En résidence au Casino Display

03 mai. 2022
En résidence au Casino Display

Article en Français
Auteur: Godefroy Gordet

« Lynn Klemmer TM »

Lynn Klemmer est une jeune artiste multimédia, officiant par le prisme de la vidéo, du son, du textile et des outils numériques au sens large. Récemment diplômée d’un Master of Arts de la Europäische Medienwissenschaften, son travail artistique s’attarde à penser et identifier les possibles des « réalités hybrides », et ce jusqu’à cocréer le collectif Mnemozine pour la recherche et l’expérimentation en philosophie, sociologie et pratique de l'art contemporain. Exposée dans la CeCiL's Box du Cercle Cité, artiste émergente exposée lors de la dernière Triennale Jeune Création du Luxembourg et de la Grande Région, Klemmer gravit tranquillement chaque marche, poursuivant une carrière d’artiste visuelle indépendante avec un immense focus sur ses thèmes d’application.

Depuis le 7 mars dernier, à l’invitation du Casino Luxembourg – Forum d’Art Contemporain, la luxembourgeoise a posé ses valises au Casino Display, pour une résidence qui se clôturera à la fin du mois de juillet. Elle y pense déjà de nombreuses œuvres issues de la recherche que stimule le lieu, mais aussi ce qu’invite à imaginer le lieu lui-même. Aujourd’hui, outre ses ambitions pour la suite de son parcours artistique et la reconnaissance de son travail au national comme hors des frontières, Lynn Klemmer est focalisée sur cette résidence au Casino Display, où, bientôt, elle y invitera le public à découvrir ces dernières pistes de développement artistique…

fortune cookie

Lynn Klemmer, Fortune Cookie

Bonjour Lynn. En témoigne votre implication avec Mnemozine, vous êtes intéressée par la relation entre la recherche théorique et la pratique artistique, et comment ces deux modus operendi interagissent dans le processus créatif. Pouvez-vous nous expliquer quels sont les enjeux de votre pratique artistique personnelle et ce qu’elle tend à explorer ?

C’est toujours une question difficile pour moi. Je crois que ma pratique, en termes de thématique, tente continuellement d'examiner notre relation avec les technologies. En ce sens, j’explore les questions concernant la fracture analogique/numérique, Internet, la vie privée et la collecte de données. Pourtant, au-delà de ce sujet, mon approche cherche également à identifier comment nos expériences sont toujours médiatisées, par exemple, à travers des interfaces et des écrans, mais aussi, plus subjectivement, à travers des métaphores, des souvenirs, les « espaces » que nous habitons et notre sens chimérique de nous-mêmes. Je tiens à souligner que ma pratique tente également de raconter, sous forme de récit, ma perception des environnements dans lesquels j’évolue.

Entre 2014 et 2019, du début à la fin de vos études, vous exposez entre Luxembourg et Dublin de nombreuses installations multimédias et transdisciplinaires. Ainsi, naissent Frou Frou, No Signal, Hanging by a Thread, Unheimlich Heimlich, Concrete Abstractions, Extended One-Dimensional, ou encore Head in the Clouds… Plusieurs œuvres qui dessineront votre pratique actuelle, dans son fondement esthétique – formée par l’onirisme et l’abstraction –, comme technique – palpable par la vidéo-projection, le son, et en contraste par des matières organiques comme le tissu. Quelles étaient vos ambitions théoriques comme pratiques à vos débuts et comment ont-elles évolué jusqu’à aujourd’hui ?

Au début de mes études, ma pratique tournait autour des installations textiles, du dessin et de la photographie et de la question de savoir comment ils pouvaient être utilisés pour capter certaines atmosphères. Pourtant, pendant cette période, j'ai aussi commencé à beaucoup réfléchir à notre environnement numérique. J'ai trouvé de plus en plus de comparaisons visuelles et conceptuelles à faire entre le numérique et les matériaux que j'utilisais. Soudain, les fils tissés et connectés ont commencé à ressembler à des réseaux à mes yeux, et j'ai donc décidé de continuer à explorer les comparaisons qui peuvent être faites – visuellement et métaphoriquement – entre la matière et le numérique. C'est une approche qui fait encore partie intégrante de ma pratique.

Par exemple, Head in the Clouds est une tentative de reconsidérer le cloud comme une métaphore du stockage de données en ligne et de visualiser comment Internet est pris dans une contradiction entre l'abstraction noble et la matière concrète. Fortune Cookie suit une approche similaire pour visualiser les politiques de confidentialité et la collecte de données, mais avec une touche plus comique ou satirique. Je pense qu'il y a un fil conducteur dans la chronologie de ma pratique. J’éprouve toujours de l'affection pour mes œuvres plus anciennes, peut-être parce qu'elles me rappellent une approche brute ou naïve de la culture numérique que je n'ai pas encore totalement épuisée. Ce qui est clair néanmoins, c'est que ma pratique a évolué pour se baser plus sur l'image. Je m'intéresse actuellement à la relation entre l'image en mouvement, le texte et les sons, et j'ai également commencé à adopter une approche plus cinématographique, travaillant souvent avec des scripts, des storyboards et surtout des titres qui sont désormais des points d'ancrage importants pour ma pratique.

