NEDAL - ADOLF EL ASSAL

28 mar. 2023
NEDAL - ADOLF EL ASSAL

Article en Français
Auteur: Godefroy Gordet

Entre le 31 janvier et le 4 février dernier, Adolf El Assal tournait, façon guérilla, un projet complètement fou. Le réalisateur luxembourgeois accompagné du dramaturge et scénariste Rafael David Kohn, des célèbres comédiens allemands Kida Ramadan (avec ses enfants) et Burak Yiğit, et d’une équipe technique plus que téméraire, se sont donné le défi de tourner un long métrage, en seulement six jours dans plusieurs lieux distincts au Grand-Duché.

Burak Yiğit

L’idée est folle, mais plus rien n’étonne avec El Assal qui déjà à ses débuts réalisait ce genre de tour de force depuis Divizionz, un film purement guérilla, co-dirigé avec Donald Mugisha et James Tyler en 2008, ou encore Reste bien, mec!, avec LX Team, tourné avec sa bande de potes, à l’arraché, sans autorisations, ni même de franc budget. Ici, Adolf a tout de même le confort du professionnalisme de toute une équipe, tous sont aguerris, connaissent leur travail et ont l’habitude des lubies de l’inarrêtable « Ady ».

Retour sur une journée avec lui, au cœur du tournage express de ce « Nedal », un film archi-spontané, qui se placera bientôt soit en une tentative expérimentatrice avortée, soit en un nouveau coup de génie du maître. Quoi qu’il en soit, malgré une situation très tendue avec sa sœur Mary Faltz, le cinéaste continue sa « fameuse route », pour poursuivre de nous étonner de sa folie créatrice.

Adolf el Assal

CONTEXTE

Dernièrement, Mary Faltz, la sœur d’Adolf El Assal, a témoigné de son indignation quant à la mise en scène de leur père – qui a abusé d’elle sexuellement pendant seize ans et a été condamné au Tribunal pour ces faits – dans Sawah, film sorti en mars 2019 par Adolf El Assal. Déjà sur son site Internet, www.maryfaltz.com, elle s’exprimait ainsi, « seeing my abuser walking freely around, let alone playing a kind and sweet role in a NETFLIX movie produced by his beloved son is not only a punch in the face for his victim but also a clear message to all the abusers out there that you can destroy your victim’s life and yet the repercussions are mild and life goes on ». Puis par la presse, à France Clarinval dans le Lëtzebuerger Land du 10 mars dernier, « ce n'est pas seulement un rôle, c'est le rôle d'un père sympathique, dans un film présenté comme autobiographique ». Alors que Faltz parlait de « ligne rouge franchie » au média L’essentiel, le 16 février dernier, elle finit par alerter le Film Fund et le Paul Thiltges, producteur de Hooped, prochain film d’El Assal, par l’intermédiaire de son avocat.

Dans un communiqué envoyé à la presse le 7 mars dernier, Adolf El Assal se défend, « oui, notre père a bien été condamné pour des crimes atroces qu’il a commis contre ma sœur Mary et j’en suis terriblement navré ! Contrairement aux dires qui se répandent, je ne CAUTIONNE aucunement le comportement de notre père… » et souligne dans son communiqué, « le personnage – que joue son père dans Sawah est un vieux père grincheux, sévère et détestable ! » et d’ajouter à différentes reprises, « le rôle de mon père n'est pas un rôle sympathique ». Alors, s’il fait preuve d’une forme de rédemption avec cette déclaration, il n’est clairement pas épargné. Les conséquences par exemple pour la production de son prochain film sont terribles, le comité de sélection du Film Fund Luxembourg a mis en suspens le soutien public apporté au projet Hooped : près de trois millions d’euros. Dans le même temps, Paul Thiltges qui reçoit ce financement refuse de porter cette « épée de Damoclès », explique-t-il au Land. Un virage brutal qui met clairement en péril le prochain long métrage d’Adolf El Assal. Ce dernier qui a toujours insisté sur le fait de ne pas connaitre les sévissent dont sa sœur a été victime.

