Les musées face aux digital natives : un autre regard sur la médiation culturelle 2/2

20 mai. 2022
Les musées face aux digital natives : un autre regard sur la médiation culturelle 2/2

Article en Français
Auteur: Guylaine Bouquet-Hanus

Les digital natives et la médiation muséale des 2 Musées de la Ville de Luxembourg : regards croisés avec Anne Hoffmann, conservateur adjoint au Lëtzebuerg City Museum en charge des projets et produits numériques et des médias sociaux, ainsi qu’Angelika Glesius, conservateur adjoint à la Villa Vauban – Musée d’Art de la Ville de Luxembourg.

Merci à toutes les deux de vous prêter à cet exercice d’interview croisée. Pour commencer, pourriez-vous nous expliquer quand le Lëtzebuerg City Museum et la Villa Vauban ont commencé à s’interroger sur les pratiques numériques au service de leurs collections ?

A.H. : L’un de nos principaux objectifs est d'élargir l’offre des visites du musée de manière ciblée en utilisant les nouvelles technologies. Depuis l'ouverture de l'exposition permanente actuelle The Luxembourg Story en 2017, nous essayons d’avoir une stratégie de départ sophistiquée pour que la visite du musée en mode analogique/physique et celle en mode numérique d’autre part se complètent encore mieux. Mais en principe, dès son ouverture, le musée a été un pionnier dans l'intégration des nouvelles technologies pour rendre la visite du musée passionnante.

A.G.: Depuis des années déjà (bien avant la pandémie), la Villa Vauban, tant dans la conception et la réalisation des expositions que dans la médiation artistique, poursuit une approche inclusive, c'est-à-dire qu'elle s'adresse de manière aussi accessible que possible à un public vaste, indépendamment des origines, de l'âge ou d'éventuels handicaps („Un musée pour tous“) inhérents aux personnes intéressées. Pour nous, cette ouverture à un public très diversifié implique la mise à disposition d'informations sur l'exposition à l'aide de notre application mobile. Celle-ci est disponible gratuitement sur Appstore/Playstore pour tout le monde et partout (même en dehors du musée) et offre un large éventail de contenus autour des expositions et de l'histoire de l'art en général.

Ceci m’amène à ma seconde question. Selon vous, le fait de transmettre la culture aux digital natives nécessite-t-il d’employer une médiation particulière ?

A.H. : Pour faire connaître les offres numériques, nous pensons qu'il faut adapter la communication en se concentrant davantage sur les médias numériques et surtout sur les possibilités offertes par les médias sociaux. 

Vue sur le #MuseTechLounge, Lëtzebuerg City Museum © Les 2 Musées de la Ville de Luxembourg

Vue sur le #MuseTechLounge, Lëtzebuerg City Museum © Les 2 Musées de la Ville de Luxembourg

Quels sont les supports technologiques auxquels vous avez recours le cas échéant ? Pouvez-vous citer quelques projets digitaux respectifs en guise d’illustration ?

A.H. : Nous avons désormais un grand choix de projets et produits numériques au Lëtzebuerg City Museum, c'est pourquoi je ne veux pas me limiter à un seul projet : les scans 3D de toutes les expositions, y compris les expositions temporaires, vous permettent de vous promener virtuellement dans le musée à tout moment. La #MuseTechLounge présente différents projets numériques anciens et nouveaux (par exemple, un portrait animé du Comte Pierre-Ernest de Mansfeld) et donne aux visiteurs la possibilité de recharger leur téléphone portable. Nous disposons également d'une application muséale sophistiquée. L'année dernière, nous avons relancé notre YouTube channel avec un nouveau nom et une nouvelle série qui traite de manière ludique des objets du musée (E staarkt Stéck). Nous essayons de maintenir une offre numérique vaste afin de pouvoir répondre aux besoins de différents groupes de visiteurs.

A.G. : Pour la Villa Vauban, il est également possible de faire une visite virtuelle de notre exposition permanente par le biais de scans en 3D sur notre site internet. Mais le média numérique le plus important est bien sûr notre application de musée déjà décrite ci-dessus, qui sert également d'outil de médiation pendant la visite du musée et met à disposition des contenus supplémentaires qui vont au-delà de l'exposition en tant que telle. Outre les différents « formats de visite », on y trouve des textes/informations sur les œuvres, mais également des vidéos (vulgarisées), des contenus ludiques et didactiques, ce qui permet de répondre à tous les niveaux d'exigence. L'application est continuellement développée et complétée par de nouveaux contenus. Cela permet d'une part de « suivre » les progrès techniques et d'autre part d'adapter les contenus aux expositions changeantes. De plus, cela permet aux « clients réguliers » de découvrir de nouvelles choses et nous donne la possibilité de rendre facilement accessibles, par voie numérique, de nouvelles connaissances sur nos œuvres d'art. En outre, depuis la réouverture de notre exposition permanente l'année dernière, nous avons installé la projection immersive Art[e]motion dans la salle d'introduction, qui permet au visiteur de se plonger virtuellement dans nos œuvres d'art avant même de visiter l'exposition. Cette projection a été développée en 2021 exclusivement pour nous par Daniel Wangen (artiste) et Christian Mahler/Alain Richard (animation) en intégrant des œuvres d'art de notre exposition permanente.

Quelle est la stratégie/les objectifs qui se cachent derrière vos offres numériques et qui sont finalement servis par ces supports technologiques que vous évoquez ?

