02 sep. 2021Le fabuleux destin de Alexandre Philippe Marinelli
Arrêter de parler et continuer à « faire »
Alexandre Philippe Marinelli a roulé sa bosse depuis ses premiers pas de vidéaste, encore gosse, caméra au point, à filmer sa bande de potes parodier les publicités de leur enfance, largement influencés par la culture télévisuelle des années 90…
Enfant de Thionville, où il a grandi, Marinelli est issu d’une de ces familles italiennes arrivées par hasard au Grand-Duché « sans même savoir qu’il était au Luxembourg », il y a quatre générations. La télé pour boîte de pandore, Marinelli pousse pour la première fois le bouton rec d’une caméra alors qu’il n’a que onze ans, pour rapidement s’apercevoir qu’il veut faire de sa passionnelle obsession un métier. Formé dans un BTS audiovisuel à Reims, il se constitue un premier pont vers son réseau professionnel actuel. Pourtant, c’est véritablement au pays de ses aïeuls que débute sa carrière de vidéaste, d’abord du côté de la technique, en tant que monteur, tout en se forgeant artistiquement, au cœur de ce qu’il nomme « le terreau luxembourgeois ».
D’expérience en expérience, le voilà coactionnaire de la société de production audiovisuelle Fensch Toast, logée à Metz. Une structure de laquelle il sort de nombreux projets, dorénavant en tant que réalisateur, tels que Nexus VI, en co-écriture avec Renaud Jesionek, INApocalypse, sous la direction du YouTubeur Bolchegeek, ou encore Case Dep’, un très court-métrage tourné dans le cadre de l’édition 2021 du Nikon Film Festival, pour lequel il reçoit le prix du public. Les projets autant que les ambitions ne manquent visiblement pas chez Alexandre Philippe Marinelli, qui est en passe de trouver le chemin du cinéma avec un grand « C ». Reste à concrétiser son rêve, s’affirmer comme un réalisateur à part entière, et convaincre le public… Pour cela, on lui fait confiance, les yeux néanmoins grands ouverts, sur la toile.
© Romain Gamba
Au sortir de votre BTS audiovisuel de Reims, vous aviez l’opportunité de partir à Paris, la Mecque pour les cinéastes francophones. Pourquoi avoir fait le choix de rejoindre le Luxembourg ?
Chacun avait son idée pour la suite, et dans 90 % des cas c’était Paris. Ma réflexion était tournée vers le Luxembourg, pour ses chaînes de télévision et, malgré le fait que ce soit un petit pays, son industrie cinématographique très développée. Et puis, c’est quand même là qu’a été inventée la télévision telle qu’on la connaît en Europe, c’était comme un symbole pour moi. Je me suis dit qu’il y avait des choses à y apprendre. Je savais qu’il faudrait que je passe par Paris un jour, mais c’était trop tôt pour moi, j’avais besoin de faire mes armes, j’ai donc choisi Luxembourg.
Je me suis retrouvé chez Luxe TV, qui était géré par Jean Stock, et où j’ai rencontré, entre autres, Adolf Al Assal, Julien Becker, Gwen François et Jonathan Becker, des personnes très actives aujourd’hui dans le milieu du cinéma luxembourgeois. J’ai tout de suite été plongé dans le grand bain, dans un environnement avec 40 nationalités différentes, où j’ai vraiment appris énormément, que ce soit professionnellement ou humainement. C’est quelque chose qu’en France, on n’imagine pas forcément du Luxembourg, et pourtant…
À la même période vous développez des envies plus créatives, autour de projets cinématographiques plus personnels. Et de votre premier court-métrage, Geste Commercial, nait votre boîte de production Fensch Toast… Pouvez-vous nous raconter ce grand pas dans votre carrière ?
