22 avr. 2025Samuel LevyPaysagiste des mondes intérieurs

Image : © Samuel Levy
Inner Landscape: The Invisible Link n’est pas une simple exposition pour Samuel Levy, c’est tout son univers qu’il déploie en un lieu unique. Un instant où il raconte son histoire à travers une œuvre protéiforme. Là, s’entrelacent des mondes invisibles pour mettre en lumière le nôtre, décrié comme carburant aux stimulations sensorielles, criant sa folie sur tous les toits et chuchotant un besoin de recentrage. C’est à peu près à cet endroit que Samuel Levy joue les colibris, comme il s’amuse à le dire. Artiste à l’esprit tranquille, son travail invite à une pause dans ce monde qui surchauffe et, dans sa nouvelle exposition, il veut apaiser ceux venus contempler.
Né à Mons à l’aube des années 1980, Samuel Levy a migré au Luxembourg pour s’installer artistiquement dans le triangle des institutions européennes de Bruxelles à Strasbourg en passant par le Grand-Duché susnommé. Dans son œuvre se glissent de nombreuses techniques à travers lesquelles il explore ses mantras intérieurs dans une approche intuitive. Levy ne trouve pas de limite aux supports qu’il emploie. Muni d’un stylo bille ou de peinture, il trace des lignes de couleur qui donnent vie à des formes devenant in fine des organismes vivants sur la toile. Ses œuvres, en invitant à une exploration de paysages intérieurs, s’inscrivent dans un dialogue avec la philosophie ou la psychologie – un aspect qu’il aborde dès le processus créatif et qui transparaît ensuite dans l’observation à corps perdu de ses toiles. Son travail explore la frontière entre le visible et l’invisible, dans une perception de l’espace et des émotions qui lui est propre, introspective, influencée par son parcours personnel, régi par le besoin profond de dessiner. Alors que son exposition Inner Landscape, the invisible link se tient jusqu’au 3 mai 2025, à la Galerie GO ART – anciennement Galerie Schlassgoart logée dans le Pavillon du Centenaire / ArcelorMittal à Esch-sur-Alzette –, nous le rencontrons à 24 heures du vernissage, serein et confiant.
Samuel Levy, en 2017, vous expliquiez laisser émerger les formes telles qu’elles s’imposent à vous : « des motifs relevant d’un figuratif fantasmagorique qui semblent avoir, de leur propre chef, remonté le courant de ma pensée pour finir sur mon pinceau, mon crayon ou mon stylo ». Qu’en est-il aujourd’hui, près de dix ans plus tard ?
C’est justement entre 2017 et 2018 que la signature visuelle que j’utilise aujourd’hui est vraiment née. En exposant mes premières œuvres, qui n’appartenaient pas encore au projet Inner Landscape, j’ai commencé à avoir des retours d’un public issu de toutes les générations confondues. À mon arrivée au Luxembourg, en 2010, mon travail touchait principalement les 15-30 ans. Là, j’ai commencé à trouver un nouveau public : les personnes me faisaient part de sentiments très personnels vis-à-vis de mes œuvres. C’est là que j’ai pris conscience de l’impact qu’une image peut avoir sur quelqu’un.
Moi qui entretiens depuis toujours un lien fort avec le monde vivant et notre environnement naturel, je me suis rendu compte que je retranscrivais cela dans mon travail. Je ne faisais pas de l’abstraction pure, ni de la figuration, mais des formes qui avaient cette capacité de relier le spectateur au vivant, qu’il soit végétal, organique ou même lié à notre propre corps. Et c’est ainsi que, petit à petit, j’ai construit le projet Inner Landscape. Je me suis aperçu que j’étais en train de tisser un lien entre l’homme et son environnement naturel. Les termes « Inner » et « Landscape » résument bien cet aspect-là : « l’intérieur », au sens spirituel, ésotérique, avec une résonance au corps, et ces « paysages » que l’on s’imagine intérieurement en contemplant les œuvres, comme une sorte de projection, mais aussi les paysages extérieurs qui nous entourent. C’était une façon de résumer ce lien que nous établissons entre notre monde intérieur et le monde naturel.
