En immersion – My Cat is A Unicorn

12 nov. 2021
En immersion – My Cat is A Unicorn

Article en Français
Auteur: Godefroy Gordet

Team Spirit

Avec un tel sourire et sa carrure de sportif, Georges Maikel Pires Monteiro aurait pu choisir une direction bien différente à ses aspirations et passions… Viscéralement, son esprit créatif s’est mis au service de la scène pour s’en emparer par la danse. Le danseur et chorégraphe a tant parcouru ces cinq dernières années, après ses précédentes créations fest et !MAKi!? – montées dans le cadre du programme « Les Émergences » initié et mis en œuvre par le TROIS C-L –, des rencontres autour du monde et It Gets Better, une vidéo-danse créée pendant le premier confinement et primée ensuite, l’ont fait se détacher du troupeau. Le voilà signer maintenant une production pour laquelle le Kinnneksbond et les TDVL s’associent, toujours avec la grande complicité du TROIS C-L, sa maison d’artiste, là où tout a commencé. Sorti de la couveuse de talents qu’est le Centre Chorégraphique Luxembourgeois, Maikel a néanmoins sauté du nid pour trouver sa place dans le paysage chorégraphique luxembourgeois et dans les deux prochaines années on le voit bien succéder à Élisabeth Schilling, auréolé du prochain Danzpraïs. Qui sait ? En attendant si le jeune danseur n’a plus à rougir de ses paires, le jeune metteur en mouvement a encore du pain sur la planche, même si son My Cat is A Unicorn devrait convaincre en nombre de ses qualités de chorégraphe.

© Georges Maikel Pires Monteiro

© Georges Maikel Pires Monteiro

Les équipes artistiques se forment des affinités nouées par le passé pour trouver un point de convergence un jour sur un lieu donné, un projet à construire, une quête commune à mener. C’est en tout cas l’histoire de Georges Maikel Pires Monteiro et son amie, la danseuse Ileana Orofino qui, il y a deux ans, dansaient pour Annah Ma lors des cinq ans du TalentLAB. « Je ne peux cacher qu’Ileana Orofino est une de mes meilleures amies. Nous parlons beaucoup et nous discutons sur différents thématiques assez souvent. Bien sûr cette thématique a aussi fait partie de nos discussions. Elle a suivi ce projet depuis le début et sait de quoi je parle grâce à nos conversations. Étant donné que je pensais avoir une assistance en résidence, je n’ai pas hésité une seconde avant de lui octroyer le poste d’assistante. Elle même danseuse et créative, nous n’avons pas forcément le même monde mais nos chemins se croisent », explique Maikel.

Aujourd’hui, ils travaillent ensemble, lui à la direction, elle l’assistant, tous deux cette fois hors scène pour monter un spectacle qui sera sûrement leur porte de sortie de ce label « émergence » qu’on colle sur le front des artistes de moins de 35 ans… Cette production parait en tout cas s’inviter comme une nouvelle étape dans leur parcours au cœur de la scène chorégraphique contemporaine luxembourgeoise et plus encore européenne, pourquoi pas… Comme l’explique le chorégraphe, « J’espère pouvoir transmettre au public une vérité à moi et j’aimerai leur permettre de s’évader, rien que pour une heure. Puis j’aimerai bien la faire tourner, si cette pièce est appréciée ».

© Georges Maikel Pires Monteiro

© Georges Maikel Pires Monteiro

Jonchées au sol dans la « fosse » délimitant la salle de la scène, chaussures, manteaux, matériel de régie… L’endroit est investi, occupé d’une troupe qui a fait sienne la grande salle du Kinneksbond. Tee-shirt blanc, sweat-shirt flanqué par-dessus, survêtement Adidas old school et chaussettes sur scène, Maikel dirige avec un calme et une assurance toute contraire. S’en est profondément apaisant à regarder. Dans le fond de la scène, résonne un titre r’n’b pop. Les répétitions se font pour l’instant sous une musique meublante en rien relative à ce qui existera sur scène, dans la liste des airs qui seront l’âme de la pièce.

Autour de Maikel, le quatuor de danseuses est assez homogène, même s’il en émane une pluralité de charismes autant que de styles. Les quatre jeunes femmes ont chacune une identité marquée dans leur personnalité de scène ou hors scène. « En principe, cette production comptait cinq danseurs, dont trois femmes et deux hommes. La place de l’un des hommes n’était pas encore occupée quand j’ai réalisé que ce 5e danseur ne tombait pas dans le budget. C’est à ce moment-là que j’ai décidé de partir avec quatre danseurs. Un mois avant le début de la résidence, le seul homme dans la production a eu des problèmes de santé, j’ai donc pris la décision d’auditionner. Vu qu’avoir un homme avec trois femmes sur scène me paressait bizarre, pas forcément homogène, j’ai décidé de recruter une autre femme dans l’équipe. Cette décision n’a pas eu d’influence sur mes choix thématiques », précise Maikel pour éluder toute dimension féministe ou de genre… Ainsi, ce sont Piera Jovic, Jin Lee, Diana Rigata García de Mendoza, Natalia Sesé Cabello qui s’exercent à l’écriture chorégraphique de Maikel, nu-pieds, laissant le silence résonner sous des pas de danse léger et gracieux. De notre chaise en plastique, on espionne un dialogue artistique qui se constitue au plateau avec une douceur assez étonnante.

