03 juil. 2025Un simple accidentPalme d’or pour la coproduction luxembourgeoise

© Jafar Panahi
Quelques semaines après l’attribution de la Palme d’or au dernier Festival de Cannes à Un simple accident (2025) du réalisateur iranien Jafar Panahi, la productrice luxembourgeoise Christel Henon (Bidibul Productions) revient sur cette aventure hors du commun.
Pour commencer cet entretien, pouvez-vous retracer dans les grandes lignes l’historique de Bidibul Productions et préciser sa ligne éditoriale ? Quelle est sa singularité dans le paysage cinématographique luxembourgeois ?
Christel Henon : Bidibul Productions est née en 2009 avec l’envie de faire exister, depuis le Luxembourg, un cinéma ambitieux, singulier et ouvert sur le monde. Nous avons depuis coproduit une grande variété de projets, en prise de vues réelles comme en animation. Parmi nos films les plus récents figurent La Vie magnifique de Marcel Pagnol, un film d’animation réalisé par Sylvain Chomet et présenté en compétition officielle au Festival d’Annecy ; Cher Père Noël, une comédie populaire familiale ; The deal, une série de Jean-Stéphane Bron (prix du scénario au festival Série Mania 2025) ou encore Confidente, un drame turc coproduit avec la France et le Luxembourg, sélectionné à la Berlinale Panorama. Ces projets, très différents, illustrent bien notre volonté d’accompagner des auteurs et autrices aux voix singulières, dans des registres divers, mais toujours avec la même exigence artistique.
Notre ligne éditoriale est volontairement ouverte, mais fidèle à l’idée de défendre des récits portés par des visions fortes et un véritable engagement artistique. Ce qui fait notre singularité dans le paysage luxembourgeois, c’est notre capacité à conjuguer ancrage local, coproduction européenne et rayonnement international, en accompagnant chaque projet avec une attention particulière, de l’écriture jusqu’à la diffusion.
Comment êtes-vous entrée dans la coproduction de ce film, et sur quel(s) aspect(s) du film a porté tout particulièrement votre soutien ?
C. H. : J’ai été approchée en 2024 par les producteurs principaux du film, qui cherchaient un partenaire européen engagé, capable de comprendre les enjeux spécifiques d’une production aussi sensible. Très vite, j’ai été convaincue par la sincérité du projet, et par l’énergie déployée pour rendre possible un tournage dans des conditions aussi complexes. Mon soutien a été à la fois financier — via notamment le soutien du Film Fund Luxembourg —, mais aussi administratif, logistique, juridique et artistique. Il ne s’agissait pas d’un simple apport de coproduction : nous avons travaillé ensemble, dans la confiance et dans le respect du processus très particulier de Jafar Panahi.

