses en tant que moyen de liaison pour notre société ».

Il est ainsi intéressant d’observer que les musées peuvent devenir des miroirs où diverses communautés cherchent à être représentées et reflétées, culturellement et individuellement. Cette perspective est donc particulièrement importante si l’on questionne la dimension de rassemblement des humains dans leur diversité, autour de la culture muséale. D’ailleurs, l’engagement sociétal des musées dans cette perspective n’est pas nouveau, et les organisations les plus connues ont commencé à s’attaquer à cette dimension intergénérationnelle il y a quelques années déjà.

Pour illustrer ce propos, et montrer comment les musées naviguent à travers des expositions représentatives de différentes histoires, cultures et générations dans leur dimension « communautaire », nous pouvons citer une action datant d’avril 2016 initiée par le musée du Louvre, qui mettait en lumière l’auteur-compositeur et musicien au multiples casquettes will.i.am, en collaboration avec le conservateur au département des Objets d’art du musée du Louvre.

On ne le présente plus aux Millenials, pour qui il est une figure emblématique du groupe Black Eyed Peas. C’est dans un documentaire lancé en exclusivité sur dailymotion et sur www.louvre.fr que le musicien mettait à l’honneur le musée du Louvre, ainsi que dans le clip Mona Lisa Smile, réinterprétation de la chanson Smile Mona Lisa. Ce documentaire est particulièrement intéressant dans sa dimension intergénérationnelle, car il met en parallèle des inventions technologiques, la starification et les réseaux sociaux d’hier et d’aujourd’hui.

Capture d’écran du clip Mona Lisa par will.i.am, disponible sous sur le portail www.louvre.fr, élément d’un ensemble de supports visant à capter les digital natives, lancés en avril 2016 par le Musée du Louvre.

Capture d’écran du clip Mona Lisa par will.i.am, disponible sous sur le portail www.louvre.fr, élément d’un ensemble de supports visant à capter les digital natives, lancés en avril 2016 par le Musée du Louvre.

Pour en revenir aux nouvelles pratiques d'engagement à un niveau plus local, nous avons souhaité rencontrer les responsables des actions numériques des 2 Musées de la Ville de Luxembourg afin de recueillir leurs perspectives actuelles et futures en matière d’offres digitales et de mieux comprendre leurs réflexions stratégiques autour de l’animation de communauté. Anne Hoffmann, conservateur adjoint au Lëtzebuerg City Museum en charge des projets, produits numériques et des médias sociaux, ainsi qu’Angelika Glesius, conservateur adjoint à la Villa Vauban – Musée d’Art de la Ville de Luxembourg, nous offrent ainsi un regard croisé sur la question des digital natives face aux musées. Retrouvez-les à en partie 2 de l’article…