J’avais un poste intéressant, mais c’était quelque chose qui ne me correspondait pas forcément. Je cherchais absolument à développer mes propres projets, je cherchais du temps pour le faire, et dans ce sens, je n’avais que deux possibilités, l’intermittence ou une période de chômage. La fermeture de Luxe TV a donc été une aubaine pour partir sur autre chose. Autour de 2010/2011, je tourne mon premier court-métrage Geste Commercial, un projet en totale improvisation, qui est né de mon obsession pour la télévision. Ça a été très formateur et ce projet a donné l’envie à mon ami Cyril Chagot de monter une boîte de production, dans l’idée de simplifier des tas de démarches autour de ce film. De là est née Fensch Toast, dans laquelle Thomas Koeune s’est embarqué avec nous, un de mes amis avec qui j’avais commencé à faire mes petits films quand on était gamins. Je suis quand même retourné travailler au Luxembourg, chez Remedia, où j’ai pu rencontrer de nouvelles personnes, tel que Steve Gerges, à qui je me suis longtemps identifié, même si on est très différent.
© Frensch Toast
J’avais envie de me diriger vers YouTube, mais je n’arrivais pas encore à rentrer dans l’écriture, ayant cette casquette de technicien sur la tête. J’avais besoin d’apprendre autrement et de me lancer des challenges dans lesquelles je pouvais me donner à fond, pour savoir si j’étais capable d’aller plus loin. Dans cette idée, Fensch Toast a été un lieu d’opportunités créatrices pour moi.
Lancée en 2011, Fensch Toast est dès ses débuts une entreprise qui dénote dans le paysage audiovisuel de la Grande Région. Avec de grandes ambitions de création, il s’agit aussi de survivre, tout en continuant à surprendre votre public. Vous expliquez avoir mis « un vernis particulier sur cette société, en lien avec les personnes qui la font et la portent, pour finalement l’élever au rang national ». Cette reconnaissance « nationale » vient en grande partie du succès de votre émission YouTube Nexus VI, qui existe maintenant depuis sept ans. Quel a été la genèse de ce projet ?
À l’été 2014, avec mon ami Renaud Jesionek, on réfléchit à une émission YouTube qui couplerait sa passion pour la science-fiction et mes envies de fiction audiovisuelle, qu’on titre Nexus VI en hommage au film Blade Runner. Et en décembre de la même année, on sort le premier épisode autour du film Prometheus de Ridley Scott. Ensemble, on trouve un combo parfait entre une forme de démocratisation de la science-fiction et un format fictionnel un peu troisième degré. On ne voulait pas faire un one shot, on voulait que ce projet amène l’impulsion pour d’autres créations du même type. Ça ne prend pas tout de suite, mais on ne se décourage pas, et comme on a construit un véritable décor de vaisseau spatial au sein du tiers lieux de création Bliiida, on décide d’écrire de nouveaux épisodes. Très vite, je laisse Renaud en roue libre sur son sujet, et je m’installe de plus en plus en tant que réalisateur sur ce projet. Notre duo se lie assez naturellement et finalement la recette se répète à chaque épisode et on fait la rencontre de nouveaux artistes qui s’associent au projet. Laurent Steiner (chef opérateur), Romain Toumi (VFX), Lucie Schosseler (Maquilleuse FX), Alexandre Nucci (décorateur), Cadillac Prod (Compositeur), Romain Gamba (dir. Photo), ou encore Renaud Holtzinger (cadreur) rejoignent ainsi l’aventure. Ces rencontres constituent un bon exemple pour décrire ce qu’est Nexus VI : un regroupement d’artistes, volontairement intégrés au projet, parce qu’il correspondait à leurs envies et attentes en termes de création audiovisuelle.
© Frensch Toast
En 2018 vous trouvez le soutien du CNA (Centre national de l’audiovisuel) au Luxembourg, et obtenez une importante subvention auprès du CNC (Centre national du cinéma et de l'image animée) en France, qui vous donne la possibilité de créer un nouveau cockpit pour le Nexus VI, un véritable décor dans lequel va s’installer l’action de votre série. Comment ont évolué vos ambitions dès lors que des instances publiques ont commencé à vous soutenir ?
