5 questions autour de Kaboom

07 fév. 2022
5 questions autour de Kaboom

Article en Français
Auteur: Godefroy Gordet

« Michel Meis 4tet TM »

Quand Michel Meis décrit son 4tet, il explique qu’ils sont des « recycleurs d’eux-mêmes ». En effet, si leur musique se créée comme tant d’autres, en répétition, sur une partition ou une idée, elle en vient rapidement à muter, à mesure qu’Alisa Klein, Cédric Hanriot, Stephan Goldbach et Michel Meis la jouent, l’éprouvent, la reformulent, pour la faire vivre et revivre autrement. C’était déjà palpable dans leur premier album Lost in Translation (2019), publié chez Double Moon Records, encensé par la critique, et intégré à la prestigieuse collection « Next Generation » du magazine allemand Jazz Thing. Alors, dans la lignée de ce premier disque qui bousculait les bornes d’une musique jazz qui n’aime pas trop qu’on déborde du cadre, en mai 2021, le quatuor sort Kaboom, en collaboration avec Théo Ceccaldi, et comme son nom l’indique, il est explosif.

Mais Kaboom c’est aussi un disque apaisant, fait de titres à la narration musicale puissante, jalonnés d’interludes, sortes de temps calmes, spécialement conçus pour valoriser l’écoute du disque de bout en bout. Et c’est une des choses qu’on retiendra de notre rencontre avec Michel Meis : l’envie de créer une musique construite par les émotions des musiciens qui la jouent, mais surtout, le désir d’une musique tournée vers son auditeur, au point de le faire tantôt virevolter, tantôt le cajoler. Alors, outre la technicité et la grande modernité de leur travail musical, ce qui touche chez le Michel Meis 4tet, c’est cette grande bienveillance artistique.

©

Michel Meis 4tet, Kaboom

Né en 2018 de l’association des musicien*nes Alisa Klein (trombone), Cédric Hanriot (piano & rhodes), Stephan Goldbach (contrebasse) et Michel Meis (batterie), après de longues années de recherches stylistiques et d’expérimentations sonores, pouvez-vous nous raconter la genèse de ce groupe néo-jazz ?

Le Michel Meis 4tet existe depuis quatre ans. Nous nous sommes constitués en 2018, au fur et à mesure de nos rencontres. J’ai fait mes études à Sarrebruck où j’ai rencontré Stéphane Goldbach le bassiste. Je voulais absolument jouer avec lui, son jeu me plaisait. Il a un jeu très fort, furieux, et c’est un soliste un peu extravagant, pas seulement un musicien bassiste. Il est très différent des autres musiciens que j’ai pu rencontrer. C’est donc le premier musicien que j’ai choisi.

Je cherchais ensuite un autre musicien, ou une musicienne, pour composer un trio. Je connaissais Cédric Hanriot des mardis jam sessions au feu le Liquid Bar logé au Grund à l’époque. J’avais vraiment envie de travailler avec lui et quand je lui ai proposé de nous rejoindre, il est tout de suite monté à bord. Alors en trio, Stephan m’a toujours poussé à nous constituer en quatuor. Alisa Klein nous a rejoint sur un concert, et du Michel Meis Trio feat. Alisa on est devenus le Michel Meis 4tet. On est ensuite parti dans une première tournée en Ukraine et on s’est vite retrouvés au studio pour enregistrer notre premier album Lost in Translation en 2019…

Le Michel Meis 4tet revêt aujourd’hui des allures de modernité et de diversité musicale, sous des lègues rock-hardcore, jazz et électronique. Comment décrieriez-vous musicalement ce 4tet, si éclectique et singulier à la fois, que vous dirigez ?

Ça n’a pas toujours été comme ça. L’identité musicale du 4tet s’est développée au fur et à mesure du temps. En général, je viens avec des idées, des partitions, des notes et comme nous sommes tous des musiciens habiles en solo, ensemble on retravaille ces idées, sans s’autocopier constamment. C’est pour moi quelque chose de très intéressant que de voir se transformer notre musique de concert en concert. On est devenus des recycleurs de nous-mêmes. Récemment, par exemple, on était en tournée en Allemagne pour trois concerts et ils étaient tous très différents.

Les idées principales sont toujours présentes, sous-jacentes, mais le développement de celles-ci se poursuit et se construit autrement chaque soir sur scène. On réagit au public, aux réactions dans la salle et comment les transfigurer sur scène. Notre musique n’est clairement pas la même dans un petit club ou une grande salle de concerts. On peut se sentir comme au studio ou beaucoup jouer avec la salle… Notre style s’est développé comme ça, et s’est diversifié, mais il reste toujours aussi imprévisible. Moi-même, je suis encore étonné quand l’un de nous sent le moment et transforme encore les choses. On est donc tous obligés de s’adapter à cela et de jouer et s’amuser avec notre propre musique.

©

Michel Meis 4tet, Kaboom

Après les sept compositions parues sur votre premier album Lost in Translation, vous publiez votre dernier album Kaboom en collaboration avec le violoniste Théo Ceccaldi le 28 mai 2021. Un disque très diversifié, que vous qualifiez de « déflagration sonore », par lequel vous poursuivez vos recherches musicales dans un mélange d’improvisations inspirées, d’expérimentations franches et de compositions plus calibrées. D’où vous vient cette envie de contemporanéité et de dépoussiérage du jazz par ces croisements de genres et tonalités ?

