Bernard Baumgarten

02 avr. 2025
Bernard Baumgarten
30 ans de TROIS

Article en Français
Image : © Bohumil Kostohryz

 

Bernard Baumgarten est directeur artistique du TROIS C-L depuis 2007. Avant cela, il a joué un rôle clé dans la naissance du TROIS C-L, entre les deux éditions de la Capitale européenne de la culture, à Luxembourg, en 1995 et en 2007. Depuis peu, ce même TROIS C-L est devenu la « Maison pour la danse », un établissement désormais public au service de la danse contemporaine luxembourgeoise, de ses chorégraphes et interprètes, ainsi que des réseaux qui gravitent autour de cet art. Au fil des années, Bernard Baumgarten et ses équipes ont secoué la scène chorégraphique luxembourgeoise pour la faire devenir une scène locale vibrante, mais aussi un véritable vivier d’artistes qui rayonnent à l’international. Animée par une passion sans équivoque, la famille TROIS C-L a fait de cet espace, en trois décennies, un lieu incontournable de la danse contemporaine internationale et un véritable laboratoire de frénésies chorégraphiques. Pour célébrer les 30 ans du TROIS C-L – Maison pour la danse, l’équipe a conçu une programmation autour de propositions inédites de 30 artistes présentant 30 miniatures chorégraphiques, réparties en séries de 30 minutes chacune, dans une édition spéciale du 3 du TROIS, qui se déroulera le jeudi 3 avril prochain, avec une « reprise » le lendemain. Une obsession du « 3 », inscrit dans les gènes même de la structure, qui symbolise un cap vers trois nouvelles décennies de travail autour de la création chorégraphique au Luxembourg. 

Bernard Baumgarten, quel a été votre parcours avant la naissance du TROIS C-L ?

J’ai décidé tardivement de devenir danseur professionnel. J’avais 16 ans et je fréquentais les écoles privées de danse à Luxembourg. J’ai été repéré lors d’un summer camp au Monastère de Marienthal par des professeurs du conservatoire de Luxembourg. Ils m’ont proposé d’intégrer la deuxième année du conservatoire. Après deux ans, on m’a fait comprendre que, compte tenu de mon âge, il serait difficile pour moi de suivre les huit ans de formation nécessaires avant de lancer ma carrière. J’ai donc dû partir à l’étranger dans une école de formation professionnelle accélérée. À l’époque, Internet n’existait pas, j’ai donc dû parcourir les magazines spécialisés en danse, ce qui m’a conduit à Nice, où j’ai étudié pendant deux ans avant de passer un examen intermédiaire. Dans le secteur privé, il existait un diplôme décerné par l’association de groupement des écoles de danse de France, équivalent à un diplôme d’état. Suite à cela, j’ai été invité à rejoindre une prestigieuse école parisienne. On parle d’une époque où le mot danse contemporaine était encore nouveau sur le continent. Ce concept est apparu en Angleterre à la fin des années 1980 et a rapidement trouvé sa place dans le répertoire visuel de la danse. Cela a marqué un grand tournant.

Après votre diplôme, quels ont été vos premiers pas dans le domaine professionnel ?

