Chantal Maquet, une artiste en pleine conscience

22 nov. 2022
Chantal Maquet, une artiste en pleine conscience

Article en Français
Auteur: Patricia Sciotti

Enjouée, accessible, lumineuse, loin de l’image des artistes certes accomplis, mais plutôt torturés du siècle dernier, Chantal débarque avec son chien, toujours à ses côtés, aussi indifférent aux regards des autres qu’elle l’est sans doute elle-même un peu et s’installe en toute décontraction à mes côtés. Je sens une femme libre dont l’art guide les choix de vie en toute sérénité. La facilité avec laquelle elle exprime sa vision de l'art, la spontanéité, l'engagement qui se dégage de ses mots et de tout son être exhalent une évidence. Elle est une artiste, une créatrice qui observe et retranscrit à la fois le vivant et le non-vivant, l’exprimé et le non-dit, le monde visible et invisible, les faits et les pensées. Elle nous livre à travers ses œuvres multiples plusieurs niveaux de perception d’un univers à la fois poétique, intellectuel et sérieux…

 

Au cœur de l’actualité depuis notre rencontre peux-tu me faire un commentaire sur le fait que tu aies reçu le prix le prix Pierre-Werner au salon du CAL pour ton œuvre « tue dir Gutes und rede darüber #Païschtcroisière »?

Que pourrais-je dire après avoir reçu le “Prix Pierre Werner”? Je sens surtout qu’il y a une certaine différence entre ce prix et les bourses qui sont accordées aux artistes. Les résidences et subventions représentent surtout une expression de confiance d’un jury envers mes projets avec la promesse de réaliser une certaine œuvre ou faire une recherche précise. Ce prix est en ce sens différent. C’est la reconnaissance de mon travail après la réalisation d’une œuvre. Cette distinction fait du bien.

tue dir Gutes und rede darüber #Païschtcroisière
wir haben nicht Nichts getan #Päischtcroisière

Qui es-tu en quelques mots, quel est ton parcours personnel, professionnel?

À l’origine, je suis artiste peintre, mais peut-être serait-il mieux de me définir comme artiste pluridisciplinaire. 
Lorsque je parle de mon art, je parle en fait de moi-même, parce que ce sont mes intérêts personnels qui transparaissent à travers mon art. Je me penche beaucoup sur la relation entre les gens et les connexions humaines. On peut même le qualifier de sorte de sociologie, mais le qualifier comme tel peut paraître un peu trop ambitieux ! Dans mes recherches, je m’investis également dans le féminisme, le rôle de la femme dans la société. C'est une thématique qui m’interpelle, je me pose des questions comme ; quels sont les rôles prédéfinis dans notre société, comment peut-on s’y retrouver et comment peut-on surmonter ces attentes ?

Mes réflexions se concentrent également sur le racisme structurel au Luxembourg, cette thématique était le sujet de l’exposition que j’ai faite l’année dernière à Dudelange. La question clé qui s’avère être récurrente dans mon travail tente de répondre aux questions suivantes : comment est-ce qu'on peut se libérer des règles qui nous sont imposées, les cadres, les boxes dans lesquelles on force les individus, vivons-nous dans une société de préjugés ? On comprend assez vite les préjugés des autres sur nous, mais vice-versa est-ce le même cas de figure ? Je thématise ceci dans ma création artistique de différentes manières. La peinture est un très bon moyen de traiter ces sujets. Je travaille beaucoup sur des photos anciennes, que je retravaille, et où j'invite à une lecture d'un point de vue contemporain, j'analyse les gens qui sont présents et leurs actions. Je plonge dans l’atmosphère et dans la situation.


Mais pourquoi as-tu décidé d'être artiste, d'où ça vient ? Je suppose que tu as fait des études pour ça ?

Habituellement, je ne parle pas trop de mes études parce que ce n’est pas un parcours typique. Je me suis focalisée longtemps sur la technique, puisque j'ai fait des études plutôt d'art appliqué. Je pense que si j’avais décidé à 19 ans d’entamer un parcours d’art visuel, je crois que je n’aurais pas eu la maturité de savoir de ce dont je voulais parler. En fait, c’est une chose que j’aime recommander aux jeunes : qu’ils apprennent d’abord un métier et après, lorsqu’ils ont une certaine expérience deviennent artistes.

Zu Zweit mit Kessi
Zu Zweit mit Kessi
2018, 105x85cm

Lannée passée, tu as fait une exposition sur le racisme au centre d'art de la ville de Dudelange, quelle était ta démarche ?

Je suis partie de ma propre histoire. Mon père est né dans le Congo belge. Mon grand-père était belge, ma grand-mère venait de Transylvanie. Ils se sont rencontrés lors de la seconde guerre mondiale en Allemagne. Après mon grand-père est parti travailler au Congo-Belge, elle l’a rejoint et trois jours après, ils se sont mariés. Après leurs années au Congo, ils se sont installés au Luxembourg.