head in the clouds installation

Lynn Klemmer, Head in the Clouds

2021 t’aura été une année charnière, entamée par ton occupation de la CeCiL's Box, avec ton installation Mechanical eye. Un travail thématisant l’impossibilité d’établir un contact visuel avec l’autre dans le contexte d’un appel vidéo. À l’été 2021, dans une ligne thématique parallèle, tu participes à l’exposition Brave New World Order, la Triennale Jeune Création du Luxembourg et de la Grande Région organisée par les Rotondes et le Casino Luxembourg avec ton œuvre Head in the Clouds. Un court-métrage partant de la métaphore du nuage devenu Internet, pour appeler le spectateur à « rêver, à réimaginer, à reconsidérer » les nuages en tant que tels. Ces deux grandes monstrations de ta recherche artistique t’ont finalement porté vers la résidence du Casino Display. De quelle manière cette résidence vient-elle permettre un prolongement de la recherche artistique sur laquelle se pose votre regard depuis les cinq dernières années ?

Je vais utiliser mon temps dans cette résidence pour explorer principalement des idées que j'ai accumulées au fil des années, mais que je n'ai pas encore pu revisiter. Parfois, il y a des images, des titres, ou une atmosphère qui restent de mes projets précédents, parce qu'ils ne correspondaient pas tout à fait, ou n'étaient pas assez développés, et qui continuent ensuite d'exister comme des fantômes qui hantent mon esprit et mon disque dur. Avoir un espace dédié à la recherche artistique me permet enfin de revenir sur certaines de ces idées et de voir où elles pourraient me mener. La taille de l'espace, ainsi que les ressources qu'il offre, me permettront également de penser davantage en termes d'installation, même lors de la diffusion de mes vidéos. J'ai déjà commencé à aller dans une direction similaire à la Triennale, lorsque j'ai décidé de montrer Head in the Clouds dans le cadre d'une installation, et j'aimerais explorer davantage les possibilités d'une telle approche.

Dans ce temps de recherches et d’échanges de six mois – depuis le 7 mars dernier et jusqu’au 31 juillet prochain –, vous expliquez vouloir explorer et développer, « une approche artistique qui s'intéresse à la relation que nous entretenons avec les technologies numériques… », en même temps que de comprendre, « à quel point mon engagement et mon expression concernant ces thèmes sont radicalement personnels et subjectifs ». Après ces deux premiers mois à travailler dans l’ancienne galerie Konschthaus Beim Engel, avez-vous pu poursuivre votre recherche et pourquoi pas trouver un ailleurs directionnel, et qu’avez-vous pu apprendre de vous-même ?

J'ai essayé de prendre un certain temps pour comprendre pourquoi j'ai développé une telle fascination pour la technologie et comment je peux exprimer cette fascination d'une manière à la fois révélatrice, en y donnant accès aux spectateurs. Je souhaite rester intransigeante sur ma propre perception. Il s'agit bien sûr d'un processus ouvert. Pourtant, je commence lentement à maîtriser ces notions. Plus particulièrement, je commence à comprendre qu'en créant des espaces pour mes œuvres, je crée également un point d'accès vers moi-même et pour le spectateur, pour entrer dans mon propre cerveau et recâbler – si on peut dire – les connecteurs pour établir de nouvelles relations et nouvelles significations possibles. Dans un autre sens, habiter un nouvel espace forme aussi et toujours de nouvelles idées. Je me suis longtemps intéressée aux interfaces vocales et à l'expérience, parfois spirituelle, du fait de parler à une machine. Compte tenu de la structure du bâtiment, avec son ventre en forme de catacombe, je commence lentement à voir une nouvelle œuvre se dessiner dans mon esprit… Mais il est encore trop tôt pour en dire plus !

what fires together wires together

Lynn Klemmer, What Fires Together Wires Together

Vous dites travailler actuellement sur une exposition qui marquera l’entre deux de votre période de résidence ici au Casino Display. Que pouvez-vous nous en dire ? Votre dernier film expérimental What Fires Together Wires Together (8 minutes 2022), y sera-t-il montré ?

Oui, c'est tout à fait ça ! La courte exposition, intitulée d'après la vidéo que vous avez mentionnée, présentera les trois dernières vidéos que j'ai réalisées, dont deux n'ont pas encore été exposées au Luxembourg : Head in the Clouds, Fortune Cookie et What Fires Together Wires Together. Je suis particulièrement ravie de montrer cette dernière vidéo dans le cadre d'une installation plus vaste. Le film tend à rendre compte visuellement, au moyen d'un récit fictionnel expérimental, les processus de neuroplasticité, ou le fait que parfois, le cerveau forme et tisse des connexions, par exemple entre les images, le sens, les récits et l'expérience. Afin d’exprimer ceci de façon holistique, et puisque le cerveau se situe dans le crâne, je souhaite donner aux spectateurs la possibilité d’entrer dans une pièce à l’intérieur d’une pièce. Cette exposition spontanée aura lieu du 6 au 15 mai prochains au Casino Display et vous pourrez y voir ces trois œuvres dans leur contexte de monstration si particulier.

https://lynnklemmer.com/

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