Après mon diplôme en pédagogie de la danse, j’ai enchaîné quelques jobs alimentaires, comme des comédies musicales ou des publicités, avant de me mettre sérieusement à passer des auditions. À l’époque, il y avait beaucoup d’opportunités et c’est comme ça qu’un jour, j’ai intégré ma première grande compagnie contemporaine professionnelle, la S.O.A.P. Dance Theater de Francfort, dirigée par Rui Horta, bien que je ne savais même pas ce que voulait dire « danse contemporaine ». J’ai signé un contrat de quatre mois, mais finalement j’y suis resté trois ans et j’ai participé à cinq créations et des tournées internationales. Très vite, ma curiosité s’est tournée vers la création et j’ai eu l’opportunité de créer pour la compagnie. Ce succès m’a permis de travailler avec d’autres compagnies de la région de Francfort. En parallèle, je suis toujours resté en contact avec le Luxembourg, notamment à travers le Festival Cour des Capucins – inauguré en 1985 sous l’impulsion de Marc Olinger, directeur du Théâtre des Capucins, Christiane Eiffes, alors professeure de danse au Conservatoire de la Ville de Luxembourg et Normando Torres, initiateur du Festival de la Grand-Place à Bruxelles –, pour lequel je donnais un coup de main quand je le pouvais. C’est à cette époque que la première version du TROIS C-L a vu le jour autour du Théâtre Dansé et Muet (TDM), créé en 1994 par le Ministère de la Culture. Ce projet regroupait diverses associations, conservatoires, écoles privées et festivals au sein d’une même structure. C’est là qu’on m’a demandé de réaliser la première création à l’occasion de la nomination de Luxembourg en tant que Capitale européenne de la culture, en 1995.

Dans cette optique, ce sont les actions du TDM qui ont inspiré l’idée de créer un lieu permanent ?

En effet, depuis ce moment-là, je n’ai eu de cesse de soutenir l’idée de créer un centre de création chorégraphique pour la danse contemporaine, en partageant mes retours d’expériences internationales, mais aussi en continuant à créer avec d’autres. Des artistes tels que Jean-Guillaume Weis ou Sylvia Camarda ont commencé à revenir au Luxembourg puisqu’il y avait enfin une possibilité de travailler ici. En parallèle, j’ai évolué au sein du Festival Cour des Capucins, jusqu’à en devenir le directeur artistique. Lorsque Luxembourg a été à nouveau Capitale européenne de la culture en 2007, j’ai proposé un projet de lieu de résidence éphémère de six mois, destiné aux artistes de la Grande Région. Un projet qui se voulait interdisciplinaire, offrant à chacun la possibilité de concevoir un projet chorégraphique selon sa propre définition. C’est ainsi qu’est né le fameux « Dance Palace » à la Banannefabrik, un lieu bien loin de ce qu’il est devenu aujourd’hui. On avait de l’eau, de l’électricité et il ne pleuvait pas à l’intérieur, c’était l’essentiel. Dix-huit compagnies ont eu l’opportunité de travailler dans ce lieu qui devait être éphémère et c’est là que nous avons lancé les premiers « 3 du TROIS ». 

Yuko Kominami © Bohumil Kostohryz

Et c’est à ce moment-là que le lieu s’est véritablement formalisé…

Oui et non. La mission d’un lieu de travail, de répétition et de création a toujours été là dès le départ. Dès l’époque du TDM, nous étions déjà de nombreux artistes travaillant à l’étranger à revendiquer la possibilité de créer au Luxembourg et d’obtenir les financements nécessaires. Il n’existait pratiquement rien au Luxembourg, à l’exception d’une tentative malheureuse de ballet européen qui s’est mal terminée. Après quoi, les artistes se sont regroupés avec l’envie de créer quelque chose de sérieux et de se développer sur le territoire, plutôt que de toujours « importer » ou s’exporter. Le ministère de l’époque a soutenu cette initiative en nous allouent un budget que nous avons principalement redistribué pour la création. C’est comme cela que s’est formalisée la première idée du TROIS C-L.

Le projet a eu un impact considérable sur la scène de la danse contemporaine luxembourgeoise et au-delà des frontières. Depuis 2007, comment le TROIS C-L a-t-il évolué ?