Le producteur Paul Thiltges n’était pas au courant des faits avant un appel de Mary Faltz lui demandant si « le père d’Adolf » – celui qu’elle nomme « mon abuseur » dans sa conversation avec France Clarinval – jouerait dans son prochain film Hooped. Thiltges témoignait ainsi au Land, en expliquant que pour lui, « après avoir discuté avec des médecins, je comprends qu’il – Adolf – a dit “sa“ vérité. C’est souvent le cas de personnes pour qui la vérité est trop insoutenable », et finissant par préciser « qu’il a changé ». Qu’Adolf El Assal ait changé est assez plausible, pourtant, ce qui ne change pas c’est son obsession pour son cinéma, parfois sans se rendre compte des conséquences que peuvent avoir les transformations fictionnelles sur le réel. Il l’exprimait lui-même au Land, « on me reproche de faire des films sur ma famille, mais je réalise des comédies qui tourne autour de l'identité de mon point de vue d'Égyptien qui a grandi au Luxembourg ». Alors, à l’écouter on peut lui reprocher de n’avoir considéré dans sa vie que le cinéma, obnubilé par lui-même peut-être.

Les faits sont là, publique d’ailleurs, raconté par Mary Faltz dans son ouvrage Cruelly Betrayed, paru le 20 février 2021, chez Filament Publishing. L’affaire dans les mains de ceux choisis pour l’analyser, et en attendant les finalités de cette triste histoire familiale, Mary Faltz et Adolf El Assal continuent de vivre, d’être une brillante docteure en pharmacologie, désormais coordinatrice de projet SCRIPT – créant des programmes pédagogiques d'éducation sexuelle et affective à destination des jeunes –, et candidate sur la liste Stater DP, pour elle, et un producteur scénariste et réalisateur à la carrière exponentielle, pour lui. Une sœur et un frère, fleurons de la nouvelle inteligencia luxembourgeoise, se déchirant, livrés à des épreuves dignes de celles d’une tragédie grecque.

GUERILLA

Ainsi, dans ce contexte pesant, qu’on ignorait alors, lors de notre reportage, El Assal produit un film, à la manière du cinéma guérilla, caractérisé par une forme d’indépendance totale, un budget dérisoire, une équipe réduite, un temps de travail record, pour une dimension de solutions moins que de problèmes. Le film Guérilla est d’une fraicheur pour un réalisateur que beaucoup de grands noms s’y sont adonnés tels que, entres autres, François Truffaut, Chris Marker, Spike Lee, Robert Rodriguez, Darren Aronofsky, ou encore Jafar Panahi… Et puis, par chez nous, le fer de lance luxembourgeois de ce genre cinématographique à part est bien Adolf El Assal, comme il le mentionne, « ça faisait longtemps je voulais revenir à ça. C’est un petit retour aux sources, même si on a quand même du très bon matériel, une équipe professionnelle et des comédiens magnifiques ».

Alors, le 23 janvier dernier, nous recevions ce message d’Adolf El Assal, « je tourne à partir du 31 un long en 5 jours, tout improvisé avec le plus grand acteur allemand… Ça te dit de passer ? » Une semaine plus tard, direction Film Land à Kehlen sous la bruine et le froid du début de l’année 2023. À notre arrivé, dans les bureaux du studio, ça grouille de monde, un peu comme si l’on avait buté dans une fourmilière. El Assal est très sollicité mais trouve un temps pour nous expliquer, au moins en surface, son nouveau délire. Sur son petit quart d’heure de pause déjeuner, sifflant son repas, il nous explique, « je prépare un film complètement improvisé que j’ai écrit en une semaine avec l’auteur Rafael David Kohn ». Ça a le mérite d’être clair. Au calme, dans ce temps de pause à ce vif tournage, Adolf El Asal peut, enfin, dévorer sa plâtrée de pâtes. La mine fatiguée, le ventre vide, les mains froides, El Assal vit un moment sportif. Ce tournage imaginé façon guérilla est loin de son cadre habituel de travail et la source-même de ce projet est inhabituelle pour celui qui se fait appeler « Ady », « Kohn écrit à la base des pièces de théâtre. Je l’ai rencontré il n’y a pas longtemps, on a sympathisé et s’est mis à écrire un truc en allemand ». El Assal veut se tester dans cette langue…