Inner Landscape est donc né en 2017, avec l’intention de créer un pont entre l’homme et son environnement naturel – plus précisément de questionner la relation entre l’humain et ses environnements intérieur et extérieur. Quelle a été la genèse de ce grand projet ?
Cette position s’est vraiment affirmée un peu avant le premier confinement, et a pris plus d’ampleur par la suite. Je me suis rendu compte, déjà avant qu’on soit confinés, que certains attendaient des artistes qu’ils soient le relais de ce qui se passe dans le monde, un peu comme des journalistes. Mais ça n’a jamais été ma position. Ma force, je crois, réside dans ma capacité à véhiculer des choses positives à travers mon travail. C’est là que j’ai compris quel était mon rôle. En lisant, en observant le travail d’auteurs, d’artistes ou de philosophes, j’ai constaté que personne ne peut vraiment soutenir que le monde va bien. Et de fait, les gens se disent qu’ils vivent dans un monde qui va mal et que les artistes ne font que souligner davantage ce malaise.
Je pense qu’il est important qu’une partie des créatifs propose une alternative, pour permettre aux gens de se reconnecter à des choses positives. Je me considère un peu comme un colibri – ce petit oiseau qui, goutte après goutte, tente d’éteindre l’incendie d’une forêt. Tout le monde le regarde en se demandant : « Mais qu’est-ce qu’il fait ? ». Je pars du principe que si chacun s’y met, goutte après goutte, on peut changer les choses.
Quand j’ai commencé à travailler dans cette direction, je suis revenu à une philosophie que véhiculait mon père de son vivant : si tu veux que les choses changent, commence par les changer toi-même. C’est devenu ma position : arriver avec quelque chose de positif, que personne n’attend, il a fallu quelques années pour que cela prenne, mais aujourd’hui, c’est devenu une véritable philosophie de vie que je transmets à travers mon travail. Et c’est exactement ce que je propose dans cette exposition.

Le 3 avril prochain se tiendra le vernissage de l’exposition Inner Landscape, the invisible link à la Galerie GO ART d’Esch-sur-Alzette, visible jusqu’au 3 mai 2025. Comment le concept même d’Inner Landscape se traduit-il dans cette exposition ?
C’est une exposition centrée sur le projet Inner landscape, mais qui intègre aussi plusieurs collaborations réalisées avec d’autres structures. Je collabore notamment avec un ami belge qui a créé son propre aviron – un projet sur lequel il travaille depuis huit ans. C’est une véritable œuvre collaborative qui sera exposée pour la première fois ici. Chaque collaboration a du sens pour moi. Je choisis de travailler avec des personnes qui partagent une philosophie similaire à la mienne, une manière commune de transmettre une énergie positive. C’est pourquoi il était important pour moi d’intégrer ces collaborations à l’exposition : elle incarne une fusion naturelle entre mon univers et celui de ces autres créateurs.
Dans Inner Landscape, the invisible link, je présente de nombreuses toiles issues du projet d’origine : certaines datent de 2018, d’autres n’ont encore jamais été exposées. Par ailleurs, j’ai ouvert un nouveau champ de recherche artistique qui, je pense, va devenir une véritable ligne directrice dans mon travail à venir : le carton. Je cherchais à pouvoir agir au quotidien sur ce qui se passe au niveau écologique. Au départ, ce n’était pas une démarche écologique consciente. Le carton était simplement présent dans mon atelier depuis longtemps, utilisé pour protéger les sols ou les cadres. Et un jour, je me suis mis à le récupérer. Quelque chose dans cette matière m’a attiré, une forme de fragilité, le fait de pouvoir la déchirer, la manipuler facilement, sans avoir recours à une découpe industrielle. J’ai commencé à dessiner dessus, à explorer ses textures, et peu à peu, un lien s’est créé entre ce matériau et la nature. Une esthétique s’est dessinée, proche des écorces d’arbres.
