Entretien avec Jennifer GOHIER / Compagnie Corps in Situ et Artezia

07 juil. 2022
Entretien avec Jennifer GOHIER / Compagnie Corps in Situ et Artezia

Auteur: Loïc Millot

Établie à la fois en France et au Luxembourg, la Compagnie Corps in Situ vient de présenter dernièrement au TROIS C-L deux de ses créations : Play et Leave. Entretien avec Jennifer Gohier, co-fondatrice de la compagnie Corps in Situ au côté de Grégory Beaumont.

L'une des particularités de votre compagnie est sa direction bicéphale : comment le travail s'organise en binôme ?

Cela fait longtemps que Grégory et moi nous connaissons. On a un parcours artistique similaire, ce qui apporte entre nous une complémentarité et une certaine confiance dans notre relation de travail. Le fait de se connaître depuis de longues années permet de nombreux échanges sur nos idées de création. Chacun de nous s'est par exemple approprié la thématique de la migration : on y a réfléchi, puis exploré le thème en studio ; on met en commun et on s'enrichit mutuellement. Puis on donne aux danseurs et compose avec ce qu'ils proposent.

L'élaboration de chaque spectacle débute donc à deux, avant de s'étendre à l'ensemble ?

Tout à fait. Cela commence toujours à deux, par l'appropriation commune d'une problématique avant de le partager avec le reste de l'équipe. C'est la démarche que nous suivons, tout au moins depuis nos premières pièces jusqu'à Leave... Après avoir traité à deux cette thématique, on sollicite le créateur lumière, puis on partage le résultat de notre travail avec les danseurs qui peuvent l'enrichir avec des propositions.

Grégory et vous-même avez donc la même formation en danse. Comment a émergé l'idée de fonder ensemble une compagnie ?

On a commencé tous les deux la danse au Conservatoire régional d’Angers. Grégory s'est ensuite perfectionné au Conservatoire supérieur de Lyon, tandis que je suis allé à l'école des Ballets du Nord à Roubaix. J'ai passé après une année à Lyon, où l'on s'est retrouvé. Grégory a ensuite eu son premier contrat au CCN-Ballet de Lorraine et moi à l'Opéra-Théâtre de Metz, à 60 kilomètres de là. On a continué à travailler en tant que danseur interprète pour un projet dans le Maine-et-Loire, où a germé l'idée de fonder une compagnie. On a fini par quitter les grosses structures dans lesquelles nous travaillions pour suivre nos propres projets. Dans un premier temps, on a donné naissance à cette compagnie en prenant en compte nos carrières d'interprètes. Jusqu'à ce que cette expérience prenne de plus en plus de place dans nos vies et que la compagnie devienne notre principal intérêt de développement.

De quand date au juste la création de votre compagnie ?

Nous avons fondé Corps in Situ en 2014, avec la particularité d'être implanté sur deux territoires : à la fois à Metz et au Luxembourg. Le nombre de danseurs avec lesquels nous travaillons varie en fonction de nos projets. Depuis 10 ans, on coopère avec une quinzaine d'artistes venant de France comme du Luxembourg. Notre compagnie est transfrontalière à tous les niveaux : artistique bien sûr ; mais aussi juridiquement, puisque deux structures portent les projets artistiques de part et d'autre de la frontière. Au niveau des danseurs, des collaborations, des co-producteurs, comme au niveau des financements et du rayonnement, ce caractère transfrontalier est la base de développement de notre compagnie.

Avez-vous songé à de nouvelles façons de composer avec le public ?

A travers notre compagnie, nous voulons justement réaliser des projets en faveur d'une danse accessible à tous. C'est vraiment quelque chose qui nous tient à cœur : rendre la culture accessible à tous. On travaille dans des théâtres avec des créations pour la scène, comme c'est le cas de Leave ou de Sac à dos par exemple. On s'adresse aussi au jeune public, avec deux créations accessibles dès 6 ans au sein de notre répertoire. On alterne entre la scène et des performances dans l'espace public ou in situ, comme des lieux non conventionnels à la danse, pour aller chercher des publics qui ne fréquentent pas les théâtres ou qui nourrissent des préjugés au sujet de la danse contemporaine. On aime aussi adopter des formes plus légères, ou participer à des événements populaires tels que la Fête des hauts fourneaux, à laquelle on va participer le 3 juillet prochain. C'est donc vraiment un choix délibéré de notre part que d'être à la fois sur scène et dans l'espace public afin de multiplier les entrées à des publics différents.

