Paulo Jorge Lobo : « Je photographie la banalité du quotidien »

02 mar. 2022
Paulo Jorge Lobo : « Je photographie la banalité du quotidien »

Article en Français
Auteur: Pablo Chimienti

Journaliste de profession, photographe et écrivain par passion, Paulo Jorge Lobo marie son amour pour l’image et pour l’écrit dans un deuxième zine, petite publication autoproduite et auto-distribuée dédiée à la ville de d’adoption, Differdange, et joliment intitulé Les Nuits rêvés d’un loup en hiver. Rencontre.

Vous publiez un zine. De quoi s’agit-il ?

Dans le monde anglo-saxon, un zine c’est une publication à mi-chemin entre un magazine et un livre. Ça existe depuis très longtemps, mais dans le monde de la photo beaucoup de photographes, qui sont aussi des auteurs, font ce genre de petite publication en tirage limité, autoproduite, et parfois avec des thématiques photographiques poussées, pour ne pas dire avant-gardistes, depuis une vingtaine d’année.

Le but, du coup, c’est d’exister au niveau littéraire sans avoir à passer par un éditeur ?

C’est exactement ça. On a l’impression qu’un ouvrage c’est plus pérenne qu’une exposition. Une exposition demande beaucoup d’énergie, pas mal d’investissements mais, une fois qu’elle est finie, il ne reste pas grand-chose. On vend peut-être quelques photos et basta ! Avec ce genre de publication, on fait une proposition artistique qui touche, malgré des tirages très limités, une centaine, 150, 200 peut-être, des personnes au niveau individuel.

© Paulo Jorge Lobo

© Paulo Jorge Lobo

« Cette idée d’autoproduction, de l’expression individuelle et d’un petit public est fascinante »

Si on comprend bien, le but n’est pas financier.

Non, pas du tout. J’ai vendu 160 exemplaires de mon premier zine, publié en 2020, Dans un souffle la nuit, mais en comptant tous les frais, je n’ai absolument rien gagné !

Qui achète ce genre de publication ? Des amis, des fous de photographie…

C’est un mélange de tout en fait. Il y a, à la fois, des gens qui me suivent depuis longtemps, puisque ça fait longtemps que je prends des photos, ça fait longtemps que j’ai un blog, ça fait longtemps que le poste sur les réseaux sociaux, etc. D’ailleurs dès que j’ai posté l’information que j’allais sortir Les Nuits rêvés d’un loup en hiver, certains m’ont rapidement contacté pour me dire qu’ils en voulaient un exemplaire. Mais pour le premier zine, il y a aussi eu des acheteurs que je ne connaissais de nulle part et qui m’ont contacté. Il y a aussi les principales librairies grand-ducales qui m’ont commandé de petites quantités, car ils avaient des demandes. Tout ça m’a donné envie de recommencer. Cette idée d’autoproduction, de l’expression individuelle et d’un petit public est fascinante. Du coup voilà Les Nuits rêvés d’un loup en hiver, un zine radical avec lequel je me suis vraiment fait plaisir.

© Paulo Jorge Lobo

© Paulo Jorge Lobo

« Des ambiances un peu grises, entre chien et loup »

Venons-en justement. Les photos sont en noir et blanc, prises à Differdange, mais ça dépasse la seule street photography. Il y a de l’architecture, des gens, des paysages. Et puis cette magie de rendre beaux, à travers le cadre et la lumière, des endroits finalement assez moches comme des garages. Comment travaillez-vous ?

Je photographie la banalité du quotidien. C’est vrai que c’est à la limite de la street photography qui implique de photographier des gens dans l’espace urbain de façon spontanée. Là je suis souvent en espace urbain, mais il n’y a pas nécessairement des gens et il y a aussi quelques portraits. Je voulais sortir de la définition rigoriste de la street photography pour faire quelque chose de plus personnel. Une des choses qui m’a poussé vers ça, c’est le médium. Depuis quelques années je reviens à l’argentique, je développe moi-même les films, et j’ai envie, avec cette matière argentique, de m’intéresser aux ambiances banales qui peuvent être des rues, des façades de maison ou le portrait de quelqu’un que je rencontre. Le médium contribue beaucoup à ces ambiances un peu grises, entre chien et loup, un peu mélancoliques. La plupart des photos ont été prises à l’automne dernier ou cet hiver. Je me suis donné comme objectif de me limiter à Differdange et à ses espaces qu’ils soient publics ou privés, chez moi. Ce livre est en fait l’émanation de ma pensée, ce que mon intuition m’a dicté de faire.