A.H. : Notre objectif est d'accélérer l'engagement et l'éducation des visiteurs de manière divertissante, mais aussi historique, précieuse et précise. Nous essayons non seulement de motiver notre public existant à participer davantage, mais aussi de cibler en permanence de nouveaux publics, en particulier les jeunes de 15 à 25 ans (qui utilisent surtout le numérique). Nous voyons dans l'exploration des nouvelles technologies une immense opportunité d'inclure le visiteur – sans pour autant le forcer à s'engager dans des visites physiques au musée. Nous avons exploré cette possibilité à travers différents projets numériques utilisant différentes approches technologiques, en essayant toujours d'établir des réseaux avec des partenaires tels que des institutions de recherche, des universités ou des entreprises technologiques.

A.G.: Comme expliqué précédemment, la Villa Vauban est particulièrement soucieuse d'adopter une approche inclusive, à bas seuil et sans barrières pour la transmission de ses contenus d'exposition, qu'ils soient « classiques » ou numériques. Outre la mise à disposition des contenus en trois langues, nous proposons également des contenus vulgarisé sur notre application, qui sont appréciés aussi bien par les personnes ayant des besoins particuliers en raison d'un handicap, les familles, que les enfants ou que par les personnes qui apprennent actuellement les langues nationales.

Un plongeon immersif parmi les oeuvres d’art, Villa Vauban © Les 2 Musées de la Ville de Luxembourg

Un plongeon immersif parmi les oeuvres d’art, Villa Vauban © Les 2 Musées de la Ville de Luxembourg

Aujourd’hui, beaucoup de jeunes adultes (15-25 ans) considèrent leur mobile comme un prolongement d’eux-mêmes. Comment ciblez-vous particulièrement ce canal dans votre stratégie ?

A.H. : Nous essayons de créer des contenus « platform specific », qui soient surtout facilement accessibles sur les smartphones, par exemple notre Museum App et notre nouvelle série sur YouTube (E staarkt Stéck – l'épisode 10 sortira le 15.5). Le slogan de l'application mobile du Lëtzebuerg City Museum est : « The Museum in your pocket ». Elle fonctionne « inhouse » et « outhouse ».

A.G. : Nous essayons d'atteindre ce groupe cible en particulier par le biais de nos campagnes de marketing numérique autour des expositions et de nos canaux de médias sociaux. Le contact avec les influenceurs de la scène culturelle est également important pour nous (par exemple dans le cadre de la dernière Nuit des Musées, où des influenceurs ont présenté leurs coups de cœur dans les musées). Nous avons également une chaîne YouTube que nous souhaitons développer à l'avenir. Pour l'instant, on y trouve notamment des vidéos de lectures pour enfants, réalisées en partie avec le soutien des Amis des Musées, et deux vidéos que nous avons conçues nous-mêmes avec l’artiste Eric Schmit en langage facile sur trois de nos œuvres principales des collections d'art.

Selon vous, vos actions numériques poussent-elles davantage de visiteurs à venir au musée et comment cela se reflète-t-il au sein de vos communautés ?

A.H. : D'après notre expérience, les actions, projets et campagnes numériques augmentent l'intérêt pour le musée et créent une « brand awareness » et ainsi, naturellement, de nouveaux visiteurs à long terme.

A.G. : Notre objectif est avant tout, à l'aide de nos actions numériques, d'éveiller l'intérêt de la communauté en ligne pour nos musées et nos expositions et de lever les éventuelles réticences ou barrières existantes. Si cela débouche sur une visite physique du musée, nous en sommes très heureux, mais ce n'est pas notre priorité absolue.

Vue sur l’application mobile des 2 Musées de la Ville de Luxembourg © Les 2 Musées de la Ville de Luxembourg

Vue sur l’application mobile des 2 Musées de la Ville de Luxembourg © Les 2 Musées de la Ville de Luxembourg

Pour finir, comment voyez-vous le musée du futur, au regard de l’interaction digitale vs. présentielle ?

A.H. : Nous voyons le musée du futur de façon hybride. La pandémie nous a démontré que nous devions redoubler d'efforts pour devenir un lieu – tant physique que numérique – où des expériences et des interactions significatives sont créées pour les visiteurs et ce avant, pendant et après leur visite. Les expériences en ligne et hors ligne doivent aller de pair pour continuer à stimuler non seulement notre public existant, mais aussi pour attirer et cibler de nouveaux groupes de visiteurs. Si les visiteurs d’une part ne veulent pas renoncer à certaines commodités liées à une expérience purement numérique, ils ont d’autre part envie de retourner à la vie « normale ». Les expériences hybrides semblent être un moyen parfait mais parfois difficile (en termes de main-d'œuvre, de technologie, de mise en œuvre et de budget) pour les institutions culturelles qui entendent combiner le meilleur des deux mondes. Un livre d'or numérique (OPEN BOOK) est selon moi l'un des derniers ajouts clés en support aux expériences hybrides. Il permet aux visiteurs physiques de laisser des commentaires, dessinés ou écrits, qui seront d'abord projetés sur le mur, puis affichés dans la version extérieure de l'application mobile du musée.

A.G. : La visite physique effective du musée et l'expérience visuelle et atmosphérique qui en résulte sont certainement irremplaçables et devraient toujours figurer en tête de nos priorités. Cependant, les médias numériques et les offres de médiation font déjà partie intégrante du quotidien des musées et représentent pour nous un vecteur précieux pour donner à nos visiteurs un maximum d'informations, et ce de la manière la plus efficace et la plus simple possible. Il sera passionnant de voir ce que l'avenir nous réserve en termes d'innovations techniques. Nous sommes en tout cas prêts, dans la mesure de nos possibilités, à nous engager sur cette voie avec et pour nos visiteurs, même si nous nous aventurons ainsi en terrain inconnu.

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