Depuis septembre dernier, j’explore ce nouveau support, d’abord dans mon ancien atelier en France, puis dans celui que j’occupe aujourd’hui au 1535° Creative Hub de Differdange. J’ai vraiment fait mûrir ce projet petit à petit, sans rien montrer, juste en cherchant, en affinant. Je me suis rendu compte qu’au-delà de créer un lien avec le monde vivant, le carton entre aussi en résonance avec le quotidien de chacun. C’est un matériau omniprésent dans nos vies, souvent ignoré, mais profondément familier. Le lien était évident. Et de cette exploration, une nouvelle signature a émergé.
Je compte aller encore plus loin, au-delà des visuels que j’utilise. Je veux créer des formes géométriques, des éléments scénographiques. J’en présente déjà un aperçu à la galerie d’ailleurs. Mon objectif est de construire de véritables temples en carton, inspirés des colonnes d’ordre corinthien, mêlées à des formes géométriques. Le carton m’offre un tel terrain d’exploration qu’il est en train de devenir un support central dans mon travail.

Quel est ce « lien invisible » dont tu parles ici ? S’agit-il d’un lien intérieur, spirituel, ou d’une connexion plus universelle entre l’individu et son environnement ?
Ce titre met l’accent sur un phénomène qui dépasse mon travail personnel. C’est plutôt une constatation : dans nos sociétés occidentales, on s’est progressivement déconnectés de ce qui nous entoure. Oui, on est ultra connectés sur le plan technologique, c’est indéniable. Mais sur le plan humain, naturel, émotionnel, on s’éloigne. Le confinement a mis ça en lumière. Les gens redécouvraient les arbres à côté de chez eux, postaient des photos de leurs balades en forêt, s’émerveillaient… Mais la forêt a toujours été là. Il y a eu une de prise de conscience, et puis, dès qu’ils ont retrouvé leurs habitudes, beaucoup sont retombés dans les automatismes.
Cette déconnexion, je la ressens profondément depuis toujours. Avant même de construire ce projet ou d’évoluer au niveau artistique, j’ai toujours eu un profond respect, une complète connexion avec la nature, le monde extérieur. Mais mon travail ne tourne pas uniquement autour de la nature.
Ce lien invisible, pour moi, c’est une forme de fluide qui circule entre nous. On sait aujourd’hui que les arbres communiquent entre eux. Nous aussi, d’une certaine manière. Pour l’expliquer simplement, je prends souvent l’image du wifi dans une maison ou de l’électricité qui circule : ils alimentent tous nos appareils mais on ne les voit pas. Sur le plan spirituel, émotionnel, c’est pareil, et c’est de ça que les gens se sont déconnectés. Ce lien invisible a toujours été présent mais avec les vies que nous menons, les gens ont tendance à se déconnecter de choses essentielles ou même des autres, en se disant qu’ils n’en ont pas besoin. Pourquoi aller voir une exposition ou un concert, alors que tout est accessible sur Internet ? Parce que ce sont de vraies expériences à vivre collectivement, pour ressentir des émotions partagées. Il est là ce lien invisible.

Par ton travail artistique, tu souhaites susciter une interaction particulière avec ton public et c’est à nouveau le cas avec cette exposition immersive,Inner Landscape: The Invisible Link. Dans ce monde que nous connaissons, régi par la surstimulation visuelle, espères-tu que cette nouvelle exposition puisse nous en libérer ?
Pour ceux qui sont sceptiques, je dirais qu’on ne découvre vraiment une œuvre d’art qu’en étant sur place. Parce que c’est là qu’on fait l’expérience de l’art. Je me souviendrai toujours de ce jour, alors que j’avais 17 ans, où j’ai visité un musée à Berlin et j’ai eu la chance d’y voir un triptyque de Francis Bacon. Je l’avais déjà vu dans un livre à la maison. Mais le jour où je me suis retrouvé devant lui, j’ai presque versé une larme. La puissance de l’œuvre prend une tout autre dimension quand on est face à elle, on tisse un lien émotionnel qui peut être très fort et peut résonner d’une manière inattendue. Il faut s’asseoir devant un tableau.
