25 sep. 2024Interview Patrick Muller
Photo : © Patrick Muller
Luxembourgeois installé à Berlin, Patrick Muller, présente sa nouvelle installation, DE/CODE, du 30 septembre au 6 octobre au SPEKTRUM de Rumelange. Une réflexion sur la communication et ses limites à travers une galerie de photos projetées et un jeu de décomposition de la couleur et de la lumière. Interview.
Le 30 septembre, vous inaugurez votre nouvelle installation vidéo DE/CODE au centre culturel SPEKTRUM de Rumelange. Pouvez-vous nous présenter ce projet ?
Patrick Muller : C’est une installation sur le thème de la communication, ce qui était, par ailleurs, déjà le sujet de mon installation à la Philharmonie (NDR : Just When I Thought I'd Know You présenté à l’automne 2022 dans le cadre du festival Rainy Days). En fait, je m’intéresse à la communication au sens large : le langage, l'écriture ou encore les œuvres artistiques. J’aime cette idée que quand on a quelque chose à dire, il faut le coder pour le transmettre. D'habitude, on utilise le langage oral ou écrit, les artistes utilisent leur médium, qui est l’art, mais le principe reste le même. C’est un aspect qui me fascine : l'idée qu'une œuvre d'art est toujours le codage d'un thème ou d'une inspiration de l'artiste, invitant le destinataire de ce message, autrement dit, le visiteur, à décoder ce thème ou cette inspiration pour lui-même. Car, d’un côté, il y a la personne qui émet une idée et, de l'autre côté, la personne qui reçoit le message. De la même manière que celui qui lit un texte doit décoder le texte, les visiteurs qui regardent une peinture ou une installation doivent décoder cette œuvre d'art pour arriver à comprendre l'idée que l’artiste a voulu faire passer. Et moi, j’aime ce processus de codage et de décodage. Je le trouve fascinant. C'est quelque chose de très sensible et qui peut créer pas mal de malentendus parce qu'il y a beaucoup d'autres paramètres qui jouent un rôle : Comment on prononce un mot, comment on écrit ou on structure une phrase… Et puis, il y a tout le contexte dans lequel quelque chose est dit : le visage de celui qui parle, la mimique, l'expression corporelle… Bref, il y a énormément de paramètres qui font partie du codage. Je trouve particulièrement intéressant le moment où l'on se rend compte que l'on s'est trompé, qu'un codage sans ambiguïté ou un décodage sans erreur ne peut tout simplement pas réussir.
Ok, c’est effectivement très proche de ce qu’on apprend dans une fac de communication, mais comment on transpose ensuite ça dans une installation artistique ?
DE / CODE est une source vidéo qui projette un diaporama de photos de détails du Luxembourg. L’image est divisée en trois vidéos RGB, autrement dit rouge, vert et bleu, qui sont les trois couleurs primaires en graphisme, celles qui permettent de créer toutes les autres couleurs. Ces trois vidéos sont projetées sur trois toiles de projection semi-transparentes à l'aide de trois projecteurs. Les écrans de projection sont placés l'un après l'autre en parallèle. Comme ils sont semi-transparentes, il est possible de regarder à travers chacun d'entre eux. Ce faisant, les vidéos rouge, verte et bleue peuvent optiquement se superposer ; il est donc possible de recomposer l’image originale. Pourtant, il devrait être très difficile, voire impossible pour le visiteur d'obtenir une superposition exacte des trois vidéos. En d’autres termes, il ne devrait pas pouvoir atteindre l’idéal qui est de reproduire l’image avec ses couleurs d’origine, car, comme j’expliquais avant de façon plus théorique, il y a tout un tas d’autres facteurs qui l’empêchent. Même en se déplaçant autour de l’installation, ce que j’invite les visiteurs à faire, même en créant ainsi un changement dans la composition des projections rouges, vertes et bleues, ça devrait rester impossible. Donc, comme dans toute communication, il y a un message de base, ici la photo avec ces couleurs originales, mais il y aura, à la fin, une différence entre ce que l’interlocuteur veut dire et ce que le récepteur capte et, ensuite, comprend.
« Mon habitat naturel est plutôt sonore »
Ok, on l’a compris, c'est finalement une réflexion sur la communication qui passe à travers la lumière, c’est bien ça ? Quel lien avez-vous, dans votre travail artistique, avec la lumière ?
