16 aoû. 2021LetzArles - LUXEMBOURG À ARLES, UNE CHAPELLE ENTRE CHARITÉ, PROVIDENCE ET VOÛTE CÉLESTE
Pour sa quatrième participation aux Rencontres d’Arles, avec le projet Lët’z Arles, le Luxembourg présente, jusqu’au 26 septembre, les expositions « Providencia » de Daniel Reuter et « Erre » de Lisa Kohl, à la très centrale Chapelle de la Charité.
C’est devenu une tradition. Depuis 2017 l’association Lët’z Arles présente une exposition photographique aux Rencontres de la photographie d’Arles. Fondée en 1970, la manifestation a attiré en 2019 quelques 145 000 visiteurs. Cette année pour sa 52e édition, après un millésime 2020 annulé à cause de la COVID, ce rendez-vous immanquable des amateurs de photographies propose 35 expositions dans une 20aine de lieux différents, aussi bien en plein air qu’en intérieur.
Après l’exposition collective « Flux Feelings » en 2017 regroupant des œuvres de 26 artistes, sorte de feu d’artifice photographique célébrant la première participation grand-ducale à cette grande fête de la photo que sont les Rencontres, Lët’z Arles a opté pour un rythme de deux expositions monographiques par an. Ça a été le cas en 2018 avec « Bad News » de Pasha Rafiy et « On the Other End » de Laurianne Bixhain, tout comme en 2019 quand « Aedicula » de Claudia Passeri et « Resonance » de Krystyna Dul ont occupé la Chapelle de la Charité.
Cette année, l’équipe a maintenu le format et, à la suite de la décision d’un jury international, c’est au tour de « Providencia » de Daniel Reuter et « ERRE » de Lisa Kohl de représenter la création luxembourgeoise aux Rencontres d’Arles. Leur participation, prévue pour 2020, a finalement été reportée à cet été en raison de la pandémie et de l’annulation du festival l’an dernier.
© Pablo Chimienti
Daniel Reuter est allemand ; il travaille entre le Luxembourg et l’Islande et s’intéresse tout particulièrement à l’abstraction et à la décontextualisation. Pour l’exposition arlésienne, il s’est rendu dans le quartier Providencia à Santiago du Chili. Chez lui, pas de misère ostentatoire, pas de folklore, pas de traditions, pas non plus de paysages à couper le souffle… mais des portraits, des détails architecturaux, des arbres, des intérieurs… de ce quartier périphérique et plutôt aisé de la capitale chilienne. Si la photo aérienne du quartier de nuit attire l’œil par ses lumières et ses néons, le reste de la série semble vouloir mettre en lumière le quotidien, l’habituel, l’ordinaire. Un ordinaire chilien, presque du bout du monde pour les Européens et pourtant terriblement occidentalisé, proche du notre. La série est prise à Santiago, mais cela est finalement secondaire.
Un lointain finalement si proche
« Mes motivations à photographier au Chili n'étaient pas claires au début du projet », note Daniel Reuter dans la présentation de son travail. « C’est seulement en 2019, après ma troisième visite en trois ans, que je reconnaissais cette série comme une description d'un paysage fragmenté et intériorisé ». Après avoir arpenté le désert d’Atacama et le sud du pays, le photographe dit s’être « lassé de l'isolement vécu dans ces endroits reculés ». Direction la capitale et son quartier Providencia. « Je cherchais la présence humaine et sans doute un environnement visuellement plus dense et encombré. Je séjournais dans un appartement intégré à une résidence d'artistes située dans un gratte-ciel moderniste : les tours Tajamar, dans le quartier de Providencia. J’ai été à plusieurs reprises attiré par la photographie dans ces espaces parce qu'ils sont visuellement prosaïques - un terrain vague avec une patine distincte à la fois du passé immédiat et de l'avenir imminent ». Bien qu’isolé sur la carte du monde, ce décor périurbain et anonyme devient finalement un monde vierge sur lequel un artiste peut projeter l’histoire de son choix.
« Alors que Providencia part d’un endroit géographique spécifique visité à un moment déterminé, l’approche photographique de Daniel Reuter l’évoque subtilement. L’étude de son histoire, l’observation de détails extraits de son quotidien urbain ou naturel, la captation de sa lumière, ses reflets et ses matérialités, l’inclusion de portraits de ses habitants, l’association d’autres narrateurs et de regards (…) permettent d’introduire un espace relevant d’un ordre plus mental » note pour sa part la commissaire de l’exposition, Michèle Walerich, responsable du département photographie du Centre National de l’Audiovisuel.
Providencia de Daniel Reuter © Pablo Chimienti
« Providencia » est présentée dans la nef centrale de la Chapelle de la Charité. Une fois l’accueil passé, le visiteur tombe nez-à-nez avec cette installation hexagonale. Une idée venant des tours Tajamar elles-mêmes dont un des kiosques a servi de galerie d’art pendant plusieurs années. « L’installation Providencia est le reflet de mon travail à la fois dans la forme et dans les matériaux utilisés », reprend le photographe dans son texte de présentation ; « En recréant un espace dans la Chapelle de la Charité, ma proposition consiste en une structure hexagonale de six panneaux de plexiglas transparent, fixés dans des cadres en aluminium. Les photographies sont montées directement sur le plexiglas à l’intérieur et à l'extérieur de la structure, créant une connexion visuelle entre les images et l'intérieur de la chapelle ; entre reflets lumineux et transparence ». Si l’exposition pourrait se résumer à 12 clichés, par sa mise en scène, elle propose non seulement d’innombrables points de vue, mais également un dialogue surprenant entre le modernisme et le classique, le profane et le sacré, la vue directe et le reflet, l’ici et l’ailleurs…
La beauté de l’invisible
« Providencia » n’en demeure pas moins une exposition en un seul bloc, simple, insécable à l’inverse de l’exposition proposée par la photographe luxembourgeoise Lisa Kohl dans la nef latérale de la Chapelle de la Charité. « ERRE » est « un espace spatial » qui réunit trois ensembles d’œuvres : les séries photographiques « Passage // 32 32‘04.7“N 117 07‘26.3“W » et « Shelter » présentées dans des cadres rétroéclairés et l’installation vidéo « Haven ».