C'est aussi pour ça que j’ai mis des bancs dans mon exposition. Il faut prendre le temps devant une œuvre, laisser le lien s’établir. S’il y en a un. Car ça ne résonnera pas chez tout le monde. Mais chez certains, ce lien se crée. Il faut juste prendre le temps, comme il faut prendre le temps au quotidien. Et quand on le fait, ça prend. Le truc est là. Si tu veux vivre un concert, il faut aller sur place pour vivre l’expérience pleinement. On ne tombe pas amoureux devant un écran. Il faut se toucher, être là, sentir qu’il se passe quelque chose. On parle toujours de ces « papillons dans le ventre ». Eh bien, devant ton écran, tu ne les sentiras jamais. Il faut être là et vivre l’instant.

Pour conclure, tu dis dessiner par nécessité personnelle. Qu’est-ce qui te permet de poursuivre une telle carrière professionnelle ?
La condition d’artiste n’est pas évidente. Toutes les périodes n’ont pas été faciles. Je viens tout juste de mettre fin à des collaborations avec des galeries à Bruxelles et au Luxembourg car cela ne se passait plus comme je le souhaitais. Pourtant, ce sont des personnes qui ont extrêmement bien vendu mon travail pendant plusieurs années. Pour résumer, dans ma vie d’artiste, depuis tout petit, j’ai toujours été guidé par le dessin. Quelles que soient les périodes, difficiles ou non, je dois trouver des solutions et continuer d’avancer. Ce qui implique de structurer et organiser mon travail et le démultiplier en intervenant dans différents contextes, en créant des tableaux, en collaborant avec des entreprises, des événements, etc. Aujourd’hui je développe des projets avec Greenpeace, la Fondation Sommer ou Handicap International. Je passe mon temps à tisser des liens et à me mettre en relation avec des structures qui font sens par rapport à ma démarche artistique. Je viens d’arriver au 1535°, et là encore, je tisse de nouveaux liens, notamment avec le nouveau directeur Kristian Horsburgh. On ne peut pas vivre que d’amour et d’eau fraîche.
C’est en effet ta force, réussir à garder cette « nécessité » intacte, tout en menant d’autres projets et, en parallèle, saisir des opportunités comme cette exposition personnelle, qui constitue une belle reconnaissance.
Cette exposition est importante pour moi car j’ai collaboré avec de nombreuses galeries par le passé, et j’avoue que, pour une fois, je ressens une vraie compréhension et une véritable liberté. C’est l’occasion de plonger les gens dans mon univers, dans les inviter à entrer dans mon projet Inner Landscape. C’est pour ça qu’il faut venir voir cette exposition : elle marque un renouveau. J’ai enfin pu concevoir une exposition comme je l’entendais, que ce soit dans le choix des formats, la taille des œuvres ou leur sélection. J’ai construit cette exposition de façon à ce que chaque collaboration et chaque œuvre présentée reflètent vraiment ce que je suis aujourd’hui, en tant qu’artiste.
L'exposition Inner Landscape, the invisible link est visible jusqu’au 3 mai 2025 à la Galerie GO ART à Esch-sur-Alzette.
Artistes
Auteurs
Institutions
Les plus populaires
- 29 avr. 2025
- 23 avr. 2025
- 17 avr. 2025
- 24 avr. 2025
ARTICLES
Articles
14 mai. 2025Light Leaks Festival
Regard grand angle sur la gare
Podcasts
13 mai. 2025ART TALK REWIND - Celebrating 20 Years of the Edward Steichen Award
Articles
12 mai. 2025LUGA
Rendre visible l’invisible