21 nov. 2022Le Fabuleux destin de Miikka Heinonen
Auréolé, le 13 novembre dernier, du prix Pierre Werner, remis dans le cadre du Salon du Cercle Artistique de Luxembourg 2022, le photographe finlandais Miikka Heinonen s’est entretenu avec Culture.lu pour parler de sa passion pour la photographie, son envie d’expérimentations, sa place dans le monde de l’art luxembourgeois et dans son pays d’adoption.
« S’appuyant sur une technique photographique solide, Miikka Heinonen a composé un triptyque qui subtilement fragmente l’espace. Il prend ainsi trois vues d’un même intérieur en décalant légèrement à chaque fois le point de vue. La composition générale s’articule autour d’un personnage photographié dans son intimité. Sa position et son regard laissent affleurer une forme d’ambivalence dans l’atmosphère, entre refuge protecteur et isolement. L’humanité du regard qu’il porte sur son modèle invite à l’empathie. » C’est avec ces mots que le jury, composé de Paul di Felice, Lis Hausemer, Anke Reitz, Anna Bulanda-Pantalacci et Marie-Noëlle Farcy, a justifié la remise du Prix Pierre Werner 2022 à Miikka Heinonen.
Un texte dans lequel le photographe se retrouve amplement. « Quand quelqu’un d’autre fait l’expérience de ton travail, c’est toujours une nouvelle manière de voir les choses, et c’est toujours très intéressant. Je dois dire que, en lisant ce texte, je trouve qu’il représente vraiment bien mon travail » explique-t-il dans un français châtié, dans lequel on devine aisément son accent finlandais.
Miikka Heinonen est né en 1969 à Turku, cité presque millénaire et ancienne capitale finlandaise. C’est dans cette ville maritime du Sud-Ouest du pays, située à l’embouchure du fleuve Aura, et qui compte actuellement près de 200.000 habitants, qu’il suivra sa scolarité et qu’il débutera son histoire d’amour avec la photographie. « C’était au lycée, se souvient-il, pendant les classes d’art, on a eu un cours de photographie analogue et j’ai constaté que j’ai pris beaucoup de plaisir à faire ça mais aussi que j’étais aussi content du résultat de ce que je faisais ». Il n’a pas encore le bac, mais il en est déjà persuadé, il sera artiste.
Une inspiration nommée Anton Corbijn
Des études en pédagogie n’y changeront rien. « J’ai fait une maître en pédagogie, avec une spécialisation en art plastique », précise-t-il. À la fac il continuera donc ses premières explorations photos, mais touchera également à d’autres domaines artistiques. Au point que ses premières œuvres exposées ne seront pas le résultat d’une bonne maîtrise de lentilles convergentes et divergentes, de lumière pénétrant un objectif, se reflétant dans un miroir pour finalement faire réagir une surface photosensible, mais des peintures.
Mais la photographie l’emportera, entre autres grâce au néerlandais Anton Corbijn dont les clichés en noir et blanc de nombreuses star de la chanson et du cinéma – Depeche Mode, U2, David Bowie, Joy Division, Clint Eastwood… – feront le tour du monde. « C’est clairement ma première source d’inspiration », affirme Miikka Heinonen. « Non seulement ses modèles étaient des groupes que j’admirais mais en plus j’ai tout de suite aimé cet aspect à la fois très simple et très impactant de ces photos ; et puis ses noirs qui sont vraiment très noirs ». Une inspiration tellement forte que les premières photos que Heinonen a exposées étaient également des clichés en noir et blanc.
« Je suis d’ici et de là-bas »
Des exposition qui se sont déroulées principalement au Grand-Duché où l’homme s’est installé en 1996, « en suivant une femme ; désormais mon ex-femme » précise-t-il avant d’éclater de rire. « Au départ j’étais venu pour un an » se rappelle-t-il d’ailleurs amusé. 26 ans plus tard, voilà le Finlandais coordinateur pédagogique dans une des écoles européennes du pays, attaquant dans l’équipe de hockey sur glace de la capitale, les Puckers, et membre titulaire du Cercle Artistique du Luxembourg. Des occupations multiples et un métier en lien avec ses études, mais l’homme se dit avant tout artiste.
