19 sep. 2024Les pratiques artistiques participatives au Luxembourg
Depuis les années 90, les pratiques participatives connaissent un véritable essor dans le domaine des arts jusqu’à devenir un phénomène à part entière. Les spectateurs s’engagent désormais activement dans la conception des œuvres d’art et se placent sur un pied d’égalité avec l’artiste. Si ce phénomène connaît d’abord un essor aux États-Unis, les œuvres participatives se sont multipliées ces dernières années en Europe, et notamment au Luxembourg.
Qu’est-ce qu’une œuvre d’art participative ?
Pour certains théoriciens, les années 1920 annoncent les prémices des pratiques artistiques participatives avec les artistes du mouvement d’avant-garde Dada et notamment, la « Dada Season » débutée le 14 avril 1921. Toutefois, c’est véritablement dans les années 1960 que les pratiques participatives se développent telles que nous les connaissons aujourd’hui. C’est durant cette période que l’artiste américain Allan Kaprow (1927-1960) présente ses happenings à New York et invite le public à participer ouvertement à la création de ses œuvres. En effet, comme l'indiquent les invitations diffusées dans le cadre du projet, le public est à la fois un observateur et un contributeur direct face à la proposition artistique.
Au cœur de ces pratiques artistiques participatives, la présence du public et son implication active dans la création de l’œuvre sont alors des composantes essentielles. L’artiste, qui était considéré jusqu’alors comme l’unique créateur de l’œuvre, laisse une place au spectateur qui contribue à la réalisation du projet final. Ce type d’œuvre collaborative devient dans ce contexte un véritable moyen de démocratisation des arts qui sont désormais accessibles à un public plus vaste en recherche d’une compréhension plus intime des travaux proposés. De nouveaux dialogues sont créés entre l’artiste et son public qui peut librement illustrer ses expériences personnelles et les placer en corrélation avec l’œuvre.
Ces dernières années, les institutions culturelles ainsi que les artistes luxembourgeois témoignent d’un attachement grandissant aux pratiques participatives. Une relation plus intime entre le domaine des arts et un public en quête de découverte est établie et se transcrit dans les projets annoncés.
The Neverending Pattern, une œuvre du monde à la Montée de Clausen
Initié en 2016 par l’artiste luxembourgeoise Lucie Majerus, le projet The Neverending Pattern est désormais visible au pied de la Montée de Clausen.
Née en 1992, Lucie Majerus est une artiste prolifique de la scène artistique luxembourgeoise. Diplômée de l’Académie de Design d’Eindhoven aux Pays-Bas, c’est dans le cadre d’un projet universitaire qu’elle débute ses recherches autour de l’œuvre aujourd’hui nommée The Neverending Pattern. À la suite d’un voyage en Grèce, les problématiques de l’immigration et la crise financière qui touche le pays accentuent la volonté de l’artiste de créer une œuvre qui réunit les gens. Dès lors, les traditions artistiques grecques à l’instar de la céramique se mêlent à la passion de l’artiste pour le dessin et font émerger la proposition d’une œuvre qui doit être réalisée « ensemble ». Par l’intermédiaire du dessin, des centaines de personnes étrangères l’une à l’autre se connectent et participent activement à ce cadavre exquis immense. Au centre de cette œuvre, les histoires et les souvenirs personnels se lient pour créer un nouveau récit pérenne, scellé dans les morceaux de céramique. En outre, The Neverending Pattern se présente comme un moyen direct de lier les participants, qu’il s’agisse de les lier par la mémoire à travers leurs souvenirs ou de les lier physiquement à travers leurs dessins qui s’entrecoupent et se complètent.
C’est en réalisant des ateliers participatifs au Luxembourg Center for Architecture (LUCA) et dans des écoles de proximité que s’est véritablement développée l’œuvre de l’artiste. Ainsi, au-delà de construire une relation immédiate et durable entre les personnes, The Neverending Pattern met en avant un dialogue intergénérationnel où se confrontent et se complètent les références et les traditions.
