The Assembly : Entretien avec Catherine Elsen

11 mai. 2022
The Assembly : Entretien avec Catherine Elsen

Article en Français
Auteur: Loïc Millot

Artiste chorale autant que performeuse, Catherine Elsen présente The Assembly, un spectacle interactif en trois volets (réalité virtuelle / installation immersive / concert performance) très prochainement dévoilé à l’Arche (Villerupt).

Catherine Elsen, vous êtes artiste. Pouvez-vous présenter votre formation et nous dire ce qui caractérise vos travaux ?

J’ai initialement étudié le théâtre en Allemagne, dans une école qui proposait une formation très variée : j’ai pu ainsi suivre des cours de danse, d’expression par le mouvement, de travail sur la voix, de danse-théâtre, etc., soit tous les domaines qui touchent à la performance. Puis j’ai poursuivi mon cursus à Londres, au Trinity Laban Conservatoire of Music and Dance, avec un master en danse-théâtre. J’ai donc approfondi cette approche hybridant théâtre, mouvement, performance.

Shambhala Wolfhaart

© Shambhala Wolfhaart

En parallèle, j’ai suivi des cours au Roy Hart Theatre, dont les enseignements se concentrent sur la voix. Il s’agit d’apprendre à chanter avec tout son corps, en accord avec la respiration. Pour qu’il y ait voix, il faut la respiration, qui est à l’origine de tout. Or dans la vie quotidienne, on pense rarement à notre manière de respirer ; on néglige la respiration profonde. En revenant à cette dernière avec l’aide des mouvements du corps, on peut amener le corps à une puissante détente et accéder à des états psychiques de lâcher-prise intégral. Ce qui permet alors d’explorer la voix de manière totalement inédite, pas seulement de manière technique, mais aussi du point de vue de l’imagination puisqu’on doit, dans les exercices, épouser des rôles : chanter comme une reine, comme un monstre, comme un animal... Ce qui permet de se relier à des personnages archétypaux, constitutifs de notre essence humaine. En somme, il s’agit de considérer la voix comme un terrain infini pour l’imaginaire, qui touche à toutes les dimensions de notre être. C’est surtout ce travail qui a compté pour moi car dans mes recherches théâtrales, j’aspire à intégrer, à mobiliser ces possibles de la voix.

Vous êtes trois femmes à la direction artistique de ce projet, en quoi consiste votre travail respectif ?

The Assembly a été initialement pensé par Charlotte Bruneau et moi-même. Nous souhaitions opérer une rencontre entre son travail avec la réalité virtuelle, et mes recherches autour du théâtre et de la voix. Très rapidement, il nous est apparu qu’il nous faudrait, pour y arriver, nous associer à une troisième personne. Nous suivions déjà avec beaucoup d’intérêt les réalisations architecturales de Laura Mannelli, qui marie dans sa pratique la dimension digitale et la dimension physique. Nous lui avons proposé de nous rejoindre, et c’est ainsi que notre trio s’est formé. Son arrivée a été décisive : elle a permis d’offrir à notre projet de théâtre imaginaire une forme concrète, physique.

Depuis, notre équipe n’a cessé de s’agrandir, accueillant informaticiens et programmeurs, ingénieurs de son... Nous avons notamment bénéficié, pour mettre en place l’interactivité du lieu, des compétences techniques du collectif Mad Trix, basé à Luxembourg également et dont le travail hybride différents médias. Ils ont imaginé tout un ensemble d’objets interactifs munis de capteurs réagissant à la lumière, au son, au toucher, qui produisent en retour un son, un mouvement... Est ainsi proposé un spectacle sensoriel complet, ou plutôt une odyssée multisensorielle. The Assembly résulte ainsi d’un travail que nous avons mené d’arrache-pied pendant trois ans.

© Marc Lazzarini

© Marc Lazzarini

Sur quelle base avez-vous choisi les artistes qui collaborent à ce projet ?