À la fin 2007, suite au succès du Dance Palace, l’un des premiers projets à réunir l’ensemble de la Grande Région, je n’avais pas forcément l’ambition de rester. Une fois le projet ficelé, je l’ai transmis « clé en main » au ministère, qui m’a alors proposé d’en prendre la direction artistique, un poste qui n’existait pas encore. Ce qui m’a frappé, c’est que le ministère a reconnu la nécessité d’avoir un véritable lieu de création au Luxembourg. Jusque-là, il n’y avait pas de lieu de répétition pour les compagnies, à part les salles de théâtre, auxquelles la scène indépendante n’avait pas accès. Le ministère a donc décidé de rénover la Banannefabrik. En attendant, nous disposions d’un studio route de Strasbourg, avec deux petits bureaux, jusqu’en 2011. Je pensais y rester quelques mois et repartir, je vivais à l’époque entre Berlin et Francfort. Mais, fort du succès rencontré auprès du public comme de la critique, on m’a proposé de reprendre la direction artistique de ce lieu, qui est devenu le TROIS C-L. Ce n’était pas dans mes projets de carrière de revenir au Luxembourg, absolument pas. Et pourtant, me voilà encore ici aujourd’hui. 

Vous avez donc dû vous former sur le tas pour diriger ce lieu ?

À l’époque, le TROIS C-L n’avait pas encore toutes les missions qu’il a aujourd’hui. J’ai fait une liste de tout ce qui, en tant que chorégraphe, me semblait essentiel et idéal pour un lieu tel que celui-ci. J’ai fini avec dix pages dans les mains et j’ai commencé à mettre en place les premières actions. La première chose que j’ai instaurée a été la classe du matin pour les professionnels, gratuite, cinq jours sur sept, du lundi au vendredi. Cela a été mis en place à peine une semaine après ma prise de fonction. Puis, petit à petit, j’ai accroché tous les wagons ensemble. 

Ensuite, il a fallu adapter le modèle à la Banannefabrik… 

En effet, en 2011, nous sommes revenus à la Banannefabrik et la mission a pris une nouvelle envergure. Nous sommes passés d’un studio de cent mètres carrés à un espace trois fois plus grand, dans lequel nous étions en collocation avec d’autres associations. Nous avions trois studios de danse et de grands espaces communs où les artistes pouvaient – et peuvent toujours – travailler, manger, passer un moment d’échange et de rencontre. L’enjeu pour nous était de rouvrir rapidement nos portes au public. Et le 3 du TROIS était un format évident pour retrouver le public et garder l’énergie de l’année culturelle. Nous voulions offrir au public l’opportunité d’avoir accès au processus de création d’un spectacle, de suivre son développement et d’échanger avec les artistes. Au départ, personne n’y croyait, mais aujourd’hui le 3 du TROIS existe toujours et c’est vraiment un de nos projets phares. Nous avons continué à mettre en place des échanges de résidences qui, bien que timides au départ, se sont développés et internationalisés. Finalement, le calendrier politique a précipité notre transformation en « Maison pour la danse ».

La loi du 14 juillet 2023 a permis la création de l’établissement public « Trois C-L – Maison pour la Danse », rappelant ainsi le travail et les missions de l’a.s.b.l. d’antan. Pensez-vous que cette évolution ait été prématurée ?

Cette idée était dans nos tiroirs depuis un certain temps. Nous pensions prendre trois à quatre ans pour opérer cette transition vers la Maison pour la danse. Toutefois, cette envie de créer cet établissement public a été accélérée par Madame l’ancienne Ministre de la Culture, Sam Tanson. Le processus s’est donc fait plus rapidement que prévu et cela a été un défi pour nous. Nous avons d’abord créé l’établissement public et, depuis un an et demi, nous sommes en train de faire cette transition vers la Maison pour la danse qui sera finalisée en 2028. Pour l’heure, nous consultons l’ensemble des artistes pour recueillir leurs avis et suggestions pour cette Maison pour la danse. Nous avons des rendez-vous mensuels pendant sept mois, avec des sujets spécifiques sur lesquels ils et elles peuvent s’exprimer. À partir de ces échanges, nous allons élaborer notre calendrier et établir nos priorités jusqu’en 2030.