Mais malgré toutes ces activités, ce quart de siècle sur place et son atelier à la Schläifmillen – aux côtés d’autres artistes de renom tels que Yann Annichiarico, Rafael Springer, Marie-Paule Schroeder ou Dani Neumann – Miikka Heinonen se sent toujours comme un étranger au pays de la Gëlle Fra. Il s’explique : « Je ne me décris pas comme un artiste finlandais, puisque je n’ai presque jamais exposé là-bas et que je ne vis plus là-bas. Je dis toujours que je suis un artiste luxembourgeois, mais je demeure un observateur extérieur de cette société et de ce pays. Je suis là, mais pas complètement. Et c’est normal puisque je n’ai pas passé mon enfance ici. Tout ce que je connais d’ici, ce sont des choses que j’ai apprises, pas des choses avec lesquelles j’ai grandi ». Une déclaration en contradiction avec ce qu’il dit sur son ressenti quand, en 2007, il est devenu le premier non-luxembourgeois lauréat du Prix Grand-Duc Adolphe – « Ce prix m’a fait sentir que j’étais considéré comme « un de vous » un membre de la communauté luxembourgeoise » – ; mais il assume : « toute ma vie est une contradiction » lance-t-il. Et de poursuivre : « Je suis d’ici et de là-bas. J’aime retourner en Finlande et la Finlande fait partie de moi, de ma personnalité, mais ce n’est plus mon pays. Au Luxembourg, je suis à la maison, je suis clairement un artiste luxembourgeois, mais il y a toujours quelque chose qui manque. Je reste entre les deux ».
« Je ne veux pas que mon travail devienne une action mécanique »
Un entre-deux qui, le photographe en est convaincu, se reflète dans son travail artistique quel que soit son sujet choisi ou la technique utilisée. Car contrairement à certains artistes qui aiment se consacrer à un style particulier, Miikka Heinonen aime continuer à expérimenter et semble changer totalement d’univers d’une série à l’autre. « Quand j’arrive à un point où je trouve où je ne peux plus aller plus loin, même si une série est populaire et fonctionne bien auprès du public, je change. Je pense que faire toujours ce que les autres attendent de toi est une bonne chose pour un comptable, pas tellement pour un artiste. Et puis, je ne veux pas que mon travail devienne une action mécanique. Au contraire, c’est important, pour moi, de garder une certaine exploration, de trouver de nouvelles façons de voir les choses ».
Le photographe passe ainsi de séries en noir et blanc à des clichés en couleur, de photos presque sans retouche à des travaux impliquant une trentaine d’images qui se superposent, d’éléments architecturaux isolées et froids, à des paysages dépouillés ou encore des portraits plein de poésie, de chaleur et d’humanité, comme c’est le cas du triptyque Tomorrow is not what it used to be qui lui a valu le Prix Werner.
Un prix qui vient compléter une collection déjà riche du Prix Grand-Duc Adolphe – qu’il est un des rares artistes à avoir remporté deux fois (ils sont sept : Dominique Lang 1904-1919, Albert Kratzenberg 1928-1932, Will Kesseler 1946-1950, Charles Kohl 1956-1962, Isabelle Lutz 2001-2015, Carine Kraus 2013-2015 et lui en 2007 et 2017 – à noter que Frantz Kinnen l’a remporté, lui, à trois reprises en 1946, 1950 et 1956) –, du prix de la critique de la Biennale des Jeunes Artistes d’Esch-sur-Alzette, du Prix d’encouragement du ministère de la Culture au concours d’art Limes ou encore du Finnish Dance Photo of the Year.
Une envie d’IPhone
Un prix Werner qu’il partage, comme c’est désormais la tradition, avec une autre artiste, Chantal Maquet, co-lauréate pour son huile sur toile Tue dir Gutes und rede darüber #Païschtcroisière. « En principe, je ne suis pas fan des prix partagés, précise Miikka Heinonen, mais puisqu’il fallait le partager, je ne pouvais pas espérer mieux que le partager avec Chantal ; J’ai un grand respect pour son travail et je trouve qu’elle mérite clairement le prix ».
Et maintenant ? La prochaine étape professionnelle pour Miikka Heinonen passe par la rue Wiltheim, dans la vielle ville de Luxembourg, et plus précisément par la galerie Fellner contemporary. Cette dernière présentera, à partir de ce jeudi 24 novembre et jusqu’au 14 janvier prochain, l’exposition de photographies grand format « 4eyes » où Miikka Heinonen partagera l’espace avec Linda Blatzek, Jean-Luc Koenig et Ma Zagrzejewska. Il présentera à cette occasion trois œuvres encore inédites de sa série sur l’architecture. « Trois clichés en noir et blanc pris à Esch-Belval », précise-t-il. Pour la suite, le Finlandais pense continuer à travailler avec le style cinématographique proposé au salon du CAL et qui sait, pourquoi pas, délaisser aussi un peu, son habituel Pentax 645Z pour tester les possibilités et les limites de son IPhone. Histoire de continuer à expérimenter !
Salon du CAL : Jusqu’au 27 novembre au Tramsschapp, 49, rue Ermesinde à Luxembourg-Limpertsberg. www.cal.lu
Exposition « 4eyes ». Vernissage : Jeudi 24 novembre de 17 h à 20 h. Exposition du 24 novembre 2022 au 14 janvier 2023 chez Fellner contemporary, 2a rue Wiltheim.
Portrait: © Anselm Havu
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