On avait de plus en plus cette volonté de faire de la fiction et c’est aussi pour ça qu’on a tourné un épisode de Nexus VI au CNA de Dudelange, épisode qui a vraiment fait exulter la série, en termes d’ambition technique et artistique. Avec l’épisode 5, nous avons été plus loin, on voulait faire rêver les gens différemment, et créer une histoire dont les personnages avaient plus de corps. On commençait à vraiment se rapprocher de ce que je voulais faire au début, et le CNA nous a ouvert ses portes à point nommé pour tirer vers le haut nos nouvelles ambitions. Avec l’aide du CNC et du CNA, on a pu sortir un épisode qui était, et qui est encore pour l’heure, l’un de nos plus gros épisodes.
D’année en année, vous avez regroupé une équipe d’artistes autour de vous, et ce ne sont aujourd’hui que des professionnels de l’audiovisuel qui travaillent sur Nexus VI. De là, vos ambitions se déclinent plus aisément, et deviennent chaque année de plus en plus importantes. Que prévoyez-vous à moyen terme pour Nexus VI ?
C’est aussi venu sous l’impulsion de Cyril Chagot qui a pris corps et âme la direction de la production de Nexus VI, en revêtant un nouveau manteau et en transcendant nos projets. Il a toujours été d’un grand soutien et m’a donné les moyens depuis toujours de « faire ». Quand on ne vient pas du milieu, qu’on n’a pas la chance d’être « fille ou fils de », on apprend avec ses proches, ses amis. Fensch Toast a grandi avec nous, et Cyril a su me mettre le pied à l’étrier, d’où la réussite d’une émission comme Nexus VI.
Après la mise en place d’un KissKissBankBank fin 2018, qui nous aura rapporté près de 100.000 euros, Nexus VI a vraiment explosé. On a investi cet argent, et d’autres subventions que nous avons obtenues, dans la création d’une trilogie pour laquelle on a travaillé d’arrache-pied jusqu’à cette année. Ce projet de réaliser trois grands épisodes nous a quand même mis un pied à terre. C’était peut-être beaucoup trop ambitieux en soi, couplé à l’idée de faire un court-métrage, et pour lequel je cherche actuellement des solutions… Pourtant, une ambition amène à une autre, et actuellement, par-dessus tout cela, on développe un jeu vidéo inspiré de l’univers de Nexus VI avec une boîte de Lyon. Encore une affaire à suivre…
© Frensch Toast
Outre plusieurs clips vidéo – pour les artistes Delphine, Julien m’a dit, ou Abstrakt –, des projets plus corporate pour les trois quarts des institutions mosellanes, ou même le Casino Luxembourg – Forum d’art contemporain, sous la houlette de Fensch Toast, vous travaillez également sur des programmes tels que ouvrez les guillemets, une émission présentée par le chroniqueur Usul, ou encore pour l'INA (Institut national de l'audiovisuel), dans le cadre d’une web série en six épisodes titrée INApocalypse, sous la direction du YouTubeur Bolchegeek. Que vous ont apporté ces différents projets ?
En 2017, j’ai eu besoin de renouveler mes contacts. J’ai donc pris la décision de m’installer à Lyon. J’y ai fait des rencontres déterminantes, comme avec Usul, lié notamment à Mediapart, et pour qui on loge son émission ouvrez les guillemets, au sein de Fensch Toast. La boîte est devenue une structure qui héberge d’autres émissions diffusées sur YouTube. En parallèle, je rencontre Benjamin Patinaud, connu sous le nom de Bolchegeek sur YouTube, qui vient de remporter un appel à projet lancé par l’INA et sur lequel je vais travailler en tant que réalisateur. Il avait envie de mettre en scène une sorte de vieux monde, et mon travail consistait à traduire visuellement cette envie. On a tourné un pilote en mode Urbex dans le centre de la France, et on a embrayé sur une saison entière. Ça a été très formateur de me retrouver auteur/réalisateur sur INApocalypse et ça m’a permis aussi de revenir à mes racines, c’est-à-dire, prendre une caméra et tourner tout simplement en extérieur, comme avant, à Thionville, avec ma bande de potes.
Ces projets forgent votre identité en tant que réalisateur, au même titre que votre création originale Georges et Michael, montée en mars 2017 en collaboration avec Laurent Steiner, autour d’un registre totalement différent, au troisième degré, et toujours l’envie de faire quelque chose de différent. Après deux épisodes, disons « pilotes », vous êtes aujourd’hui soutenu par la région Grand Est. Quelle est la suite pour ce projet ?
