Photo : © Yann Tonnar

Le Musée Dräi Eechelen présente au cœur de ses espaces d’exposition les travaux récents du réalisateur et photographe luxembourgeois, Yann Tonnar, jusqu’au 16 novembre 2025. L’exposition, intitulée La Cité Transparente, tisse un dialogue entre les collections du musée et la vision photographique contemporaine de l’artiste. À la croisée des siècles, Yann Tonnar capte l’évolution des paysages emblématiques de la ville de Luxembourg, saisissant les contours d’une cité en perpétuelle transition, à la fois familière et nostalgique. 

Yann Tonnar, du film à la photographie

C’est lors de ses études littéraires et de l’obtention de son Master en Visual Culture à la Middlesex University de Londres que Yann Tonnar développe une pratique photographique enracinée dans la tradition de l’argentique et du noir et blanc. Ses débuts se font pourtant du côté du cinéma documentaire à travers des œuvres engagées qui interrogent les enjeux sociaux et culturels contemporains. À la tête de sa propre maison de production nommée Manufactura Pictures, il occupe également les fonctions de président de la Lëtzebuerger Filmakademie, ainsi que de la Fédération Européenne des Académies du Cinéma. 

            Toutefois, ces dernières années marquent pour l’artiste un retour aux origines, où l’image fixe remplace celle en constant mouvement. Ce tournant s’incarne pleinement, en 2022, à travers l’exposition Stadrand. Moment initiateur de ce nouveau chapitre artistique, le projet s’étend sur une année, au cours de laquelle l’artiste parcourt à vélo les limites de la Ville de Luxembourg, en quête de ces espaces en suspens où le chaos discret de la nature se heurte aux signes de la présence humaine. Présentée au Luxembourg Center for Architecture (LUCA) du 24 novembre 2022 au 14 janvier 2023, l’exposition marque le point de départ d’un parcours photographique inédit qui trouve aujourd’hui résonance et continuité dans La Cité Transparente. 

Un regard moderne sur la ville de Luxembourg

C’est dans le cadre de la 10e édition du Mois européen de la photographie au Luxembourg que s’inscrit cette exposition. Alors que le thème « Repenser la Photographie » invite à se questionner sur le médium photographique à l’ère de l’intelligence artificielle, le travail de Yann Tonnar explore, dans un jeu de transparence et de collage digital, toute la complexité de la représentation du monde contemporain. 

La conception d’un livre associé à sa première œuvre photographique Stadrand se présente pour Yann Tonnar comme le point d’amorce du projet de La Cité Transparente. Profondément inspiré par d’anciennes vues de la ville de Luxembourg, l’artiste porte une attention toute particulière à une série de neuf lithographies datées de 1828-1829 dont il possède lui-même des facsimilés. Publiées sous l’intitulé Vues de Luxembourg, ces lithographies ont été dessinées par Jean-Baptiste Fresez (1800-1867) et son élève Jean-Nicolas Bernard (1803-1866). Dès lors, elles se sont profondément ancrées dans l’imaginaire collectif, offrant une vision nostalgique et presque romantique des panoramas incontournables de la ville de Luxembourg au temps où la forteresse dominait encore le paysage.

Dans le prolongement de Stadrand, l’artiste entame une nouvelle exploration du territoire et s’attèle à photographier les mêmes perspectives que celles déjà immortalisées au XIXe siècle par les deux peintres. Créant un véritable dialogue entre passé et présent, cette démarche trouve un écho évident au Musée Dräi Eechelen qui conserve les lithographies originales. Situés à quelques pas seulement de celles-ci, les travaux de Yann Tonnar entrent en dialogue avec les collections permanentes du musée pour tisser un véritable lien entre l’ancien et le moderne. En effet, face aux lithographies du XIXe siècles, la démarche photographie de l’artiste s’ancre dans une pratique du collage résolument contemporaine. Les points de vue saisis à l’aide de caméras haute performance, ou parfois même à l’aide de drones, sont édités en postproduction par l’intermédiaire de logiciels. Ce processus empreint de modernité et bercé par les innovations technologiques récentes se mêle ainsi à une technique artistique plus traditionnelle. En découle une conversation subtile entre les gestes issus du passé et les technologies actuelles. 

La Cité Transparente se présente comme un jeu de strates, qu’elles soient numériques ou historiques. En exploitant les multiples couches et les niveaux de transparence offerts par les logiciels d’édition photographique, Yann Tonnar met en lumière les strates les plus profondes et les plus personnelles de l’histoire luxembourgeoise. L’artiste navigue entre les temporalités et pose un regard neuf sur l’évolution de la ville et de son tissu urbain. Par le biais de cette relecture visuelle, c’est aussi l’identité du Luxembourg et de ses habitants qui se dessine. Au fil des mutations du paysage du XIXe siècle à nos jours, les regards autrefois restreints par les murs de la forteresse s’ouvrent sur de nouvelles perspectives qui se limitent, désormais, à l’horizon. Dans ce contexte, les images hybrides de l’artiste ne se contentent pas d’illustrer la complexité de l’environnement contemporain, mais marquent aussi l’importance de l’histoire qui a façonné l’identité collective du Luxembourg. Alors que la beauté idéalisée des lithographies se confronte à la précision brute du médium photographique, Yann Tonnar s’efforce de reconstruire un monde qui oscille entre la nostalgie du passé et la beauté d’une liberté retrouvée, où tout est encore susceptible d’évoluer. 

Enfin, par l’intermédiaire de La Cité Transparente, Yann Tonnar nous invite à repenser notre relation au temps, à l’espace et à l’histoire. Au cœur de son travail, une représentation de la Ville de Luxembourg en perpétuelle mutation où passé et présent se confrontent et se redéfinissent jusqu’à, finalement, se côtoyer sur une même surface sensible. Alors que nos rapports aux espaces sont constamment redéfinis, l’œuvre de Yann Tonnar nous rappelle que la mémoire joue un rôle fondamental dans la perception du monde moderne. 

L’exposition La Cité Transparente est à voir au Musée Dräi Eechelen du 24 avril au 16 novembre 2025.