Giovanni Zazzera, danseur & chorégraphe, quand le corps exprime

03 aoû. 2022
Giovanni Zazzera, danseur & chorégraphe, quand le corps exprime

Article en Français
Auteur: Patricia Sciotti

Rencontre sensible avec Giovanni Zazzera, danseur et chorégraphe. Lui qui a choisi la danse pour exprimer ce qu’il n’avait pas réussi à dire avec les mots, raconte son parcours et sa vision, d’une voix posée. Il se révèle pourtant avec élégance, déroulant une succession de mots choisis comme un fil d’Ariane, sensible et poétique. Son discours est passionné, engagé. Il dévoile son approche artistique sereinement, un sourire aux lèvres et dans les yeux… La première de « Negare » présenté en mai dernier et supporté par le Fundamental Monodrama Festival  fut un réel succès. Cette pièce inclut le spectateur le faisant passer du rire à l'émotion dans un équilibre qui l'emmène dans une réalité poétique. Découverte d’un danseur et chorégraphe inspiré, fasciné par l’humain...

Peux-tu me parler de ton parcours en tant que danseur et en tant que chorégraphe ?

Je suis né en Italie, j'avais un an et demi quand mes parents ont décidé de venir au Luxembourg. L’intégration n’a pas toujours été facile… J'ai rencontré la danse assez tard et je me suis immédiatement passionné parce qu’elle m’offrait enfin un autre moyen de communication que la parole. C'est une forme d'expression qui donne une grande liberté. J’ai commencé à découvrir que ce que les mots n'arrivaient pas à exprimer, je pouvais le dire avec le corps et cela a été une vraie révélation. Alors, j'ai fait des formations. Ici au Luxembourg, au conservatoire, puis je suis parti à l'étranger au Brésil, à Tel Aviv, à Paris… J’y ai découvert une nouvelle culture, une nouvelle sensibilité, une nouvelle approche, j'avais envie de me nourrir, d'être curieux. Lors de mes voyages, l'occasion m’a été donnée de voir comment la danse est perçue par d'autres personnes, comment me nourrir de leur expérience, de leur savoir-faire et de leurs partages jusqu'à ce que j’ai envie de communiquer la mienne. Quand j'ai commencé à danser, il était clair que j'avais envie de créer, de mettre une création sur scène et de pouvoir la partager. Ce qui m'intéresse, c’est comment partager avec un public et le lui faire ressentir. Créer dans ce vide, dans cette distance entre le spectateur et la scène, quelque chose qui peut le toucher, lui ouvrir des portes afin qu'il puisse percevoir et ressentir ce que j'ai à partager. Je pense que traverser l’apprentissage de la danse, comprendre la danse, le corps, le mouvement, les besoins du danseur m’a beaucoup aidé pour mon rôle de chorégraphe. Cela me procure un autre état de conscience quand je chorégraphie d'avoir été danseur et de l'être encore. Et cela me plaît de ne pas quitter ce rôle parce que, certes, on évolue dans la danse, on a des capacités qui changent, mais on a de nouvelles choses à dire où à raconter avec le corps qui naissent des expériences que l’on récolte. Les deux rôles se nourrissent l'un l'autre.

© Guido Bosua

© Guido Bosua

Et pourquoi as-tu choisi d'être également chorégraphe ?

Quand j'ai débuté ma formation de danseur, j'ai toujours ressenti dès le début ce besoin de créer et de m'exprimer à travers la composition chorégraphique. La chorégraphie me permet de créer un univers, de le condenser dans un format, dans une temporalité définie pour faire surgir un univers singulier, qui se partage et s'exprime à travers le corps et le mouvement. Ce qui est également intéressant, c'est le processus plus que le résultat, l’étape de travail dans le domaine chorégraphique est très importante pour moi. Ce qui me stimule, c’est le processus où tout se crée. C'est comme planter une graine et la voir grandir tous les jours. C'est cela qui est beau. La chorégraphie c’est en soit travailler, construire, utiliser les corps et les amener à faire apparaître quelque chose. C'est l'apparition de l'invisible au visible, d'un propos où tu pars d'une idée, d'une thématique ou d'une intention pour la faire vivre par des mouvements qui se forment, se génèrent et s'imaginent afin de faire apparaître une création. La chorégraphie, c'est l'endroit où je travaille avec l'humain et l’échange, c’est l’endroit qui me permet de partager mes besoins avec ceux des autres, car souvent tout est question de besoin.

En mai dernier tu as présenté, « Negare », peux-tu nous parler de ta démarche dans cette pièce, pourquoi en avoir fait un solo avec un personnage plutôt volumineux ?

