Entretien avec Dominique Seurin

04 mai. 2023
Entretien avec Dominique Seurin

© Dominique Seurin
Article en Français
Auteur: Loïc Millot

Auteur de Road trip street art (Coédition Cocktail & co et Inlingua, 2022), un ouvrage dédié à cette production urbaine qu’il a présenté en septembre 2022 lors de l’Ettelbrooklyn Street Fest (Ettelbruck), Dominique Seurin revient sur son intérêt pour cet art, qui peine encore à recevoir la reconnaissance qu’il mérite malgré l’institutionnalisation croissante de cette pratique.

© Dominique Seurin

Qu’est-ce qui a impulsé l’écriture de ce livre ?

Trois des quatre reportages repris dans ce livre étaient destinés à être publiés dans « Street art magazine ». Quand ce magazine a cessé de paraître, les artistes interviewés trouvaient que ce travail et les milliers de photos prises méritaient d’être publiées, que ce soit sous forme de blog ou de livre. Ayant déjà publié huit livres sur d’autres sujets, ce medium me convenait mieux.

Depuis quand êtes-vous passionné par cette pratique artistique, et qu’est-ce qui vous a séduit en particulier chez elle ?

Mon attrait pour le street art remonte à juin 2013, lors de l’un de mes nombreux voyages à l’île de la Réunion, lorsque je suis resté scotché devant le graff de Jace sur un pylône du pont de la Rivière Saint-Etienne, à Saint-Louis. J’ai garé ma voiture. Je suis descendu dans le lit de la rivière et j’ai pris mes premières photos de street art. Et je ne me suis plus arrêté depuis.

Quels sont les différents lieux européens que vous retracez dans votre ouvrage et qui sont particulièrement dignes d’attention ?

Le Luxembourg, où je vis depuis 21 ans et dont je connais bien la scène locale. Reims, que je ne connaissais pas, mais une artiste locale m’a conseillé d’y aller et puis j’ai ensuite été guidé par un graffeur local, Arno Kusek. Street art city situé à Lurcy-Levis, une petite commune du centre de la France, près de Nevers. Un entrepreneur privé a racheté l’ancien centre de formation de France Telecom et l’a transformé en Villa Médicis du street art. Le Pays basque français enfin, avec 2 villes très dynamiques : Bayonne et Biarritz.

Avez-vous aperçu, au terme de ce tour européen du street art, des différences culturelles ou nationales dans le traitement stylistique de certaines productions de street art ?

Pas du tout, du fait que le street art est maintenant un phénomène d’ampleur mondial. Si on peut parler de techniques différentes (acrylique, anamorphose, tout terrain, aérosol, collage, installations, XXL, mosaïque, pochoir, etc.) les artistes réputés voyagent, inspirent et influencent les jeunes artistes. Autant dans les années 70 on pouvait opposer une école américaine plutôt portée sur la pop culture et le graffiti writing, à une école française héritière des revendications de mai 68, plus politisée et popularisant le collage et le pochoir (un exemple frappant est celui du pochoiriste français Blek le rat, actif depuis 1993 et qui a fortement inspiré Banksy dont la carrière a décollé, avec le succès qu’on sait, à l’orée des années 2000), autant maintenant on assiste à une mondialisation du street art.

Photographier le street art, c’est aussi consigner la mémoire collective d’un art qui est par définition vulnérable, éphémère, et qui peut à ce titre être facilement détruit. Était-ce là l’une de vos intentions ?

Bien sûr, mon intention est de conserver des œuvres par définition éphémères mais les artistes le font très bien eux-mêmes à travers leur page Instagram, qui constitue maintenant le book indispensable de ce début de XXIe siècle. On est loin des années 80 où il fallait une photographe comme Martha Cooper pour immortaliser le subway art présent dans le métro new-yorkais.

Je pense que l’originalité de mon travail réside dans le fait de donner longuement la parole aux street artistes, lesquels peuvent ainsi expliquer leur démarche, ce qui est rarement le cas dans la plupart des livres consacrés à ce sujet.

Votre ouvrage comprend à la fin un index lexical : est-ce important pour vous de vous inscrire dans un effort d’ouverture et de vulgarisation auprès du public ?

Exactement. Les street artistes américains ont joué un rôle important dans le premier âge d’or du street art et la majorité des termes sont en langue anglaise, ce qui rendait nécessaire ce lexique pour le public francophone et dans un but de vulgarisation.