Elisabeth Schilling © Bohumil Kostohryz

En attendant, pour célébrer les 30 ans du centre chorégraphique, vous invitez de nombreux noms de la danse contemporaine luxembourgeoise à investir les scènes du TROIS C-L dans une édition spéciale et symbolique du 3 du TROIS, qui se veut un moment de conquête d’un public plus large, avec un événement 100% gratuit sur réservation.

Oui, bien sûr, l’une de nos missions principales est de travailler avec les divers publics, de les sensibiliser à la danse contemporaine, quel que soit leur âge. C’est d’ailleurs pour cela que nous avons créé le programme « Moovers » qui propose, à travers une expérience physique, de découvrir l’art chorégraphique. Car c’est l’un des grands défis au Luxembourg, nous avons de nombreuses écoles de danse, mais les élèves ne vont pas voir de spectacles de danse. C’est là que nous devons mener un travail de fond et de forme pour développer nos publics. Nous devons sensibiliser les publics jeunes et moins jeunes, à travers différents projets, et voir comment les amener à la danse contemporaine ou comment celle-ci peut aller vers eux. Bien sûr, il s’agit aussi de s’ouvrir aux autres, de s’inspirer d’autres cultures de la danse, comme les danses traditionnelles ou urbaines, pour enrichir la danse contemporaine au Luxembourg. Cela fait partie de nos grandes missions. Bien entendu, nous continuerons à présenter des œuvres inédites au TROIS C-L, ce qui sera possible dès 2028, lorsque l’extension du centre, à côté de la Banannefabrik, sera achevée.

Le TROIS C-L – Maison pour la danse joue un rôle clé dans l’évolution constante du domaine de la danse. En quoi cette programmation anniversaire reflète-t-elle la diversité et l’innovation qui caractérisent la danse aujourd’hui et en particulier l’identité luxembourgeoise ?

La programmation anniversaire a commencé le 3 décembre 2024, avec un gâteau d’anniversaire et la signature officielle avec le Ministère de la Culture, une célébration institutionnelle. Nous passons maintenant à l’étape suivante. Nous avons commandé 30 pièces à 30 chorégraphes, via un appel à projets à l’attention des différentes générations de la danse contemporaine luxembourgeoise. Cette initiative permet de mêler chorégraphes expérimentés et jeunes talents, encore en formation à l’étranger, mais qui ont déjà une ambition créative. Nous tenions vraiment à avoir ce mélange générationnel, pour être fidèles à la réalité de la scène actuelle et à ce qui définit la danse contemporaine aujourd’hui au Luxembourg. Nous aurons deux autres temps forts cette année, en septembre et en décembre, sur lesquels nous communiquerons plus tard. Nous présentons également une exposition d’affiches qui représentent la mémoire de la danse, un élément important pour nous. Notre mission consiste aussi à porter les témoignages de ceux et celles qui ont façonné la danse au Luxembourg. Ainsi, cet anniversaire se poursuit avec ces deux journées de programmation dansée qui montreront la danse au Luxembourg sous toutes ses facettes. Ce seront deux journées intenses, avec 30 pièces présentées en séries de quatre pièces, d’une demi-heure chacune. Au total, un programme de plus de trois heures de spectacles chorégraphiques qui se déroulera les 3 et 4 avril prochains au TROIS C-L – Maison pour la danse.

 

Informations et programmation de ce 𝟯 𝗱𝘂 𝗧𝗥𝗢𝗜𝗦 /// 𝗘́𝗱𝗶𝘁𝗶𝗼𝗻 𝘀𝗽𝗲́𝗰𝗶𝗮𝗹𝗲 𝗟𝗲𝘀 𝟯𝟬 𝗮𝗻𝘀 𝗱𝘂 𝗧𝗥𝗢𝗜𝗦 𝗖-𝗟 sur Echo.lu 

Artistes

Bernard Baumgarten

Auteurs

Godefroy Gordet

Institutions

Centre de Création Chorégraphique du TROIS C-L

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