28 jan. 2022EXPO 2020 Dubaï : Patrick Muller pour la musique
Huit artistes issus de sept champs artistiques représentent le Luxembourg à l’Exposition Universelle Dubaï 2020, organisée du 1er octobre 2021 au 31 mars 2022. Présent au sein du pavillon luxembourgeois du 15 au 31 janvier (seulement), ce Kënschtlerkollektiv a travaillé autour d’un projet commun intitulé Mir wëlle bleiwen, wat mir ginn, décliné en six propositions artistiques transdisciplinaires et collaboratives, faisant écho au thème de l'exposition Connecting minds, creating the future. Rencontre avec Patrick Muller, artiste multimédia et représentant de la catégorie musique.
Expliquez-nous quelle est l’idée derrière Gestalten, le projet que vous présentez à Dubaï ?
Je suis parti de l’idée qu’une nation, c’est une construction artificielle pour laquelle on a défini des frontières. C’est quelque chose d’arbitraire qui n’a finalement rien à voir avec les gens ou les cultures. Mais en fait, il n’existe jamais de frontière exacte, plutôt une transition progressive entre deux endroits. Le nom Gestalten désigne justement quelque chose qu’on ne peut pas vraiment reconnaître, qui est un peu flou. On a une idée de ce que ça représente, mais cela reste à interpréter. J’ai traduit cette idée et interprété ce concept d’identité nationale dans une installation multimédia, mêlant musiques et visuels.
© Patrick Muller
Sous quelle forme se présente votre travail, exposé en ce début d’année au sein du pavillon luxembourgeois ?
Je propose trois sculptures audiovisuelles, trois cubes, qui racontent des histoires. Les visiteurs sont invités à les écouter – juste un moment pour échapper au flux d'informations du pavillon, ou sur une durée plus longue pour se laisser emporter par les récits. Les sculptures, de taille égale, sont disposées en groupe sur le sol d’une salle obscure.
Au niveau audiovisuel, que peut découvrir le spectateur ?
Les parois de ces cubes sont recouvertes de miroirs qui reflètent le visage du spectateur et qui sont à la fois semi transparents. Ils révèlent à l'intérieur la représentation d'un iris humain, parfois plus ou moins clairement, parfois plus ou moins da façon abstraite. J’ai filmé ces iris de différents yeux chez un ophtalmologue, avec l’aide d’Adolf El Assal qui a collaboré à mon projet. Cela nous a permis de pouvoir jouer sur l’iris qui tantôt s’agrandit, tantôt se rétracte, en fonction des rayons de lumière qu’on lui envoie.
Ces images ont été traitées artistiquement et graphiquement par des artistes de Berlin que je connais bien. Ils ont fait ça chacun de leur côté, sans se concerter. Au final, on a des choses très différentes qui marchent super bien entre elles, dans la mesure où le matériel de base est le même. Le visage du spectateur se mêle donc à ces iris au moment où il se regarde dans le cube. Le miroir apparaît ainsi comme une frontière de matière. On ne peut pas le franchir, mais l’extérieur du cube et l’intérieur restent mêlés. Gestalten brouille ainsi l'idée d'intérieur et d'extérieur et remet en question l'idée de frontières et d'identités nationales.
© Patrick Muller
Au niveau sonore, vous avez travaillé sur les textes proposés au sein de l’anthologie de Guy Helminger. Mais il y a également eu des créations musicales, en collaboration avec United Instruments of Lucilin, le groupe présent lors de la présentation de l’anthologie au Centre national de littérature (CNL) en fin d’année dernière.
Effectivement, la partie auditive de Gestalten consiste en une sélection de poèmes musicaux tirés de l'anthologie de Guy Helminger : sept poèmes ont été lus par leurs six auteurs respectifs et enregistrés par mes soins. Ces enregistrements ont servi de partition pour les musiciens de United Instruments of Lucilin. Clarinette, alto, percussion, vibraphone et piano : cinq instruments au total ont chacun, indépendamment des autres, joué une note ou un air inspiré de la lecture et de la voix de ces auteurs. J’ai tout assemblé pour que ça forme un morceau doté d’un certain sens musical. Ces enregistrements vocaux et musicaux constituent la composante sonore de Gestalten.
Revenons sur la genèse de votre projet. Pourquoi avez-vous précisément proposé ce concept pour Dubaï ?
Gestalten s’est développé peu à peu, en réponse à notre réflexion autour de ce qui définit l’identité d’une nation – le leitmotiv de notre collectif. Puis il a aussi fallu que je tienne compte des conditions d’exposition sur place. Proposer du son et du visuel c’est aussi devoir tenir compte de l’environnement et de l’acoustique de l’endroit. Et ça reste difficile de prévoir l’affluence dans un tel lieu.
Il fallait aussi et surtout qu’en cinq minutes, le visiteur comprenne de quoi je parle et donc que mon idée soit facilement accessible et pas trop complexe, sinon cela n’a aucun sens dans le cadre d’une exposition universelle. Il fallait s’adapter aux visiteurs dont la plupart ne sont pas nécessairement venus pour voir une exposition artistique comme la nôtre. Surtout qu’il y a tellement à voir dans ce genre d’endroits, tellement de pavillons à visiter… C’est pour ça que je ne m’attends pas à beaucoup de retours mais que je suis surtout content de la connexion que j’ai établi avec les autres artistes du collectif.
© Patrick Muller
Un dernier mot sur vos contributions aux projets de Julie Conrad et de Karolina Markiewicz et Pascal Piron.
Oui, en plus de la collaboration avec Guy Helminger sur mon projet, j’ai également collaboré avec Julie Conrad pour Artefacts. J’ai fait l’intermédiaire auprès de deux programmateurs de Berlin, des ingénieurs électromécaniques, qui ont fait la programmation sonore de son installation. J’ai traduit le feeling qu’elle voulait auprès d’eux. Et j’ai également signé une partie de la musique du film de Karolina et Pascal, qui voulaient des sons sombres et minimalistes en complément de la composition de Shafi Badreddin.
Bio express
Né en 1978, Patrick Muller vit et travaille à Berlin. Il est un artiste et créatif luxembourgeois évoluant dans les domaines de l’art sonore et des installations multimédia axées sur les systèmes interactifs et les processus de conception expérimentale. Il développe des concepts, crée du contenu artistique et pilote des projets dans le secteur de l’art, mais aussi pour des agences et des clients industriels. Patrick a fait ses études à Cologne, Liverpool et Berlin, avec des artistes renommés comme Robert Henke (Ableton, Monolake), Sam Auinger et Karl Bartos (Kraftwerk), entre autres. À côté de ses projets artistiques, Patrick Muller enseigne à la SRH Hochschule der populären Künste à Berlin, il est le cofondateur de l'agence *Invisible Design et est consultant pour oblique.furniture, studio de création primé également basé à Berlin.
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