Vous disposez d'un volet relatif à l'éducation artistique. Pouvez-vous évoquer cette partie de votre activité chorégraphique ?

Côté français, les ateliers sont menés en partenariat avec des structures qui nous soutiennent : comme la Machinerie 54 ou la Ville de Metz par exemple, qui propose des résidences d'artiste en milieu scolaire et fait le lien entre les compagnies et les écoles intéressées par de tels projets. On mène cela également au Luxembourg depuis trois ans maintenant, dont le Lycée français Vauban qui voulait accueillir dans l'établissement des cours de danse. Nous nous y rendons régulièrement avec des propositions qui sont toujours en lien avec nos créations en cours. Cela comprend en outre des bords de plateau, des moments qui permettent aux élèves d'échanger avec les danseurs au terme de la représentation. Les élèves sont par ailleurs invités à assister à la première de l'une de nos créations. Tout un travail en atelier est mené durant l'année : Grégory et une danseuse de la compagnie, Julie Barthélémy, y dispensent des enseignements ; une option danse a même été créée suite à notre collaboration avec le Lycée Vauban. Un spectacle chorégraphique est joué chaque année au mois de mai avec les lycéens.

Je reviens sur la partie luxembourgeoise de votre compagnie : Artezia. Pouvez-vous évoquer la façon dont vous travaillez de l'autre côté de la frontière ?

Artezia a été fondé en 2014, au même moment que Corps in Situ à Metz. Initialement, nous étions, Grégory et moi, déjà interprètes au Luxembourg. Nous avions travaillé notamment pour Anu Sistenen, une chorégraphe finlandaise installée depuis plus de quinze ans au Luxembourg. De mon côté, j'avais exercé avec Bernard Baumgarten du Trois C-L, ou encore pour Annick Putz. Nous avions donc déjà une certaine visibilité de la scène luxembourgeoise avant de fonder Artezia. Grâce au volet des « Émergences » mis en place en 2017 par le TROIS C-L, qui est destiné aux jeunes chorégraphes, nous avons pu réaliser notre première pièce. Or celle-ci bénéficié déjà du soutien de structures transfrontières : le TROIS C-L et le CCN-Ballet de Lorraine. A cette occasion, il y avait une danseuse issue de Nancy et une seconde venant de Luxembourg. C'est cela qui a constitué la genèse du projet transfrontalier de notre compagnie. Artezia, pour ses différents projets, a reçu le soutien du TROIS C-L au titre de l'aide à la création, ainsi que la mise à disposition de studios, qui est pour nous un vrai atout au point de vue logistique. On est aidé de façon ponctuelle par le Ministère de la Culture pour certaines créations, ainsi que par Kultur LX pour la diffusion, ce qui nous a permis de faire découvrir nos créations jeune public à des professionnels. On reçoit également le soutien de la part de théâtres, comme celui d'Esch-sur-Alzette par exemple. Le Centre culturel des Rotondes a aussi produit en 2017 Sac à dos et Go ! en 2022.

Votre pièce, intitulée Play, se présente comme « une expérience ludique et participative ». Pouvez-vous en expliquer le principe s'il vous plaît ?

Play est une performance dans laquelle le public crée la chorégraphie pour les deux danseurs à l'aide de cartes et de dés. Cela prend la forme d'un jeu que je co-anime, avec des mouvements qui s'ajoutent au fur et à mesure du spectacle. Le public peut choisir les mouvements à accomplir, mais aussi la musique et les costumes... Le public devient alors maître de la création !D'où la dimension participative de cette pièce. Cela correspond à notre vision généreuse de la culture, qui privilégie des temps de partage avec le public. Nous voulons abolir le « quatrième mur » qui sépare habituellement la scène et le public. Il en est de même pour Leave, où le public est au milieu du studio, sans chaise, et partage l'espace scénique avec les danseurs durant toute la performance.