Il m’est toujours difficile de distinguer les artistes des ingénieurs, des informaticiens, que je considère tout autant comme des créateurs. Les collaborations résultent parfois d’amitiés antérieures au projet, ce qui permet de s’appuyer sur un précieux rapport de confiance. Par exemple je connais depuis longtemps Pouya Ehsaei, un musicien électro iranien résidant à Londres et j’avais eu déjà l’occasion de travailler avec lui — à vrai dire, c’est lui qui m’a initiée à la production de musique électronique. J’apprécie énormément sa créativité, sa capacité à naviguer entre les catégories, les médiums, son aptitude à la performance scénique... Nous avons aussi fait appel à la compagnie Gluk Media, originaire de Lituanie et dont Charlotte appréciait le travail, pour s’occuper du volet relatif à la VR (réalité virtuelle) de notre projet. Ce qui tombe à pic puisque nous allons présenter The Assembly à Kaunas dans le cadre de la capitale de la culture européenne 2022. Qui plus est, la pratique collective autour de la VR est très développée en Lituanie, nous fournissant de riches enseignements.

Le protagoniste de The Assembly s'appelle, mystérieusement, la Mémoire de la Voix : comment la définir ?

La Mémoire de la Voix représente en effet la figure-clé du projet. C’est un personnage de dimension mystique, dont le corps est entièrement constitué de sons incarnant l’expression humaine universelle : respirations, soupirs, rires, pleurs, halètements... Ce sont des bruits qui, traditionnellement, ne sont pas considérés comme un matériau musical. Or la Mémoire de la Voix les rassemble pour les transformer en partition. Cette créature apparaît lors d’une expérience de VR d’une durée de 15 minutes, qui peut être vécue jusqu’à cinq personnes en même temps. Chacun des participants, muni de son casque de VR et comme enveloppé d’un cocon, rencontre la Mémoire de la Voix. Cette dernière leur fournit des instructions quant à la manière dont ils peuvent employer leur corps pour produire des sons.

Une fois l’expérience de VR terminée, libre à chacun de se promener autant qu’il le souhaite dans l’installation, d’interagir avec elle à travers les objets munis de capteurs, de prendre un temps de repos sur l’un des sofas... Tandis que la Voix demeure, cette voix avec laquelle on a travaillé, composé, qui a constitué l‘unique matériau de départ. Elle continue à résonner partout. En parallèle, par intervalles, on a également affaire à des moments de performance de quelques minutes : c’est dans ce cadre que j’interviens, en chair et en os, pour incarner la Mémoire de la Voix (j’ai d’ailleurs aussi prêté mon corps pour animer son avatar de synthèse dans la VR). J’y joue la Mémoire de la Voix en prise avec la solitude, dans l’incapacité d’exprimer ses sentiments car elle a perdu son lien avec sa force, avec ses ressources corporelles. Peu à peu, elle en reprend possession, à travers les mouvements du corps. Elle découvre en même temps qu’elle n’est pas seule sur scène, que l’entourent les visiteurs qui se trouvent alors dans l’installation. Alors je chante, j’interagis avec les gens, je les incite à chanter avec moi — s’ils le veulent bien. S’instaure ainsi une dynamique collective pour se réapproprier son potentiel d’expression, au niveau individuel mais aussi collectif.

© Marc Lazzarini

© Marc Lazzarini

Outre l’installation VR et la performance, The Assembly se prête à un autre format, que l’on présente le soir : il s’agit d’un concert-performance, d’une heure. Cela crée une complémentarité entre le dispositif virtuel et la performance qui, elle, en passe par la présence sur scène. Ce que l’on vit dans le moment de réalité virtuelle se reflète ensuite dans l’installation comme dans le concert-performance. Car nous avions à cœur de proposer une alliance entre la dimension très technologique, voire futuriste, du dispositif et l’aspect immémorial, archaïque inhérent à des manifestations que l’humain a toujours investies, telles que la voix, le mouvement, le corps... En tant que performeuse, mon rôle est de rappeler aux gens qu’ils sont incarnés, de leur rappeler toutes les capacités dont leur corps est doté, et que les prouesses technologiques ne sauraient occulter : l’intensité du regard, la puissance d’un chant collectif... Aucune technologie, aussi avancée soit-elle, ne pourra se substituer au fait d’être ensemble dans un espace et à la force de cette expérience !  Nous avions envie d’explorer ce qui revient à l’humain, et ce qui revient à la technologie ; à quel moment l’un ou l’autre occupe le devant de la scène, en devient le protagoniste principal. D’observer comment l’un peut nourrir l’autre, et réciproquement.