J'adorais les moments où mon grand-père me montrait les albums photos de cette époque. Pourtant, j’étais trop jeune pour poser ou me poser des questions sur ces photos de la vie dans l’univers colonial. On me l'a racontée comme la chose la plus évidente du monde. Et maintenant, moi en tant qu’adulte, cela m'interpelle.

Et puis, j'adore être présente dans les expositions au moment où les visiteurs arrivent. Cela m’intéresse d’observer les réactions des personnes, voir comment les émotions changent. On sent que, à un moment donné, les personnes sont vraiment dans l'écoute et dans la lecture. Cela me touche, lorsque que j'arrive à toucher les gens dans leur cœur ou dans leur tête, qu’ils commencent à réfléchir, refléter leurs propres actions. J’aime interpeller le visiteur surtout pendant ces moments où il se sent mal à l’aise ou il est obligé de faire une réflexion plus poussée et de se confronter avec une certaine problématique et de ne pas y échapper.

Effectivement, tes axes de réflexions sont très ouverts, tu as bientôt une résidence de 6 mois dans une maison avec jardin… cest bien différent dun sujet sur le racisme, mais comment cela se passe-t-il?

L'année prochaine, pendant six mois, je vais être artiste en résidence à Clervaux. Christine Keipes, la directrice artistique du Cube 521 m’a invitée pour cette résidence. Je m’installe dans une petite maison avec jardin, près de la forêt, cet endroit s'appelle l'Ermitage. À Clervaux, je veux travailler intensément sur le jardin. L'idée du jardin, de cultiver quelque chose, de voir ce qui peut en résulter, avec le risque d’échec total fait aussi bien partie de mon projet. En travaillant sur le racisme structurel, qui impliquait également la notion de migration, cela m’a poussé à expérimenter le côté opposé de la migration, le fait de rester. Pour migrer, il faut bouger, être en route, donc impossible de s’occuper d’un jardin qui se trouve à un endroit précis et qui a besoin d’entretien. Pour avoir un jardin, il faut s’enraciner et être présent. La thématique du nomadisme et de l’agriculture m’intéresse davantage.
 Depuis la pandémie, je travaille également avec des interviews et le jardin se prête à être un excellent terrain de recherche. Je vais révéler quelques détails de mon futur projet ; je veux interroger des gens sur leurs expériences au niveau jardinage. À Clervaux, vivent plus que 80 nationalités différentes. Cet aspect est très intéressant pour moi, j’aimerais inviter des citoyens de Clervaux pour discuter de leur mémoire de jardin, de leurs grands-parents, etc. Se raconter des histoires autour d’un potage qu'on a cuisiné avec les légumes du jardin... Et puisque les titres font partie intégrante de mon travail, celui-ci m’est venu tout de suite en tête à cause de sa musicalité « Visages d’un paysage ».

Was bisher geschah 150x130cm, 2022
Was bisher geschah
150x130cm, 2022

Qu'est-ce que tu aimes le plus dans l'art et qu'est-ce que tu détestes le plus ?

Là se posent les grandes questions philosophiques. Qu'est-ce que j'attends de l'art ? Qu’est-ce que j'aime dans l'art ? C'est le fait de découvrir. Être plongée dans un univers, c'est bizarre, mais j’aime saisir une pensée, une vision du monde, quelque chose qui me capte, qui est nouveau pour moi. Un autre point de vue. C’est à la fois intellectuel et émotionnel.

Par contre, ce que je n'aime pas, c’est l’ennui, quand une œuvre est plate, sans intérêt, sans recherche, quand il s’agit juste de décoration, et d’absence d'émotions. Parfois, on peut ne pas comprendre l’art, mais avoir une émotion. Ce qui me passionne, ce sont les couches qui restent à découvrir. Et quel que soit le médium que cela soit la peinture, la photographie, le théâtre, le film, n'importe, ce n’est pas le médium qui importe, mais ce qui se cache derrière. Lors de mes études, j'ai fait aussi un séminaire de créative writing. Pendant ce cours, le professeur nous a dit que quand un texte est dans le monde, tout le monde est libre de l'interpréter pour soi-même, donc pas d’explications de ta part. Toute perception, ou vision est correcte, elle est propre à toi. Je pense que cela vaut aussi pour la peinture.


Est-ce que tu veux dire quelque chose d'autre ?

Visitez les expositions, allez voir les spectacles, découvrez de l'art. L’art ouvre l’esprit et fait de nous des humains plus réceptifs et cognitifs au niveau intellectuel et émotionnel. Soyez humain au-delà du simple fait de vivre. Sentez-vous humain.


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