Ce projet de Georges et Michael arrive tard, mais justement, je vais l’utiliser comme un tremplin et comme une manière de m’asseoir en tant que réalisateur et auteur, en utilisant tout ce que j’ai appris depuis toutes ces années. J’ai vraiment le souhait de m’exprimer seul, autour de mes envies, Georges et Michael est pour moi ce bol d’air. Pour le moment j’imagine six épisodes, que je vais produire en collaborant avec les rencontres que j’ai faites grâce à YouTube, des gens comme Maxime Déchelle (Max Bird), François Theurel (Le Fossoyeur de films), Manon Bril (C'est une autre histoire), ou encore Romain Ansion (Un Créatif). Ce sont des gens qui m’inspirent énormément, et avec qui j’ai envie de m’exprimer en tant qu’artiste réalisateur.
Aujourd’hui, même si je pense être encore assez jeune dans ce métier, je pense qu’il se dégage déjà quelque chose dans mon travail. Je n’ai pas encore pu vraiment prendre mon courage à deux mains, et faire un vrai court-métrage, et c’est un vrai manque, parce que c’est que par le biais de ce genre de projet que j’arriverai à être reconnu. Je commence à ouvrir des portes, mais pour l’instant, je fais des émissions sur le Web, et il me faut trouver un moyen pour passer à la vitesse supérieure.
© Romain Gamba
Georges et Michael constitue cette opportunité que vous attendez depuis longtemps pour vous émanciper. Et en même temps, derrière, vous commencez à développer des envies de vrais films de cinéma. Et ça commence bien, car sur l’édition 2021 du Nikon Film Festival, vous recevez le prix du public pour votre court-métrage Case Dep'. Un très court-métrage construit autour d’une idée générale qui vous est personnelle, et à la force d’une véritable écriture scénaristique. Pouvez-vous nous en dire plus ?
Ce projet résume vraiment ce qui se passe au fond de moi, et cette envie de faire de la réalisation pure. Tout ce que j’ai pu faire, et tout ce que j’entreprends, c’est pour aller dans cette direction. Souvent je parle des festivals de films en 48 heures, et de tous ces événements qui permettent à des gens qui ont envie de faire des films, de se créer en équipe pour faire quelque chose d’incroyable, en un temps réduit… J’ai personnellement la chance d’avoir une équipe au quotidien, je n’ai pas besoin d’avoir une raison de faire un film. Le Nikon Film Festival est un challenge qui m’intéresse bien plus, car on pointe du doigt, non pas la capacité de réunir des gens sur un week-end, mais sur la capacité de raconter une histoire. Je me suis donc lancé dans la réalisation de ce petit film, qui est un projet presque autobiographique, et donc un peu « énervé ».
Après cette belle reconnaissance, dans l’un des festivals de formes courtes les plus importants en France, c’est quoi le prochain step ? Avez-vous déjà des idées en tête, des thématiques que vous voudriez explorer dans un futur film ?
J’ai beaucoup d’idées autour de sujets sur lesquels je sens que j’ai des choses à dire. S’il y’a bien un truc que j’ai compris depuis le temps, c’est qu’il faut parler de ce qu’on connaît le mieux, et ce qui nous touche le plus, pour que ce soit le plus sincère possible. Je suis attiré, par exemple, par tout le mouvement « eurodance » des années 90. Que faire autour de cela, je n’en sais rien encore, ça reste une piste. Au même titre que j’ai aussi beaucoup d’affection pour la science-fiction, qui est pour moi un terreau très fertile, où on peut se permettre beaucoup de choses. J’aimerais parler d’histoires dont on ne parle pas et les mettre en film. Pour l’heure, j’espère que Nexus VI va être un tremplin. Aujourd’hui, je suis payé pour faire de la création originale, tous les matins, je me lève heureux, car ça fonctionne bien, mais je suis en même temps très angoissé par le fait que tout pourrait s’arrêter du jour au lendemain.
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