Nedal de Adolf el Assal

« Au début Rafael me prenait pour un fou. On a brainstormé deux heures avec Nilton Martins – qui joue également dans Nedal –, et on a trouvé une histoire assez originale ». Ils écrivent une trame, sans dialogues, « ceux-ci sont improvisés sur place », un mini scenarii qui explique ce qui se passe scène par scène, dont la plupart se déroulent dans ou autour d’une voiture. Ils conçoivent ainsi une structure dramaturgique, avec un début, un milieu, une fin, des conflits et tout ce qui vient avec, « on avait ça sur peut-être deux pages, et avec ça on a réussi à convaincre toute l’équipe », s’amuse El Assal. Pour ajouter une couche supplémentaire, le réalisateur explique qu’il avait annoncé vouloir tenter de faire un long-métrage de ces cinq jours de tournage. De là, El Assal rassemble son équipe, « tout le monde me prenait pour un fou, comme d’habitude. Je leur ai dit, on va essayer de le faire », et le projet se lance comme ça, tel un délire d’adolescent.

Désireux de se tester sur un projet germanophone, Adolf El Assal sort son téléphone et finit par réunir une équipe assez hors norme pour un tel projet. Une vingtaine de personnes le suivent ainsi aveuglément dans son trip co-écrit avec Kohn, mais c’est surtout un nom qui va faire changer la dynamique de création de ce film baptisé Nedal, « j’ai appelé Kida Ramadan, qui a beaucoup aimé l’idée, et était d’accord pour s’y investir ». El Assal propose donc à Kida Khodr Ramadan, célèbre acteur d’origine libanaise, star du cinéma allemand, de venir tenir le rôle principal d’une histoire « à suspense », qui parle de l’actualité, « et aussi des stéréotypes, comment est-ce qu’on juge les gens au premier degré », explique El Assal qui ne veut pas en dire plus sur le pitch.

KIDA

Kida Ramadan accroche tellement qu’il est force de proposition et propose de venir avec ses enfants Dunya et Momo, habitués des plateaux de cinéma et des cérémonies clinquantes. Ramadan en parle aussi à son ami Burak Yiğit, lui aussi un habitué des prix et nominations, qui accepte de passer par le film d’Ady en lui disant, « Tu as Kida dans le rôle principal, n’en dis pas plus, si j’ai le temps, je viens tourner dans ton film ». Par un heureux hasard, il se trouve disponible, dans un creux d’une semaine entre deux tournages, « il a pris quelques jours et aujourd’hui on tourne les scènes de son personnage ».

kida Ramadan

Kida est décrit par Ady comme « quelqu’un de tellement généreux, de très simple, qui ne sait pas s’ennuyer, toujours actif, capable de faire trois projets en parallèle et de donner tout autant ». Sa filmographie n’en dément point, Kida Ramadan est en effet partout, et d’ailleurs une coqueluche du petit, comme du grand écran en Allemagne, célèbre notamment pour son rôle d'Ali "Toni" Hamady, chef d’un clan familial arabe, dans la série 4 Blocks de Marvin Kren, Oliver Hirschbiegel et Özgür Yıldırım. Rôle pour lequel il a reçu de nombreux prix dont celui du jury de la presse internationale française en tant que meilleur acteur, au Festival Séries Mania en 2017, et celui de la télévision allemande en tant que meilleur acteur en 2018.

Kida Ramadan est un acteur avec lequel El Assal veut tourner depuis longtemps, un acteur qu’il dit admirer énormément, « tu peux le tourner de n’importe quel angle. Il a une présence telle que tu peux le regarder à l’image pendant des heures. Ses expressions faciales, sa démarche, tout fonctionne. Peu d’acteurs ont ce charisme et ce talent ». Ramadan crève l’écran, c’est un fait, qu’il soit le méchant de l’histoire ou le gentil, un projet en sort grandi, « la caméra l’aime beaucoup et de nombreux réalisateurs l’ont saisi ». Dans ce sens, il va sortir une série avec Ricky Gervais, et sa propre série Asbest vient de battre tous les records d’audience en Allemagne, Ramadan est un monstre de l’industrie cinématographique allemande, et c’est palpable.