C'est difficile à dire. En fait, artistiquement, je viens de la musique (NDR : Patrick Muller a une Licence en music composition and music production et un Master en sound art and sonic brand communication). Mon habitat naturel est donc plutôt sonore. Je suis musicien et j’ai fait beaucoup de sound design. Mais nous vivons dans un monde visuel, il est donc très difficile, voire impossible, de laisser de côté le visuel. Il y a toujours des images qui se produisent si on écoute de la musique ou si on entend des bruits. Même en étant musicien ou artiste sonore, il y a toujours un côté visuel qui vient avec. Et donc, je me suis dit que, puisque le visuel est là, de toute façon, d’une manière ou d’une autre, alors autant faire un design, l'incorporer dans mon travail artistique et l’utiliser pour transmettre mon message. Après tout, soyons honnêtes : si je découvre un site internet et qu’il y a des sons, de la musique, simplement dans un fichier sonore, il y a peu de chances pour que je l’ouvre. En revanche, si c’est une vidéo qui intègre ces sons et cette musique, les chances que je regarde la vidéo sont bien plus grandes. Et si moi, qui suis musicien, je réagis comme ça, je pense que toutes les autres personnes font la même chose.
Le son sera néanmoins présent dans votre installation et, par son, j’entends un enregistrement de l'écrivain luxembourgeois Guy Helminger lisant son poème Oh mei Luxemburg. Pourquoi ce choix et comment est-ce que ce poème vient compléter votre installation ?
Il y a plusieurs choses, tout d’abord le fait que l’inauguration de l’exposition aura lieu pendant les Journées du Patrimoine et que le SPEKTRUM m’a demandé s’il serait possible de créer un lien entre mon installation et le patrimoine luxembourgeois. Puis, le fait que j’aime beaucoup Guy, aussi bien en tant que personne qu’autant qu’auteur. J'ai alors pensé que ce serait une bonne idée de lui demander s'il voulait écrire ou s'il avait déjà quelque chose d’écrit sur le Luxembourg qu’on pourrait intégrer à cette installation. Il m'a donné ce poème. Je trouve que sa façon d'écrire rencontre bien l'idée originale que je veux transmettre. Il n’y a pas de ponctuation dans ses poèmes, ce qui fait que, lorsqu'on lit ses poèmes, on ne comprend pas nécessairement tout, tout de suite. La construction des phrases, les choix grammaticaux demandent qu’on s’y attarde. Et souvent, c’est tout d’abord une sensation qui parvient au lecteur, la sensation de ce que l’auteur veut dire, et avec elle, toute une atmosphère. Je trouve ça super intéressant. Et ça va parfaitement avec la complexité de la communication qui me sert d’idée de base de travail.
« Un premier pas vers une série d’installations »
Le vernissage aura lieu le dimanche 29 septembre, mais vous serez déjà au SPEKTRUM du 24 au 28, pour une sorte de résidence d'expérimentation et de recherche, qui sera ouverte au public. Qu'attendez-vous de ces rencontres avec le public avant le vernissage ?
Disons que je me laisse, pendant le montage de l’exposition, une série de paramètres ouverts pour lesquels je prévois quelques expérimentations sur place, essayer quelques approches pour avoir l'effet que j'ai en tête, avec les visuels et la musique, le poème, la voix... En ce qui concerne le public, j’espère vraiment que des gens viendront, même si on n’est pas au centre-ville de Luxembourg ; j’aimerais avoir leur feedback sur le travail, qui à ce moment-là ne sera peut-être pas tout à fait fini. Voir si l'idée que j'ai, que je veux transmettre, leur arrive ou s'il y a de petits paramètres que je devrais changer pour avoir mieux l'effet désiré.
Et après DE / CODE, quels sont vos projets ?
Cette installation a un côté assez expérimental, dans le sens que je sais bien ce que je veux faire, mais je ne sais pas trop bien si je vais arriver à avoir l'effet comme je l'ai en tête. Si ça fonctionne, j'ai d’autres idées qui se basent sur cette thématique. Cette installation est donc probablement un premier pas vers une série d’installations que je veux développer dans ce sens. Donc après le 6 octobre, DE/CODE disparaîtra en tant que telle, mais devrait laisser la place à quelque chose de plus vaste.
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