Ce personnage corpulent, ce n’est pas représentatif d’une personne en surpoids. C’est vraiment l’expression de ce qu'on digère, ce qu'on prend, ce qu'on veut croire et ce qu'on veut rejeter, et ce qui pour nous est important. Je suis amoureux des corps et ce que je cherche ce n’est pas vraiment une sorte d’esthétisme. Je regarde un corps de dehors, une personne marcher, j'analyse la manière dont s’engendre le mouvement, son énergie, sa lourdeur. C'est ça qui me captive. Ce que j'aime, c'est mettre l'humain en évidence. Et dans la pièce « Negare », ce personnage montre la négation, celui qui dit, qui ne croit pas, qui ne veut pas se dévoiler. Cet amas de vêtements qui le remplit, c'est un mensonge, ce sont toutes ses croyances. Le personnage se remplit de choses qu'il essaie de cacher et il montre une superficie qui n'est pas lui. La carotte représente l’appât, le symbole de facile crédulité et de manipulation dans une société où l'information nous influence et se propage à grande vitesse. Et le fait qu'il mange une carotte, exprime les contrastes et oppositions des autres humains et permet ainsi d’accentuer ces contradictions. La thématique explore les croyances humaines, qu’elles soient sociales, émotionnelles, politiques, religieuses, comment elles se transforment et comment elles nous transforment.

Negare

© Giovanni Zazzera

Cette pièce a-t-elle un avenir, est-ce que le public aura la chance de la voir ailleurs ?

Oui, je vais la reconvertir en un format léger pour les rencontres éphémères qui auront lieu à Differdange en octobre dans des églises. Et puis, elle a un programme de diffusion, j’aimerais la présenter partout ! Les prochaines dates sont à différents endroits, au Aalt Stadhaus, au Trois-CL… « Negare » fait partie d'un triptyque, ce sont 3 pièces fragmentées qui parlent de la même thématique, mais à différents états. « Negare », c'est vraiment l’image de la négation, la seconde, « Sperare » exprime les extrêmes et les croyances avec un duo et ensuite « Credere » est très visuel, avec un travail de masque, de lumière où je mets des entités divines en avant, qui s’humanisent et qui remettent en question nos besoins de croyances. Ces différents univers se côtoient soit dans le même espace, comme un tableau qui s'enchaîne, soit dans des espaces différents. Il y a un potentiel de pouvoir les transformer. Le but du triptyque, c'est de pouvoir les isoler, les montrer individuellement ou les montrer dans un format où la personne peut voyager dans une soirée et rencontrer ces 3 tableaux. Je pose un tapis de couleurs sur une thématique et j'essaie de l'ouvrir afin que plusieurs choses puissent s’y raconter.

Comment sélectionnes-tu les interprètes de tes pièces? Quels sont les critères et quelle place occupent-ils dans le processus de création?

Le critère le plus important, c'est vraiment l’humain. Avant même les critères techniques ou ses capacités en tant que danseur, ce qui compte c'est vraiment la personne qui est devant moi. Qui elle est, sa motivation et la connexion qu'on peut créer. Si le danseur a confiance en moi, il peut s'ouvrir et j'ai besoin qu’il puisse communiquer et se sentir libre de s'exprimer. Certes, on peut être dans une relation de chorégraphe qui donne et de danseur qui reçoit et cela marche très bien. On peut en faire de très belles choses mais j'aime beaucoup comprendre la personne qui est en face de moi, la connaître, sentir son énergie, sa motricité, son mouvement, ses envies pour lui proposer un vocabulaire qui me correspond, mais qui lui correspond également. Je laisse toujours une grande marge de liberté à l'interprète. Dans « Negare », c’est une grande collaboration avec l'artiste, danseur, Alexandre Lipaux. Tout d'abord on a échangé. Je propose une aire de jeu où le mouvement se génère par de simples mots, des sensations, des états et des actions... Et de là, nous commençons à voyager dans un propos où la chorégraphie surgit petit а petit.

Giovanni

© Giovanni Zazzera

Tu as une compagnie, quel est ton objectif avec Z ART Dance ?

Ma compagnie, contribue а développer la vision artistique que je porte en tant que chorégraphe, me permettant ainsi de rechercher et de développer une écriture, une singularité et un langage chorégraphique à travers des projets de création que je porte. Les objectifs et les missions transposés par le biais de la compagnie me permettent de créer des projets divers et variés, portés par un ressenti et parcourant des thématiques, des questionnements et des actions actuelles communiqués à travers l'exploration du corps, du mouvement et de sa gestuelle. Outre les créations dédiées à la scène, avec la compagnie, nous visons également à créer des plates-formes diverses à travers des ateliers, des interventions pédagogiques, des créations d’œuvres vidéos et autres afin que la danse puisse offrir un lieu d'échanges et de partage à un large public. Depuis 2020, Z Art est installée au Bâtiment 4, un lieu où l'échange et les rencontres entre artistes de différents univers artistiques permettent de développer des collaborations diverses et inattendues.

Comment vois-tu la suite de ta carrière ?

C'est un développement constant. Cela fait plusieurs années que je crée des pièces que je travaille dans le domaine chorégraphique et pour moi c'est devenu mon métier, mon quotidien alimenté par la même passion que je lui porte depuis mes débuts. Travailler avec l'humain, c'est ce qui m'intéresse. Actuellement, je porte un fort intérêt à développer un travail de collaboration, à construire un langage artistique et amener mon travail à se diversifier de plus en plus, en créant des formats où la danse peut se partager que cela soit sur scène où ailleurs.