Estimez-vous que les préjugés négatifs qui entouraient à l’époque cette pratique sont encore d’actualité et qu’ils nuisent toujours à la reconnaissance de cette forme artistique ?

De moins en moins. Désormais les villes, au lieu d’envoyer la police municipale effacer les œuvres, offrent maintenant des lieux d’expression (à Hollerich, le M.U.R., pour ne parler que de Luxembourg Ville) et des festivals dans la plupart des grandes métropoles. Même s’ils n’atteignent pas des sommets comme les grandes figures de l’art contemporain, des artistes comme Banksy, ou Basquiat avant lui, témoignent de l’intérêt croissant porté à cette branche de l’art contemporain. Si vous y réfléchissez bien, le street art perdure depuis 50 ans, soit bien davantage que le mouvement impressionniste.

Pourquoi, selon vous, le street art n’est toujours pas pleinement reconnu au même titre que les œuvres d’art contemporain qui sont exposées en galerie ?

C’est heureusement de moins en moins vrai. La marchandisation dans le monde de l’art, la « récupération » des artistes de rue font que ceux qui au départ œuvraient dans la rue se retrouvent maintenant dans les galeries et nous proposent des produits dérivés. Je pense ici à la trajectoire de Sumo notamment.

Quels sont vos graffeurs préférés, et pourquoi ceux-là ?

Difficile de répondre à cette question car je risque de m’attirer les foudres des artistes non cités et qui sont aussi des amis. Je me contenterai donc de citer ceux qui localement m’ont aidé à réaliser ce livre et le diffuser : David Soner, Sumo et Sader pour les artistes locaux. Au niveau international j’apprécie particulièrement le travail de D*face, Deih, Shepard Fairey, FENX, Jace, Jef Aerosol, Nils Inne, Snake, Speedy Graphito ou Keith Haring, entre autres.

Comment se porte selon vous la scène du street art au Luxembourg ?

Elle est de plus en plus visible ; on a notamment un Comité d’art urbain à Luxembourg dont l’association I love Graffiti est partie prenante, l’Ettelbrooklyn street festival dans le Nord ou encore le travail mené par la Kulturfabrik, à Esch. Et puis, du 11 au 13 mai, vous pourrez me retrouver dans la galerie commerciale de la Belle étoile pour une séance de dédicace de mon livre. David Soner et Sumo seront présents ainsi que d’autres artistes repérés par les organisateurs suite à la lecture de mon livre. Il reste cependant beaucoup à faire. Luxembourg ville mérite un festival annuel et des résidences d’artistes de renommée internationale. Sauf erreur de ma part, le salon annuel du CAL n’accueille pas de street artistes. Le public senior ne semble guère goûter l’art contemporain. J’en veux pour preuve les formations proposées par la Chambre des salariés qui sont systématiquement annulées faute de public. Les galeries semblent assez frileuses. Mais restons optimistes : nous sommes sur la bonne voie.

Pourquoi y a-t-il encore si peu de femmes investies dans la pratique du graff’ ? Pourriez-vous en citer quelques-unes s’il vous plaît ?

Dans le chapitre « Pays basque : du piment aux pigments », je m’interrogeais : où sont les femmes ? En effet, avant d’entreprendre ce voyage, en prenant mes rendez-vous je me suis rendu compte que le milieu des street artistes en Pays basque français était très masculin. Donc peu de femmes interviewées, mais un grand espoir pour les années à venir au vu de la parité relevée à l’école d’art de Bayonne. Les futurs talents sont là. Au départ, l’art urbain était à l’image de la rue : un monde d’hommes. Il existe encore une grande disparité entre le nombre de femmes diplômées des écoles d’art et celles qui sont présentes dans les galeries et les musées… Mais les choses sont en train de changer. Parmi les pionnières, je peux citer Bambi, Lady Pink et Miss Tic. Actuellement, je relève le travail de Lor-K et Matt X Zekky, que j’avais interviewées à Reims et dont on pouvait retrouver le travail exposé le week-end dernier au Salon d’art contemporain à Luxexpo. Sans oublier Miss Van, Rouge ou encore Swoon.

Référence bibliographique :

Dominique SEURIN, Road trip street art, Coédition Cocktail & co. et Inlingua, 2022, 285 p. 15 X 15 cm.