Connaissiez-vous déjà le travail de Panahi avant de produire Un simple accident, et si c’est le cas quel était ce film et votre regard sur sa filmographie ?
C. H. : Oui, je connaissais déjà très bien son travail. Plusieurs de ses films m’avaient profondément marquée. Ce que j’ai toujours trouvé remarquable chez lui, c’est sa manière de transformer la contrainte en langage cinématographique. Il parvient à dire énormément avec très peu : une voiture, un appartement, une caméra fixe... et pourtant, tout est là — la tension, la poésie, la résistance. C’est un cinéaste dont la rigueur formelle n’efface jamais l’humanité. Il sait capter les silences, les regards, l’oppression invisible… et les transformer en récit universel.
Qu’est-ce qui vous a décidé ou convaincu de coproduire Un simple accident, sur quels éléments concrets vous êtes-vous basée pour faire votre choix ?
C. H. : Avant même de lire le scénario, j’ai su que je voulais soutenir ce projet. Pour moi, le cinéma ne peut pas rester en retrait lorsqu’un cinéaste est empêché de s’exprimer dans son propre pays. Jafar Panahi incarne une forme de résistance artistique qui m’émeut profondément. Soutenir un film comme celui-ci, c’était affirmer — concrètement — que la liberté d’expression doit être défendue, y compris (et peut-être surtout) quand elle est menacée. Et puis il y a eu la lecture du scénario, qui a confirmé cette intuition. Le texte était fort, tendu, d’une précision remarquable. Il racontait à la fois une situation dramatique et un climat politique, tout en gardant une humanité saisissante. Ce projet avait une nécessité, une urgence. Il ne s’agissait pas seulement de produire un bon film, mais de permettre qu’il existe, malgré tout. Et cela, pour une productrice, c’est un engagement qui a vraiment du sens.
Qu’est-ce que vous avez aimé dans Un simple accident et que diriez-vous aux spectateurs luxembourgeois pour leur donner envie de le voir en salle ?
C. H. : Ce qui m’a d’abord frappée, c’est son intensité narrative immédiate : dès le premier plan-séquence, le film installe un suspense qui vous tient jusqu’à la fin, avec une mécanique narrative à la fois rigoureuse et implacable. Le film mêle habilement tension, humour noir et poésie tragique autour d’un geste violent — un accident — qui devient le point de bascule d’un petit tribunal improvisé, où les personnages questionnent leur passé, leur souffrance et la justice. Aux spectateurs luxembourgeois, je dirais : allez voir ce film parce qu’il est d’une rare précision formelle, puissant et intelligemment politique, sans jamais sombrer dans le militantisme binaire. C’est un thriller choral qui interroge la violence de l’histoire personnelle et collective, avec cette capacité propre à Panahi à rendre le quotidien porteur d’une charge humaine et universelle.
Savez-vous quand ce film sortira en salles au Luxembourg ?
C. H. : La date exacte n’est pas encore confirmée, mais la sortie est normalement prévue pour septembre 2025. Nous souhaitons qu’il soit accessible au public luxembourgeois dans de bonnes conditions, et qu’il puisse toucher un large public.

Quelles sont les conséquences d’une Palme d’or sur l’exploitation d’un film, qu’est-ce que cela ouvre comme possibilités, concrètement ?
C. H. : Une Palme d’or, c’est d’abord une reconnaissance artistique mondiale. Elle permet une exploitation renforcée, bien sûr, mais aussi un changement de statut pour le film et pour les personnes qui y sont associées. Cela facilite l’accès à d’autres festivals, à des circuits de distribution plus larges, et cela attire l’attention de la presse internationale.
Outre la visibilité apportée au film par une telle récompense, est-ce qu’un apport financier est attribué directement par le festival aux producteurs ou au réalisateur ?
C. H. : Non, la Palme d’or en tant que telle n’est pas dotée financièrement. Il n’y a pas de somme remise au réalisateur ou aux coproducteurs.
Quelle a été votre réaction lorsque vous avez appris que le film de Panahi, que vous avez coproduit donc, avait obtenu la Palme d’or ?
C. H. : J’étais dans la salle avec l’équipe du film. À chaque prix décerné à un autre film, on se rapprochait un peu plus de la Palme d’or, et la tension devenait presque insoutenable. Quand le nom du film recevant la Palme d’or a été annoncé, l’émotion nous a submergés, nous avons littéralement explosé de joie. C’était un moment très fort en émotion. J’ai ressenti une immense joie, mêlée de soulagement, parce que je mesurais pleinement ce que cette Palme représentait pour Jafar Panahi, compte tenu du contexte si particulier qui est le sien. Et à cet instant, j’étais fière d’avoir contribué à rendre ce film possible.
Pour finir, sur quel projet de film êtes-vous en train de travailler ?
C. H. : Je développe actuellement plusieurs projets de fiction, aussi bien des courts que des longs métrages. Ce sont des projets très différents les uns des autres, mais tous portés par des visions fortes et des récits singuliers. Mon fil conducteur est de continuer à accompagner des auteurs et autrices qui portent un regard sensible, politique ou poétique sur le monde, et de faire émerger des formes qui questionnent notre époque avec audace.
Un simple accident (Iran, France, Luxembourg) de Jafar Panahi, Palme d’or au Festival de Cannes 2025. Prochainement en salles au Luxembourg.
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