La série « Passage // 32 32‘04.7“N 117 07‘26.3“W » a été réalisée à Border Field State Park, une base militaire à proximité de la frontière mexicaine aux États-Unis. Derrière ce titre, qui indique la position géographique exacte de la prise photographique, du sable à n’en plus finir et des traces de passage de véhicules militaires et de bottes. Ici pas d’ombre pour se réfugier, pas de buissons où se cacher ; pris en plongée, les trois clichés donnent chaud, on sent même une certaine inquiétude quand on se positionne face à eux et la relative fraîcheur de la Chapelle ne suffit pas à faire baisser température et tension. Pourtant tout le message reste invisible aux yeux du spectateur.
La série « Shelter » a été prise quelques centaines de kilomètres plus au nord, à Los Angeles. Dans un décor fait une nouvelle fois de sable, mais citadin, se trouvent des silhouettes enveloppées dans des tissus qui cachent entièrement leurs corps. Des êtres à la fois visibles et invisibles qui semblent tantôt danser, pour apparaitre, tantôt s’immobiliser pour disparaître. Qui sont-ils ? Que font-ils ? Pourquoi se cachant-ils d’une manière aussi ostentatoire ? Présentée dans un lieu de culte, la question religieuse survient dans l’esprit des visiteurs.
Mais l’œuvre qui fait le plus parler les visiteurs de la Chapelle de la Charité est sans aucun doute « Haven ». L’installation vidéo-sonore propose un mélange surprenant de mer et de ciel, de vent et de reflux de vagues dont le son occupe l’entièreté de la Chapelle et l’image l’entièreté du plafond de sa nef latérale. Il faut donc lever les yeux au ciel pour voir cette eau devenue voûte céleste. On y perd un peu le nord, à l’instar d’Ulysse dans l’Odyssée ou ces migrants à la recherche d’une vie meilleure qui se perdent – parfois à jamais – de nos jours en Méditerranée.
Erre Haven Lisa Kohl © Pablo Chimienti
« Le projet ERRE est un dialogue entre une image statique et une image en mouvement de deux sources de lumière différentes, qui au niveau du contenu et de la forme, font référence l‘une l‘autre. La disposition des œuvres, créant un rapport entre le sol (terre) et le plafond (ciel), questionne la position et le déplacement du spectateur. Elle accentue ainsi sa relation physique et sensorielle aux pièces exposées » explique l’artiste dans la présentation de son travail. Et d’ajouter : « Mon intention est de créer un lien entre l‘intervention artistique et le lieu en tant que contexte d‘exposition. Il s’agit d’un travail in situ. La question qui m’intéresse est la suivante : quelle forme de dialogue sera rendue possible par cette rencontre entre l’œuvre (abordant les notions de déracinement, de déplacement et de persécution) et ce lieu sacré (lieu de refuge, de l‘exil et de la rédemption) ? La référence au nom du lieu n’est pas anodine. La Chapelle peut donc apporter une signification toute particulière aux œuvres ».
Deux expos à découvrir à Esch et en librairie
Au-delà de son sens profond, le travail de Lisa Kohl frappe aussi par la beauté intrinsèque de ses œuvres. « Je suis impressionnée par la force poétique du travail de Lisa Kohl » souligne à ce sujet la commissaire de l’exposition Danielle Igniti. « Ses œuvres sont d’une beauté insensée à laquelle on ne s’attend pas dans des endroits tels que les no man’s land, frontières, campements militaires et abris de migrants. Ses sujets sont très graves et difficiles à aborder sans tomber dans l’écueil du cliché et du voyeurisme. Mais Lisa Kohl fait preuve de beaucoup de sensibilité et réussit à nous montrer un monde dur et difficile en donnant une voix et une présence à des personnes oubliées et invisibles. C’est un travail qui lie l’engagement social et la recherche esthétique de façon admirable » ajoute l’ancienne directrice des centres d’art de Dudelange - Nei Liicht et Dominique Lang.
Les deux expositions sont présentées à Arles jusqu’à la fin de ces 52e Rencontres, le 26 septembre 2021. Elles seront ensuite reprises, à partir du mois d’octobre et pour trois mois, dans la toute nouvelle Konschthal Esch de la Métropole du fer. « Providence » et « Erre » ont par ailleurs donné lieu à deux publications coéditées par Lët’z Arles et le Centre National de l’Audiovisuel, que le visiteur peut feuilleter – tout comme les publications des expositions des précédentes éditions – à la Chapelle de la Charité. Les deux ouvrages sont disponibles à Arles, à Paris, mais également au Grand-Duché aux librairies Ernster et Alinéa, dans les boutiques du Casino Luxembourg, du Mudam et du CNA, ainsi que sur le site web du CNA (www.eshop.cna.public.lu).
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