« Quand il est arrivé à Luxembourg-ville, on ne pouvait pas marcher deux mètres. Tout le monde voulait faire un selfie avec lui. Je savais qu’il avait une certaine réputation mais à ce point, j’ai été agréablement surpris ». Aussi, outre le talent indéniable du comédien, Ramadan est aussi un gage pour les financeurs et diffuseurs potentiels. Une chance pour un projet de ce type qui ne tient qu’à un fil budgétairement et vivra uniquement sur base des prestations artistiques et techniques de l’équipe tout entière. C’est ça le Guérilla : un pari, un risque, une folie, et parfois un plantage.

Nedal de Adolf el Assal

BEAUCOUP AVEC RIEN

Des dialogues en impro’, un repérage fuguât qui pousse l’équipe à déménager plusieurs fois, ce projet met à rude épreuve l’équipe, et pourtant, ce jour, il pleut, le froid s’invite jusque dans nos os, mais tous ceux qu’on croise on le sourire aux lèvres, déconnent, proposent un café, un clope, un moment de discussion pour passer le temps entres deux montages de set… En fait, on est clairement en face de passionnés, qui contre vent et marrés sont capable d’y aller, de suivre l’instinct d’un réalisateur quitte à se geler les miches, « à chaque fois qu’on arrive quelque part, on improvise sur place. Certains lieux par exemple ont changé au dernier moment, comme aujourd’hui, on s’est réfugié au Film Land parce que le lieu pressenti à la base ne fonctionnait pas ».

En un claquement de doigt le set est mis en place, les acteurs sont galvanisés par le rythme, suivis de près par la maquilleuse (Fabienne Adam) et la costumière (Carmen Di Pinto), le preneur de son (Gabriel Ohresser) lance blague sur blague, qui rebondissent sur l’électro (Laurent Schiltz), quand le DOP (le directeur photo Guillaume Duchemin) cherche des solutions usant de la caméra sans se soucier des traditions, et la cheffe décors (Sandrine Brasseur) est restée au chaud jusqu’au prochain set intérieur qui ne devrait pas tarder. Le balai est étonnant à voir même si pas forcément confortable, mais dans l’inconfort peut naitre la sincérité de ce drame. Bim, bam, boum, quatre prises et c’est dans la boite !

« Logistiquement, on a réussi à avoir beaucoup de choses en très peu de temps. Comme avoir accès à des endroits pour y tourner tranquillement, par exemple. C’est le confort dont on bénéficie au Luxembourg, tout est plus simple de ce côté-là. Les institutionnels sont très facile d’accès et permettent que des choses se fassent, c’est une chance ». Après un premier jour assez rock’n’roll, le temps de rôder l’affaire, depuis hier, et la seconde journée officielle de tournage, tout ronronne comme un charme, « on travaille avec des acteurs qui ont tellement d’expérience, il te ramène de la magie, tu n’as pas besoin d’en faire beaucoup plus. Tout se fait rapidement, on tourne et on verra bien ce que ça va donner ».

Financé en autoproduction et par l’équipe elle-même pour la plupart, travaillant ici « à l’américaine », c’est à dire en investissant dans le film pour trouver leur gain plus tard à sa sortie, ce projet est clairement un objet de passion. Sans savoir encore quel dessein il prévoit pour ce film, Ady fonde tout de même de considérables espoirs, « on va partir en post-prod’ et on l’emmènera ensuite dans des festivals, et qui sait, on trouvera peut-être un diffuseur pour une sortie en salle… Quand tu as une telle tête d’affiche, ça ouvre beaucoup de portes, et c’est assez nouveau pour moi ».

Une synergie qu’El Assal admet comme nouvelle, lui, qui pourtant ne sait pas s’ennuyer non plus et prépare d’ailleurs toujours son prochain long Hooped, présenté en février dernier au Berlinale Co-Production Market - European Film Market, dans le cadre du Festival international du film de Berlin 2023, « on est dans les 30 projets sélectionnés pour ce marché. C’est génial, mon planning est déjà plein. On espère que d’ici mars ou avril le financement sera bouclé et qu’on pourra rentrer en production cet été », conclut Adolf El Assal, ignorant encore à l’époque les déboires qui l’attendent. Quoi qu’il en soit, à l’image de ce tournage et de l’équipe qui le tenait fermement, qu'il pleuve, qu'il vente, ou qu'il neige, au moins un film existera, peut-être deux, qui sait ? Le destin décidera.

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