Pour Lucie Majerus, cette œuvre représentative de la diversité des cultures qui bercent le Luxembourg se devait de faire écho à son paysage. Alors que les tessons de céramiques proviennent tous des productions de Villeroy & Boch, le choix de la couleur rappelle l’eau qui alimente l’Alzette et la Pétrusse. De la même manière, les ondulations et les symboles aquatiques récurrents parmi les dessins illustrent la volonté de l’artiste de trouver une sorte de langage commun à tous les participants. Cette certaine homogénéité se heurte aussi à des motifs personnels ou propres à une certaine culture.
La Kulturfabrik ouvre ses portes à la création en collaboration pour son quarante-et-unième anniversaire
La multiplication des œuvres d’art participatives au Luxembourg se constate aussi dans les institutions culturelles. Pour la Kulturfabrik d’Esch-sur-Alzette, il s’agit de développer de nouvelles approches entre le centre culturel et ses publics. Un discours plus intimiste s’engage entre les publics et les artistes qui se réunissent autour de moments uniques propices à l’émergence d’une réalisation artistique inédite. Dans ce contexte et dans le cadre du quarante-et-unième anniversaire de la Kulturfabrik, de nombreux ateliers orientés autour des pratiques artistiques participatives ont été organisés. En 2023, l’artiste plasticienne Tracey Picabia organisait déjà un premier chantier participatif pour la Kulturfabrik dans le cadre du Festival Clown in Progress où déchets et volonté de recyclage étaient revalorisés.
Cette année, au cours du mois d’août, c’est le scénographe et éclairagiste Marc Thein qui, en collaboration avec des participants volontaires, a repensé la scénographie du lieu. En utilisation des filtres de couleur en gélatines de récupération, l’artiste et les participants ont créé des vitraux uniques qui ornent désormais les fenêtres du bâtiment de la Kulturfabrik.
Parallèlement, du lundi 23 septembre au dimanche 29 septembre, ce sont les membres de la compagnie de théâtre d’objets documentaires La Bande Passante qui s’engageront, aux côtés de nouveaux participants, dans la création d’une œuvre collaborative. Fondée en 2007 par Benoît Faivre, la compagnie La Bande Passante place l’objet au cœur de ses préoccupations. Du document inanimé naît une véritable théâtralité guidée par des jeux de lumières, de sons et une mise en scène rigoureuse. Dans leur monde très poétique et onirique, l’objet raconte son récit et acquiert une nouvelle profondeur. Au-delà de sa dimension artistique, l’œuvre réalisée pour le projet des 40 + 1 an de la Kulturfabrik se destine à réemployer les archives du centre culturel pour à terme proposer aux visiteurs une installation d’environ 25 mètres de long augmentée par des effets sonores et lumineux. Cette installation devient, ainsi, un moyen de se remémorer les évènements qui ont bercé le centre culturel et contribué à ce qu’elle représente aujourd’hui. Elle crée également un moment de partage où les artistes et les participants échangent et font émerger une œuvre véritablement commune. Illustrant physiquement les quarante-et-une années de vie de la Kulturfabrik, cette œuvre transcrit également les récits et les histoires nés lors de sa production. Tel est aussi le but de la compagnie La Bande Passante qui œuvre à mettre en valeur les récits humains à travers une exploration intime des objets qui leurs sont mis à disposition.
Toujours plus présentes dans la sphère culturelle luxembourgeoise, les pratiques artistiques participatives établissent un dialogue plus intime entre les artistes et le public. L’art est démocratisé et devient un moyen d’expression commun. Reflets de récits divers, les œuvres participatives ne sont pas le fruit d’un seul et même esprit, mais la réunion de multiples narrations à l’origine d’une histoire humaine. Dans ce contexte, n’hésitez pas, vous aussi, à prendre part à l’atelier participatif de La Bande Passante du lundi 23 septembre au dimanche 29 septembre à la Kulturfabrik pour écrire en compagnie d’artistes de talent une histoire commune aux habitants du Luxembourg.
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