Pourquoi revenir au noir et blanc et à l’argentique ?

J’aime ce qui est authentique. Avec le digital on a mille possibilités, on peut faire ce qu’on veut, on peut prendre des quantités de photos, et puis il y a souvent une tendance à simuler l’argentique en ajoutant du grain. Autant revenir à l’original ! Le grain qui transparaît sur ces pages, c’est vraiment le grain lié à la pellicule. Et puis l’argentique noir et blanc correspondait bien aux atmosphères mélancoliques de cet automne et cet hiver sous la menace du Covid. À la prise de vue, ça change aussi ; avec l’argentique, on ne passe pas son temps à mitrailler, on prend son temps pour regarder les choses. Quand je décide de prendre une photo, je suis vraiment dans le moment. La photo est unique, je n’en prends qu’une ou deux, avec ses imperfections, parce que tous les réglages sont manuels. Et cette imperfection me va très bien.

Ça va de pair avec l’idée de zine. Mais quid de la qualité ?

C’est une bonne question. Je travaille dans le secteur de l’édition, c’est clair qu’il n’y a pas le même degré d’exigence selon le public. Ici, pas besoin d’être consensuel, puisque je ne vise pas une large diffusion.

© Paulo Jorge Lobo

© Paulo Jorge Lobo

« Un moment de liberté poétique »

Ce nouveau zine se veut plus radical, même que le premier…

Oui, le premier était un mélange de photos du Portugal et du Luxembourg, des photos en noir et blanc aussi, mais plaisantes, avec encore pas mal de digital, des photos propres, consensuelles. En plus les lumières du Portugal ressortaient bien, mes textes étaient sympathiques, naïfs… Quand j’ai commencé à me demander ce que je pouvais faire pour le deuxième, j’ai eu la tentation de m’intéresser une nouvelle fois au Portugal, ou à la communauté portugaise du Luxembourg que je documente depuis 20 ans, mais étant à fond dans l’argentique, j’ai décidé de vraiment accepter cet aspect. Ça me plait et je m’y reconnais totalement. En plus, je rêve toujours de voyager, mais je ne voyage pas, donc : Differdange ! Un Differdange angoissé par les restrictions, la situation sanitaire… tout ça c’est dedans, et les textes sont donc assez noirs.

Justement le livre contient aussi de nombreux textes. Ce n’est pas qu’un livre photo. Qu’est-ce que ça apporte l’écriture dans ce projet ?

J’écris depuis tout petit. J’ai toujours eu envie de prendre des photos et d’écrire. Depuis l’enfance. J’ai toujours eu des cahiers avec moi sur lesquels je notais des impressions et j’ai toujours pris des photos en parallèle. Quand j’ai commencé mon blog, en 2004/2005, tout de suite il a été composé de photos et de textes. Parfois j’écris un texte sur lequel je plaque une photo, parfois c’est l’inverse. Il y a toujours eu, chez moi, cet aller-retour entre la photo et l’écriture. C’est quelque chose qui me semble naturel. Du coup, dans ce nouveau zine, comme je suis allé vers quelque chose de radical au niveau des photos, j’ai voulu faire de même au niveau de l’écrit. Il y a des pages entières avec que du texte. Dedans j’y mets mes états d’esprit, mes questions existentielles : qu’est-ce que je fais ici à ce moment et à cet endroit ? Qu’est-ce que cette lumière ? Qui sont ces gens ? etc. C’est un flux, je commence une phrase sans nécessairement savoir, ni vouloir savoir, où elle va m’amener. C’est aussi bien un exercice introspectif que stylistique. Un moment de liberté poétique. 

Le zine sera disponible quand et comment ?

Les précommandes sont ouvertes, je vais lancer la production fin mars pour une livraison fin avril. Et je le présenterais officiellement le 16 mai au Centre culturel portugais Camões. Les personnes intéressées peuvent me rencontrer à ce moment-là ou me contacter d’une manière ou d’une autre, que ce soit à travers mon blog ou sur mes réseaux sociaux.

Les Nuits rêvés d’un loup en hiver de Paulo Jorge Lobo. 108 pages. 28 euros.

Plus d’information :

www.paulobo.com

www.paulolobo.blogspot.com

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