La première de The Assembly a eu lieu en mars 2022, comment s’est-elle déroulée et quelle était la « sociologie » de votre public ?

Nous proposons The Assembly au public à partir de douze ans. Idéalement, nous aspirons à toucher tous les publics. Car nous souhaitons instituer un rituel pour l’ensemble de la société, dans toute sa diversité. Pour la plupart, les retours ont été très enthousiastes. Les gens ont beaucoup apprécié la profonde détente que le dispositif leur a permis d’atteindre. En raison de la concentration qu’il implique, mais aussi grâce à la qualité de l’environnement sonore conçu par Mad Trix, qui a doté l’installation d’une dimension ambisonique, soit d’une puissante qualité immersive. Le public a pu se plonger dans un véritable bain sonore. Les gens ont également été touchés de pouvoir rencontrer un même son sous différents formats, et de pouvoir le retrouver à plusieurs moments du dispositif ; beaucoup nous ont fait part de leur émerveillement, de leur fascination à ce sujet. En composant la musique, Pouya a dû s’interroger sur la manière de faire voyager un son, sur la façon de peupler l’espace avec du son, d’introduire de la mobilité à travers le son, sur l’articulation de ce dernier avec la lumière...

Marc Lazzarini

© Marc Lazzarini

Les prochaines représentations de The Assembly, à l’Arche, s’inscrivent dans le cadre d’Esch22.

Nous faisons partie du programme d’Esch 22 : notre création, qui n’a pour l’instant été montrée qu’une fois, sera présentée du 13 mai au 15 mai dans le cadre du festival D’autres histoires que le théâtre d’Esch a monté, en partenariat avec l’Arche, à Villerupt. Nous proposerons des concerts-performances (réservation obligatoire) les 13, 14, et 15 mai, ainsi que l’installation Immersive Journey qui sera accessible ces trois jours également.

Quels sont à l’avenir vos autres projets ?

Nous sommes en train de contacter des festivals et des distributeurs un peu partout dans le monde pour faire tourner The Assembly. Par ailleurs, je fais partie du collectif théâtral Independent Little Lies, qui travaille actuellement à la mise en scène d’une pièce dirigée par Elsa Rauch et Claire Wagner, qui m’ont demandé d’en écrire la musique. Ce que je fais, avec du chant, en impliquant non seulement les acteurs de métier mais aussi les non-professionnels participant au projet. Plus généralement, je me tourne vers de plus en plus de projets qui placent la musique en leur centre. Tout en tentant de continuer à créer ma propre musique électronique !

L’Arche

Esplanade Nino Rota            

54190 Villerupt          

03 72 61 19 11

https://l-arche.art/

Performance

13.05.2022 à 20h00

14.05.2022 à 20h00

15.05.2022 à 16h00

Réservez vos billets ici : https://billetterie.l-arche.art/ ou billetterie@l-arche.art

Rituel sonore immersif

13.05.2022 de 14h00 à 18h00

14.05.2022 de 14h00 à 18h00

15.05.2022 de 10h00 à 15h00

Vous pouvez visiter l'installation sans réservation.

ACCÈS Provisoire à L’Arche                

Accès piétons et vélos par :

rue Émile Curicque 54190 Villerupt

Accès véhicules pour parkings P1 et P2 par :

rue du moulin, 54190 Villerupt         

Autoroute A30 sortie 8 - Crusnes puis D27

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