© Georges Maikel Pires Monteiro

© Georges Maikel Pires Monteiro

Le cadre d’attention autour du chorégraphe est de fait studieux et souriant, l’équipe ne vient clairement pas là pour faire un cachet, mais plutôt pour soutenir une vision. Sur base de vidéos et un travail en jeu de miroir entre Maikel et ses danseuses, les mouvements sont éprouvés, refaits, jusqu’à être absorbés corporellement, puis restitués aux regards extérieurs pour devenir de plus en plus « naturels », entendez cela au sens chorégraphique. Et dans ce processus, Georges Maikel se mouille totalement, allant chercher ses interprètes par la main, pour physiquement les guider, les emmener à créer les tableaux qu’il a écrit sur son petit calepin.

Mains sur le crâne, buste tendu vers le ciel, le chorégraphe luxembourgeois réfléchit avant l’une ou l’autre instructions pendant que le quatuor teste encore et encore, à tue-tête. Des instructions souvent accompagnées d’onomatopées, à la manière d’un bruiteur de cinéma, comme pour mimer l’action qu’il a en tête. Derrière lui, Orofino soutien ou doute une proposition ou une autre, pour continuer à faire grandir la discussion chorégraphique. Il n’y a néanmoins aucune tension, dans le duo qui porte la direction de ce projet. L’unité de ce groupe est dans l’ensemble assez exemplaire, chacun a un rôle et aucun de ceux-ci n’est de moindre importance, c’est le modèle du néo-spectacle vivant qui a chassé les directeurs intransigeants et tyranniques pour créer en collectif pour le bien d’un spectacle.

© Georges Maikel Pires Monteiro

© Georges Maikel Pires Monteiro

 « If I put the music, it’s better for you ? » demande Maikel avant de lancer un titre électronique ambient, saupoudré d’une ambiance sonore relative au brouhaha de la ville… Une musique signifiante d’un monde mélancolique, robotisé, où personne ne peut se révéler en tant qu’individus. Se succédant, les titres de la bande son livrent une atmosphère intrigante, proche de celle d’un film de genre indépendant pour se mêler aux mouvements des danseuses. Sur cette musique, le tableau chorégraphique qu’on aura pu voir est profondément narratif, beau et virevoltant d’énergie et de rythme.

Georges Maikel Pires Monteiro travaille comme un dramaturge de l’espace et du mouvement à construire un objet spectaculaire qui raconte et c’est le moins qu’on demande dans ce genre de travaux. Sous les maîtres mots que sont « tenter, rater, danser, rire », la méthodologie du groupe est en fait très carrée. Maikel a une façon de diriger qui force le respect, très présent sur scène, à la même hauteur que ses interprètes, au plus proche d’elles, attentif au groupe autant qu’aux individualités qui y évoluent. Les répétitions sont en fait une pleine entrée dans les thématiques de cette pièce qui nuance des problématiques générationnelles et sociétales. « Ce projet vient de mon analyse de la notion de perfection. En développant la thématique, mes recherches ne m’ont pas forcément apporté ce que je recherchais pour ce projet. C’est à ce moment-là que je me suis plus profondément penché sur ma propre perception de la perfection, mes expériences personnelles, ainsi que celle de mon entourage. Après avoir fait un saut dans mon passé, j’ai repris des situations que j’ai transcrit en mouvements ou en un tableau. J’ai également écrit des textes et monologues que je transcris également en mouvement. Le processus est aussi nourri par mon intuition et mon observation dans mon quotidien », précise le chorégraphe luxembourgeois.

© Georges Maikel Pires Monteiro

© Georges Maikel Pires Monteiro

C’est une chance de voir évoluer un artiste, de ses premiers pas en tant que chorégraphe à la création de tels projets, dans des ambitions et attentes bien supérieures. Et puis, en voyant sa façon de travailler, on imagine l’homme, tel qu’il est humainement, dans un esprit d’équipe fort et une organisation de travail rigoureuse mais assez relax finalement. Et puis, ce sont quatre danseuses magnifiques et une assistante dévouée qu’a Maikel à sa disposition pour créer et raconter son histoire dansée. Une chose que le chorégraphe a saisi, c’est que savoir s’entourer est la clé. Et pour se faire, Maikel dispose d’une équipe franchement qualitative qu’il fonde en un groupe créant à l’unisson un discours sur ce que nous sommes en tant qu’individus et en tant que collectif dans la société. « L’individualité est une notion importante pour chacun, être avec soi-même et apporter de la diversité. Cela dit, la diversité est une différence et aujourd’hui encore, l’homme, complexe comme il est, a du mal à accepter la différence. La collectivité formant un groupe de personne est quelque chose qui est essentiel à l’homme, cela dit en tant qu’individu nous ne trouvons pas toujours notre place là où on le voudrait. J’ai fait cette expérience à plusieurs reprises et cela à cause de mon identité, ma différence, ma diversité, et à ces moments la phrase qui me venait à l’esprit était « je ne suis pas parfait », d’où mon envie de travailler sur le thème de la perfection », argument Georges Maikel Pires Monteiro.

Alors, si nous cherchons tous un peu à « être une licorne dans un monde de chats », l’équipe de cette nouvelle création de Maikel brille déjà tel l’animal féérique, même en habits de training. Et au vu d’une de ces répétitions, le chat semble doucement se transformer en licorne… Confirmation ce soir et demain au Kinneksbond, le 15 janvier au TROIS C-L et les 23 et 24 février au Grand Théâtre de Luxembourg.