J’aime beaucoup le jazz mais pas seulement. Du coup, j’ai toujours voulu garder l’esprit jazz, en jouant avec mes autres influences. Je voulais faire une combinaison de tout ça, mélanger un peu les styles. Je crois profondément que c’est là où le jazz va se développer dans le futur. Même si ça fait longtemps que cette évolution se manifeste. Dans mes compositions, je voulais garder cet esprit jazz, dans les sons, dans l’accroche et l’improvisation, mais trouver des mélodies qui rentrent dans l’oreille, qui reste, un peu à l’image du titre éponyme de l’album. Des chansons qui restent à l’esprit et que les gens puissent entonner, encore deux semaines après.

Alors, j’ai combiné tout ce que j’aime dans la musique, le rock, le métal, le drum and bass, mais aussi, et bien-sûr, le jazz, surtout dans son cadre d’improvisation, qui est très important dans notre musique pour qu’elle puisse se transformer, comme je l’expliquais tout à l’heure. Kaboom est ainsi constitué de six titres entrecoupés de cinq sortes d’interludes, qui sont là pour donner un peu de souplesse dans l’album. Ce sont des petits solos, parfois qui transforment ou déconstruisent la musique précédente, par le biais d’autres accords. Dans ce sens, ça devient une petite minute « d’autre chose ». C’est comme une petite pause dans l’album et c’est dans cette direction que je voulais aller, que l’oreille puisse se reposer après des titres plus longs.

Le 26 janvier dernier vous sortez le clip du titre éponyme de votre album Kaboom. Un clip qui raconte l’histoire d’un boxeur après un combat important raté et de fait, face à lui-même, ses traumatismes, son passé, ses démons intérieurs. Y a-t-il là un jeu de miroir avec vous-même ?

Avec Kaboom je voulais faire quelque chose de très énergique, avec un contrepoint très lourd. C’est comme ça que le morceau a été écrit : en étapes. On a un début très rapide, disons un peu plus tonique, et de l’autre côté on a un solo au piano beaucoup plus calme, qui prend de l’espace et montre une certaine mélancolie. Puis, on reprend le début et ça se termine par une explosion symphonique, en nuance. J’ai écrit ce titre dans une humeur très énergique, mais il n’a pas de relation avec moi-même ou mes habitudes, ma routine. Je voulais simplement laisser sortir toute cette énergie dans un morceau. J’ai toujours cultivé cette image du musicien jazz, assez sobre, élégant, portant le costume et la cravate, et c’était important pour moi de jouer avec la relation entre l’image que l’on transporte et celles qui illustrent notre musique.

C’est pour cela qu’on a choisi un chat blanc pour la cover de Kaboom. Il symbolise un peu ce qu’est le Michel Meis 4tet. Je conserve toujours volontairement une certaine élégance, un certain chic, celui qu’on associe souvent au jazz, justement, mais d’un autre côté, je veux aussi exploser, me montrer punk, furieux, sans costume, ni cravate… Je suis vraiment entre les deux et c’est ce que le chat symbolise pour moi : il peut être majestueux, doux, et à la fois, il peut ruiner ton tapis et pisser dans les coins. Ce contraste définit bien ce qu’est le Michel Meis 4tet. On a un cadre qu’on se créé nous-mêmes, la musique qui vient de nous, ce qu’on donne sur scène, nos costumes blancs, mais quand on sort de ça, on devient électrique, on explose, on est enragés… C’est de cette transformation du chic au punk qu’il est aussi question dans notre musique. Elle existe dans notre musique, dans l’imagerie de notre musique, et pour Kaboom on voulait vraiment accentuer cela.

© Navid Razvi

© Navid Razvi

Vidéo soutenue par la musique, et vise et versa, ce clip de neuf minutes flirt avec le court-métrage dans sa cinématographie et son rythme. C’était important pour vous de révéler la force narrative de votre musique par un tel objet vidéographique ?

Ce projet a commencé il y a un an par une première réunion avec le réalisateur Daniel Weber (www.flatfilm.de). J’ai toujours voulu travailler avec lui parce que j’adore son travail. Daniel a réalisé d’autres vidéos magnifiques pour d’autres groupes (Komfortrauschen – Rampe, Caro B – Kopfkino). Au départ, on s’était dit raccourcir le morceau, mais on n’a pas trouvé de solution pour le couper, du coup on a décidé de mettre en image le titre en entier qui fait quand même neuf minutes. On n’était donc pas dans un format « radio edit », et de fait, on a dû réfléchir à une idée forte.

On a tout de suite percuté autour des chats, en réfléchissant d’abord à une histoire avec de vrais chats qui trainent dans les rues, mais on a vite abandonné cette idée qui semblait irréalisable. Alisa a ensuite proposé que cette histoire se déroule autour d’un match de boxe, et, de là, on a écrit un scénario de 20 pages. Ça a été un travail inconnu et différent pour moi, parce qu’on était dans quelque chose de l’ordre du court-métrage, et cet univers du film m’était étranger. Tout le processus a donc été une découverte et donc un travail assez colossal. Après une année de travail, on voit enfin ce clip en ligne, pour lequel j’ai laissé beaucoup de place au réalisateur, tout en lui demandant que ça soit un film qui « explose ».

Le Michel Meis 4tet feat. Théo Ceccaldi sera au Echter’Jazz Festival du Trifolion d’Echternach, le 26 février, à 20h.

www.michelmeis.com